Depuis notre tendre enfance, la dimension sensuelle de l’expérience gustative est indéniable. Du lait maternel jusqu’à l’explosion du food porn, les liens entre ces deux entités sont omniprésents. Mais d’où viennent-ils ? Et pourquoi la société raffole-t-elle de ce couple sulfureux ?
Qui n’a jamais fantasmé devant la scène culte d’Il était une fois en Amérique, où l’alléchante charlotte russe fait office d’appât pour les services de Betty, friande de pâtisseries, obole nécessaire afin de partager la couche de la belle ? Le plaisir de la chair se voit alors assimilé à celui des papilles – un exemple loin d’être isolé.
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L’Histoire cul (linaire)
C’est une thématique omniprésente dans la culture. La peinture s’est régalée du mélange des fluides, d’un Manet et son Déjeuner sur l’herbe dénudé à une Mangeuse d’huîtres vorace de James Ensor qui fit scandale. Le salon triennal d’Anvers refusa même la toile en 1882 de par la symbolique du mets.
Casanova dans Histoire de ma vie se vante d’avoir perverti une jeune religieuse échappée d’un couvent dans un bordel de Venise “faisant l’amour et jouant avec des huîtres en les croquant de bouche à bouche. Il aimait les huîtres, le chocolat et le champagne”.
Le Ventre de Paris de Zola se nourrit de passerelles permanentes entre le sexe et la nourriture. Nathalie Hélal, autrice de Même les légumes ont un sexe, s’en amuse : “Certains amoureux vont même s’accoupler dans les Halles. L’auteur s’appesantit longuement sur la belle charcutière dont le portrait prend vite des allures charnelles. Elle est grasse, elle est rose, elle déborde de partout, avec ses doigts boudinés. Elle ressemble presque à de la chair à saucisse !”
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Maupassant, quant à lui, n’est plus dans la métaphore mais explicite totalement les corrélations. Dans Bel-Ami, le café Riche, situé sur les Grands Boulevards, point névralgique de Paris, est doté de cabinets particuliers qui sont les points de rencontres des bourgeois et des galantes compagnies, des lionnes du boulevard, des maîtresses. “Le restaurant est le lieu de la transgression, tous les cancans sexuels et les aventures y sont partagés, c’est le symbole de luxure où tout est possible. On mange, on boit, on batifole et plus si affinités” explique l’autrice.
Liaisons gourmandes et autres gâteries
Si les exemples ne manquent pas dans les grandes figures romanesques, et autres mondanités, de nombreuses entreprises ont compris l’intérêt lucratif de cette idylle. Pas besoin de contempler un tableau de maître, aujourd’hui, l’expérience se vit. Qu’il s’agisse de l’érotisation systématique des publicités culinaires, à l’explosion du food porn, les concepts titillant nos sens sont monnaie courante. Cependant, certaines maisons choisissent d’insuffler du chic à ce quotidien en proposant des dîners sensuels, comme Liaisons gourmandes.
Cette maison attache une importance particulière au dialogue, entremêlant l’érotisme et la gastronomie. Leur leitmotiv ? “Faire vivre une expérience sensorielle au prisme des goûts”, décrit Leslie Brochot, à l’origine du projet. Spécialisée dans les accords mets-vins, la jeune œnologue perçoit les similitudes entre dégustation et lecture suggestive : “Je suis allée voir le Verrou, créateur de podcasts de textes littéraires érotiques en leur exposant le projet d’un dîner mêlant l’ouïe, le goût, le toucher, l’odorat. Il s’agissait presque d’une évidence. En décembre 2018, Liaisons gourmandes voyaient le jour”.
De la matière du vin qui peut-être “ronde, corpulente, étoffée, charnue”, aux odeurs “animales, acides, salines”, jusqu’aux sensations “suaves, gourmandes, acidulées”, l’exigence du palet est aussi puissante quand il s’agit de la robe d’un bon vin que des arômes d’une peau.
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Le sexe et la nourriture touchent au même postulat, “le mélange des flux, des corps, l’éveil des sens. On ingère, on déguste, on stimule l’hormone du plaisir par un retour à quelque chose de bestial, d’instinctif, de naturel. Ils ont la même vocation de lâcher prise par le partage” surenchérit Leslie Brochot. En proposant un dîner, on ouvre la porte à l’imaginaire. Les mets sont des préliminaires classiques à l’expérience intime, “il est courant d’inviter à dîner quelqu’un qui nous plaît, et parfois même de le “dévorer des yeux”. Même si dans le cadre de Liaisons gourmandes, on bande les yeux pour stimuler d’autant plus le mystère…” précise la spécialiste.
La table et son caractère fédérateur peuvent faire office de langage universel. Un socle partagé de manière unanime, bien que les formes qu’on lui apporte soient propres à chaque pays.
Dis-moi comment tu manges, je te dirai qui tu es
L’intérêt accordé à ces sujets semble sociétal, comme si, tel un langage, il traduisait un savoir-vivre, une tradition, une vision qui fait de lui un nerf culturel. Si Liaisons gourmandes s’attache à défendre une esthétique de luxe “à la française”, dans certains pays, les coutumes sont tout autres.
La pratique japonaise du nyotaimori qui consiste à déguster des sushis sur son partenaire a beaucoup fait travailler l’imaginaire. Cet aspect culturel, Willy Pasini, le décortique dans Nourriture et amour : deux passions dévorantes. Le psychiatre et sexologue italien dresse un portrait érotico-alimentaire de nos habitudes afin de mettre en exergue notre psychologie. Pour lui, rien n’est anodin. La façon d’envisager la nourriture modifie de manière perceptible notre sexualité. Ce que nous mangeons influe donc directement sur la perception de notre corps, et donc sur notre rapport à autrui.
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Notre gourmandise pourrait-elle se répercuter sur notre générosité au lit ? Notre milieu social aurait-il alors un impact sur la façon d’aimer ? Le sexe et la nourriture touchent donc à notre essence, au prisme de l’existence, mais surtout répondent tous deux à des principes fondateurs. “Il y a une exaltation des sens, une jouissance dégoulinante qui naît des deux entités. Le pulsionnel de l’oralité, l’avidité du nourrisson pose les bases de cette quête de l’autre. On existe d’abord par autrui, en vampirisant l’essence vitale du sein maternel. Il y a le besoin symbiotique de retrouver une moitié… Lorsque l’on a bien mangé, ou dans l’acte sexuel, il y a la satisfaction ponctuelle de ce besoin vital”, nous décrit Marine Mazel, psychanalyste.
Le chef cuisinier étoilé, légende de la cuisine, Jacques Le Divellec décrivait justement : “La cuisine et la chambre à coucher sont très proches l’une de l’autre car la gastronomie et la sexualité sont toutes les deux une joie de vivre. Elles ont en outre ceci en commun que la cuisine ne peut pas se faire n’importe comment et l’amour non plus..”
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