Dans la lignée de PUBG, sorti en 2017, les blockbusters vidéoludiques se mettent en mode “Battle Royale”. Comme dans le film, il s’agit de buter tout le monde pour survivre. Une tendance très lourde.
C’est fini : on ne joue plus seul. Si l’on est un adepte de Call of Duty, en tout cas, car le nouvel épisode de la plus vendue des séries de jeux de tir en vue subjective, ne propose pas le moindre mode solo. Une première depuis sa naissance en 2003.
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A la place, Call of Duty : Black Ops 4 (que, par une coquetterie graphique un rien embarrassante, son éditeur Activision a décidé d’orthographier “Black Ops IIII”) propose, aux côtés des traditionnelles variantes multijoueurs invitant à s’entre-buter joyeusement via internet, ce que l’on a pris l’habitude d’appeler un mode “Battle Royale”. Et le Call of Duty de saison n’est pas le seul blockbuster vidéoludique à s’engager dans cette voie. Son grand rival, Battlefield V, qui vient de paraître, s’aventure lui aussi sur ce terrain.
Mais qu’est-ce donc qu’une “Battle Royale” ?
Avec un peu de retard, d’ailleurs, car sa relecture du sous-genre à la mode ne sera vraiment disponible (en téléchargement mais sans coûts additionnels) qu’au printemps prochain. Pourtant, l’annonce de cette Tempête de feu (son doux nom) fait déjà partie intégrante des arguments de vente mis en avant par son éditeur.
Mais qu’est-ce donc qu’une “Battle Royale” ? Dans l’esprit du film du même nom réalisé en l’an 2000 par Kinji Fukasaku ou, pour les moins nippophiles, dans la veine des Hunger Games – très inspiré par le film japonais d’ailleurs –, c’est, au départ, un jeu dans lequel un nombre conséquent de participants (souvent cent) s’affrontent sur un territoire dont la superficie se réduit avec le temps, jusqu’à ce qu’il ne reste plus qu’un seul survivant. L’une des grandes différences avec les autres jeux de tir en ligne : lorsque notre alter ego meurt, c’est pour de bon – jusqu’à la partie suivante. La seule logique qui vaille est celle de l’élimination.
Né avec le lancement, au printemps 2017, du très austère PlayerUnknown’s Battlegrounds (PUBG pour les intimes), le phénomène a pris de l’ampleur quelques mois plus tard avec Fortnite, devenu le jeu star des cours de collège (et d’école élémentaire, ce qui est plus gênant pour un titre déconseillé aux moins de 12 ans). Le mode “Battle Royale” de Fortnite est par ailleurs un copier-coller opportuniste de celui de PUBG, alors qu’il proposait à l’origine une expérience bien différente, mais c’est une autre histoire.
80 millions de personnes pratiquent « Fornite »
Disponible sur la plupart des plates-formes, du PC à la Switch en passant par les mobiles, Fortnite serait, selon son éditeur Epic Games, pratiqué chaque mois par près de 80 millions de personnes à travers le monde. Des joueurs qui y ont accès sans payer – l’installation du jeu est gratuite – mais qui ne peuvent s’empêcher parfois, de dépenser sans compter dans la boutique : accessoires, tenues pour les personnages ou… danses pour célébrer une victoire. Résultat des courses : les recettes cumulées ont dépassé l’été dernier le milliard de dollars.
“Pour être honnête, vous ne pourriez pas trouver un jeu plus révélateur de son temps que PUBG. Il est complètement nihiliste, conflictuel et psychopathe”, estimait il y a quelques temps dans le Guardian, le journaliste britannique Keith Stuart.
https://www.youtube.com/watch?v=t2ddBGSPSw0
Et d’ajouter que, là où les jeux comme Doom sont “structurés comme des sports” et prennent place dans des arènes où “tout semble artificiel”, PUBG frappe, lui, par ses environnements “naturalistes” et ses maisons abandonnés. “Nous pouvons seulement deviner ce qui est arrivé aux habitants”, ajoutait Stuart, en évoquant le spectre des massacres d’Alep.
Face au radicalisme horrifique de PUBG, Fortnite incarne une alternative fun avec ses teintes irréalistes, ses masques et ses “célébrations” qui inspirent les joueurs de foot, dont Antoine Griezmann. Si PUBG offre un reflet très sombre (et potentiellement critique) de l’époque, Fortnite serait plutôt, avec sa logique ultra compétitive, ses incitations à la dépense et son vernis hyper festif, le jeu de la société du spectacle et du néo-libéralisme triomphants.
ici, c’est l’efficacité qui tient lieu d’idéologie
Et le duel Call of Duty – Battlefield dans tout ça ? Alors que le mode “Battle Royale” du second se jouera uniquement en équipes de quatre (ce que proposent aussi ses concurrents) et devrait tirer partie de la fameuse attention aux lieux d’une série qui ne s’appelle pas Battlefield (“champ de bataille”) pour rien, celui de Call of Duty, dénommé “Blackout”, fait esthétiquement figure d’option entre la sobriété de PUBG et la fantaisie de Fortnite. Mais, ici, c’est l’efficacité qui tient lieu d’idéologie. Un détail qui n’en est pas un : dans l’attribution des “points d’expérience” au terme de chaque partie, que l’on soit parmi les premières victimes ou les vingt derniers survivants ne change rien. Dans “Blackout”, c’est le nombre d’adversaires abattus qui importe vraiment.
L’intention est claire : décourager les participants les moins agressifs, ceux qui préfèrent passer inaperçus, s’allongent dans les fourrés, se planquent derrière les arbres ou au fond des salles de bains et attendent que le temps passe pendant que, dehors, les barbares s’entretuent. Dans Fortnite, par exemple, il est tout à fait possible de figurer parmi les trois ou quatre derniers joueurs encore debout sans tirer le moindre coup de feu. Ce qui, dans les faits, peut se révéler vraiment grisant. Et si on érigeait la partie de cache-cache virtuel en acte de résistance allègre et futile, donc idéalement symbolique, à la cruauté de l’époque ?
Battlefield V Dice/Electronic Arts, sur PS4, Xbox One et PC, environ 60 €
Call of Duty : Black Ops 4 Treyarch/Activision Blizzard, sur PS4, Xbox One et PC, environ 50 €
Fortnite Epic Games disponible sur presque toutes les plates-formes, free-to-play
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