Supermodels des nineties de retour sur les catwalks, pop-stars désuètes transformées en icônes mode : après avoir remixé les codes et les tendances, le monde du luxe sample aujourd’hui des personnalités.
En janvier 2018, Kim Jones tire sa révérence après sept ans de bons et loyaux services à la tête de la création masculine chez Louis Vuitton. Pour son dernier salut, celui qui est désormais à la tête de Dior homme apparaît bras dessus bras dessous avec Naomi Campbell et Kate Moss : deux personnalités légendaires, icônes d’époques révolues, qui valident, par cette proximité, l’importance du designer. Ces femmes, qui ont marqué les années 1990 et 2000, le placent ainsi en continuité avec leur propre histoire : Kim Jones symbolise dès lors les années 2010, qu’il clôt ce jour-là.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Louis Vuitton n’est pas le seul à communiquer en flash-backs : fin 2017 déjà, le défilé Versace se concluait par une apparition de Donatella entourée des “Fantastic Fives”, à savoir Naomi Campbell, Cindy Crawford, Helena Christensen, Carla Bruni et Claudia Schiffer.
La collection d’Yves Saint Laurent qui fit scandale en 1971 brisait déjà le tabou de l’Occupation
Une façon de tracer une linéarité dans le discours de la marque, qui travaillait avec ces femmes il y a vingt ans. Sans oublier un facteur clé : elles apparaissent avec un visage et une corpulence quasi inchangés – afin de suggérer qu’après avoir déconstruit le genre, la toute-puissance du luxe a la force d’anéantir le temps qui passe.
Métaphore d’un fantasme d’époque, provocation déguisée, rebranding habile : le revival d’un style ou d’une personnalité est fréquent dans le milieu cyclique de la mode. La collection d’Yves Saint Laurent qui fit scandale en 1971 citait les années 1940 et brisait l’immense tabou de l’Occupation.
Dans les années 1980, les pièces punk, que Vivienne Westwood mâtinait de références aux pirates d’antan, devenaient porteuses d’un message anarchiste assumé. Et au tournant du millénaire, la haute couture de John Galliano débordait de références à la Révolution française, comme un symbole du bouleversement du luxe aristocratique.
Paris Hilton au premier rang des défilés
Désormais, une différence clé s’opère : avec des tendances en vive accélération, les créateurs n’ont plus à fouiller dans l’histoire mais simplement à se pencher sur la décennie en cours. Les référents invoqués sont si proches qu’il leur est même possible de réveiller, au passage, l’égérie de l’époque.
Ainsi, en plein retour des années 2000 et de sa logomania joyeusement bling, c’est Paris Hilton qui revient au premier rang des défilés et des tapis rouges. Ce micro-come-back (elle n’a même pas eu le temps de disparaître) recouvre un revival à 360 degrés : le néovintage, tendance citée et radicalement retravaillée (notamment chez Dior, Gucci, Vuitton), mixe la star d’antan (Paris et un énième caniche), avec son équivalent actuel (Gigi Hadid, néo-Paris incarnant les même valeurs et critères de beauté à l’américaine).
Idem pour Cindy Crawford, de retour à l’avant-scène du luxe : alors que la mode schizophrène est déjà fatiguée de ses street castings et réclame un retour aux “vrais” top models, Cindy accompagne et valide le succès de sa fille, Kaia Gerber, nouvelle égérie Chanel à l’âge de 16 ans. Soudain, la maman invoque une souveraineté modeuse et une sorte de passation de pouvoir. Elle devient une capsule importée de la grande époque du mannequinat, avec un look parfaitement inchangé.
Relancer les “belles endormies » de la mode
Plus que de simples retours, ces come-backs sont des renouveaux hautement chorégraphiés et “curatés” afin de réécrire la mémoire collective et sélective d’une marque, d’une époque, d’une personne. Qui de mieux, pour appuyer un intellectualisme au cœur de l’ADN de la maison Céline, que Joan Didion, son égérie en 2015, dont on ne mettra en avant que la carrière et le style (et non la vie personnelle, bien moins heureuse) ?
Et les choses se complexifient quand le public de mode va de 14 à 77 ans, des ados ultraconnectés à la cliente de luxe classique : un branding doit permettre pléthore de lectures simultanées, pouvant cohabiter sans se cannibaliser.
Ainsi, des maisons classiques comme Balenciaga ou Saint Laurent doivent autant attirer par leur offre de tailoring que par des référents sous-culturels. Idem pour les “belles endormies”, ou les maisons relancées telles que Léonard, Carven, Schiaparelli, Poiret : elles doivent autant convaincre les clientes qui se souviennent de leur ancienne incarnation que la nouvelle génération. Et qui de mieux qu’une star d’antan à l’image intelligemment remaniée pour proposer une identité plurielle ?
Dior ou Dion ?
C’est en tout cas cette hybridité qui fait le succès actuel de Céline Dion, que les maisons de haute couture autant que les labels underground s’arrachent. Chez les millennials nés dans les années 1990, elle incarne un kitsch délicieux cité par Vetements ou Xavier Dolan, dans une mise en abyme d’une décennie qu’ils ont à peine connue.
Pour les femmes plus âgées, Céline Dion dénonce l’âgisme dans la mode, l’invisibilisation des femmes lors de la ménopause ; et, pour l’Amérique du Nord, elle incarne une sorte de Johnny au féminin. Ainsi, la personne devient son propre remix de signifiants, une identification double ou triple, une proximité locale, fantasmée ou folklorique.
“Un revival est rarement passéiste, c’est une sorte de transmutation génétique, une hybridation de souvenirs fantasmés et de codes contemporains, une histoire observée et remaniée avec les problématiques genrées de l’époque. Ce n’est pas de la nostalgie mais une invention à part entière”, explique Christine Phung, qui a pris les rênes créatives de la maison française Léonard. Et ceci est vrai pour la réinvention de soi aujourd’hui : une démultiplication samplée à l’infini, IRL ou 3.0, pensée pour une profusion infinie de regards fantasmés…
{"type":"Banniere-Basse"}