Avec l’arrivée du superbe In Other Waters et de la version Switch de Shinsekai : Into the Depths, le médium vidéoludique confirme une fois de plus son affection pour les grandes aventures aquatiques. Et aussi : le retour du grand Eric Chahi en réalité virtuelle avec Paper Beast et une double ration de dinosaures grâce à Bubble Bobble 4 Friends et à l’adaptation du dessin animé Gigantosaurus.
“Je vais appeler ces plantes ‘fleurs chatoyantes’ pour la manière dont elles attrapent la lumière.” A l’écran, il n’y a qu’un tableau de bord en surimpression sur une carte très stylisée avec quelques icônes à la signification plus ou moins claire, et pourtant, on est ailleurs, très loin. Le titre du jeu résume d’ailleurs assez bien la situation : In Other Waters. Nous sommes dans d’autres eaux, à moins que ce ne soient ces eaux autres qui aient pénétré à l’intérieur de nous. Une chose est sûre : on y est bien.
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Quand il cherche à nous emmener très loin, le jeu vidéo a, évidemment, souvent recours à la science-fiction, aux voyages interstellaires, aux planètes lointaines. Mais pas seulement : de temps en temps, il se souvient aussi que la situation peut se révéler tout aussi intéressante sous l’océan. Dans les années 1990, il y eut la saga Ecco, qui faisait du joueur un dauphin confronté à tout un tas d’événements étranges et dangereux – car, oui, aussi envoûtantes fussent-elles, les aventures sous-marines d’Ecco n’étaient pas de tout repos. Au cours de la décennie suivante, on se délecta du nettement plus paisible diptyque Endless Ocean, dans lequel la découverte de poissons rares était quasiment un but en soi.
Plus récemment, Abzu, avec sa virée planante qui en faisant quasiment un Journey aquatique, et Subnautica qui, pour beaucoup, fut l’un des tout meilleurs jeux de 2018, ont pris le relais. Aujourd’hui, ils sont deux à rejoindre cette grande et belle famille : Shinsekai : Into the Depths, qui vient de faire son arrivée sur la Switch quelques mois après sa sortie en exclusivité temporaire sur le service Apple Arcade, et, donc, In Other Waters qui, lui, mise moins sur l’illumination plastique que sur la finesse du dispositif et sur la puissance d’évocation des mots (en anglais seulement, malheureusement).
Robot compagnon
Shinsekai est le plus traditionnel des deux, prenant la forme d’un jeu d’aventure en deux dimensions relevant du sous-genre très à la mode du « Metroidvania« . Pour aller vite, on acquiert peu à peu des capacités qui nous permettent de pousser toujours plus loin notre exploration, ce qui, ici, prend la forme d’un voyage vers les profondeurs. Sauf que, justement, on ne va pas vite, du moins au début du jeu où notre premier objectif est de maîtriser nos déplacements sous l’eau, qui n’ont pas grand-chose à voir avec ce qu’ils seraient dans un jeu de plateforme ordinaire. Alors on saute, on flotte, on utilise notre petit propulseur dorsal pour amortir les chutes et on y prend goût.
Bientôt, on gagnera un petit poisson robot comme compagnon, et même un sous-marin dont on ne s’éloignera qu’avec précaution, surtout quand des crustacés géants ou des requins rôdent dans le coin. Tout est plus lent, donc, et c’est pourtant quand on repasse par des zones non immergées qu’on se sent lourd et laborieux. Sous l’eau, même dans le désordre le plus complet, notre scaphandrier aux allures de cosmonaute semblait voler.
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Pourtant, Shinsekai n’est pas un trip zen, pas un Abzu bis, mais un vrai jeu de « survie » dans lequel les pièges et les menaces ne manquent pas plus que les boss de série B et où, comme dans les vieux Sonic, on refait le plein de nos capacités respiratoires en traquant les bulles d’air sous la surface. C’est un jeu vidéo à l’ancienne, mais avec un twist, un petit truc qui en change beaucoup d’autres : l’eau. Ses décors, ses animaux et sa bande-son sont par ailleurs magnifiques.
Imagination
En matière d’aventures maritimes, c’est pourtant In Other Waters qui fait figure de révélation. Et de choc, même, en deux temps. D’abord lorsqu’on constate que, non, cette plongée dans l’océan mystérieux d’une planète qui ne l’est pas moins ne relèvera pas du son et lumière exotique, car pour « voir » les lieux visités et les bestioles qui y vivent, il faudra faire travailler notre imagination. Au commencement s’invite ainsi une petite frustration. Puis le temps passe, et il devient flagrant qu’on n’y perd pas au change, que la maîtrise des outils qui nous sont fournis (pour scanner la zone où on se situe, faire des prélèvements, utiliser ces derniers pour influer sur l’environnement…) est un plaisir en soi et que pour rien au monde, on ne voudrait que l’aventure se déroule autrement.
S’il y a quelque chose de profondément rétro dans le dispositif d’In Other Waters, qui rappelle certains jeux de simulation des années 1980, le mélange de paramètres sophistiqués à gérer et de minimalisme dans la mise en scène découlait à l’époque, avant tout, de contraintes techniques – ici, a contrario, il relève du parti pris assumé. Pour l’ancien journaliste (pour le site Eurogamer, notamment) devenu game designer Gareth Damian Martin et ses complices, ce n’est d’ailleurs pas faute d’avoir travaillé sur l’apparence des créatures qui peuplent cette mer. Ces dernières sont en effet au cœur d’un livre superbe disponible en version numérique sur Steam, lequel fait office de compagnon idéal pour In Other Waters (mais qu’il est recommandé de consulter plutôt après avoir terminé le jeu, pour ne pas se priver des joies de la découverte).
Seul le jeu vidéo
Alors on voyage dans le vert, le bleu et le jaune, guidé par des triangles et des petits ronds. Certaines formes bougent sur notre radar, alors il faut les suivre pour savoir ce qu’elles sont. On cherche à résoudre des problèmes de courants trop forts, on étudie une efflorescence de spores, on cherche notre route dans un réseau de caves sous-marines. Mais quelqu’un nous parle, à nous qui ne sommes, semble-t-il, qu’une intelligence artificielle lancée sur les traces d’une scientifique disparue du nom de Minae Nomura. C’est un jeu d’enquête et de dérive à la fois, un jeu anti-spectaculaire au possible et qui fait pourtant énormément d’effet. Et qui, pour le côté intime de l’affaire, gagnerait à se pratiquer en mode portable sur la Switch si la petite taille des textes ne rendait pas alors l’expérience presque douloureuse pour les yeux.
A sa manière discrète et pourtant intense, suivant sa ligne avec une assurance admirable qui témoigne aussi de la confiance dont son auteur fait preuve à l’égard du joueur, In Other Waters est de ces œuvres rares qui rappellent ce que le jeu vidéo, et lui seul, peut – comme, disons, Kentucky Route Zero ou Return of the Obra Dinn. Sensuel et philosophique, cryptique et pourtant lumineux, In Other Waters est aussi un jeu qui rend heureux.
In Other Waters (Jump Over the Edge / Fellow Traveller), sur Switch, Mac et Windows, de 12 à 15€
Shinsekai : Into the Depths (Capcom), sur Switch, environ 20€. Egalement disponible sur Apple Arcade.
Et aussi :
“Paper Beast”
Si le sien ne situe pas sous l’eau, c’est aussi à la découverte d’un monde radicalement autre que nous invite Paper Beast, le nouveau jeu en date du grand Eric Chahi (Another World, Heart of Darkness…) et son tout premier en réalité virtuelle. Paper Beast est une expérience : on regarde, on découvre, on improvise, en attendant de comprendre ce qu’on est censé faire. On frémit un peu, aussi, quand l’un de ses animaux de papier passe un peu trop près de nous – ou en tout cas de là où nos sens arrivent à nous persuader que nous sommes.
Avant tout, le joueur est ici le premier témoin d’une vie sauvage sans pareil, dont l’observation est le premier plaisir, même si les énigmes à résoudre occupent une place importante dans ce jeu qui relève aussi du puzzle game. La précision de l’interface ne se révèle pas tout à fait à la hauteur de la vision d’Eric Chahi, mais qu’importe ? L’essentiel est ici de pouvoir toucher, saisir, lancer et constater les effets de nos actions sur ce monde virtuel auquel nous sommes étrangers. Une roche volcanique fait fondre la glace. Des sortes de vers à deux têtes mangeurs de sable creusent un trou où s’en va l’eau, ce qui nous libère un passage. Plus loin, c’est nous qui éclairons les activités d’insectes (ou de crustacés ?) géants. Paper Beast est un jeu fascinant.
Sur PS4, Pixel Reef, environ 30€
“Bubble Bobble 4 Friends”
La sortie de sa version américaine et l’annonce de l’arrivée prochaine de nouveaux niveaux dans un DLC proposé sans surcoût aux acheteurs du jeu d’origine fournissent deux bons prétextes pour évoquer le dernier volet en date de l’irrésistible série Bubble Bobble, qu’on avait raté lors de son atterrissage sur le Vieux Continent à l’automne dernier. Depuis le jeu de 1986 qui est proposé ici en bonus, le principe de base n’a pas changé : il s’agit toujours, seul ou accompagné (par un à trois camarades, cette fois), d’emprisonner les monstres dans des bulles pour libérer chaque tableau, avant de passer au suivant. Entre-temps, l’affaire a quand même gagné quelques options et subtilités et ce nouveau jeu idéalement kawaii trouve un parfait équilibre entre l’accessibilité (pour les enfants, notamment) et le défi (avec ses 50 niveaux à refaire en mode « difficile » pour en voir vraiment la fin). Autant de raisons de donner encore un peu plus d’amour à ces bons vieux dinos de Bub et Bob.
Sur Switch, Taito / ININ Games, environ 40€
“Gigantosaurus”
L’une des meilleures raisons de fréquenter, malgré leur mauvaise réputation, les jeux à licence pour enfants, est qu’on y trouve souvent des traces de quelque chose de plus grand qu’eux. S’ils apparaissent comme des produits dérivés de films ou, dans le cas de Gigantosaurus, de séries animées, ils le sont traditionnellement au moins autant que certains grands jeux de leur temps. Gigantosaurus peut ainsi se voir comme un nouveau signe du regain de popularité que connaît le jeu de plateforme mâtiné d’exploration, dans le sillage de Super Mario Odyssey et de productions indés comme Yooka-Laylee, A Hat in Time ou Super Lucky’s Tale. Malgré quelques hoquets techniques (en tout cas dans sa version Switch), le jeu célèbre ainsi joyeusement les plaisirs de la déambulation rieuse et de la chasse au trésor. Les petits, qui pourront s’y mettre à quatre, auront de bonnes raisons d’apprécier.
Sur Switch, PS4, Xbox One et Windows, WildSphere / Outright Games / Bandai Namco, environ 40€
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