A grand renfort d’ouvertures dans la capitale, la cuisine israélienne entend démontrer qu’elle n’a rien à envier à la culture gastronomique française. Décryptage d’un art culinaire bien plus déluré qu’il n’y paraît.
Son établissement londonien est un carton du genre ultra branché, qui fait ramper toute une communauté de gourmets, crocs affûtés et smartphones prêts à mitrailler. Ambiance Mahane Yehuda – le célèbre marché de Jérusalem – en plus maîtrisé, The Palomar, la table du chef israélien Assaf Granit, casse les codes de la cuisine israélienne. Il déstructure le kebab, rend hype la challah – la fameuse brioche juive de Shabbat – et s’attaque aux shishbaraks, spécialité de raviolis grillés. “Notre cuisine est ‘nouvelle’ pour le monde. Et basée sur des produits frais, sains et surtout un manque total de conformisme, explique le chef. Nous doutons toujours, faisons et défaisons, c’est ainsi que notre cuisine évolue. Et nous modernisons sans cesse nos traditions.”
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Et c’est de l’autre côté de la Manche, rue d’Alger dans le Ier arrondissement de Paris, qu’Assaf Granit a encore frappé. Au cœur de l’été a ouvert Balagan – “Joyeux bordel” en hébreu –, le nouvel établissement du trio de l’Experimental Club. Même cuisine dévergondée, même ambiance show-off que l’établissement londonien de Granit. Là encore, la recette est gagnante.
“Un avant et un après-Miznon”
A Paris, Miznon, la cantine du chef israélien Eyal Shani, inaugurée en 2013 dans le Marais, a joué le rôle de locomotive. Ses pitas twistées au bœuf bourguignon et son chou-fleur rôti au four sont désormais aussi mythiques que les falafels de son voisin Chez Marianne. “Il y a eu un avant et un après-Miznon”, explique Pierre Bouko Levy, qui a aiguisé ses lames là-bas avant d’ouvrir Mulko, son premier restaurant, il y a quelques semaines.
Dans son nouvel établissement du Xe arrondissement de Paris, ce jeune chef revisite la popote de ses aïeux avec des produits locaux. Ainsi le crush kebab, un mélange de viandes françaises écrasé sur la plancha et lové dans un pain pita, et la meorav, une recette traditionnelle de Tel-Aviv à base d’abats, sont remasterisés version streetfood.
La cuisine de la Terre Sainte ? “Généreuse et affranchie, qui ne s’embête pas de chichis”, résume Annabelle Schachmes, journaliste et auteure de La Cuisine juive aux Editions Gründ. “Israël est avant tout un terroir avec des produits magnifiques et des épices inexistantes ailleurs”, ajoute-t-elle. Cette cuisine est également issue des traditions culinaires de la diaspora, même si aujourd’hui les questions ethniques et géographiques ont remplacé le côté religieux. Si les peuples anciens commencèrent à utiliser des ingrédients “bibliques” – le miel, les figues et des aliments locaux comme la grenade et les pois chiches –, la nouvelle cuisine israélienne est beaucoup plus tournée vers l’international.
Le précurseur Yotam Ottolenghi
A la création de l’Etat d’Israël, en 1948, on ne mangeait pas pour le plaisir. Depuis une vingtaine d’années, Israël se construit une identité gastronomique qui s’affranchit des clivages religieux et de la cacherout – les interdits alimentaires dictés par la Torah – tout en s’ouvrant sur le monde. En précurseur, le chef Yotam Ottolenghi a achevé de familiariser les peuples européens avec Israël et ses mets.
Ses livres se vendent comme des petits pains et, très vite, une jeune génération de chefs s’est revendiquée héritière de sa cuisine saine basée sur les produits de la terre. “Je crois que les clients en ont marre des concepts prise de tête… Et ça tombe bien, car la cuisine du Moyen-Orient est fondée sur des valeurs traditionnelles”, explique Annabelle Schachmes.
Nombreux sont les jeunes chefs français à avoir pris le pli. Julien Sebbag, cuisinier à domicile, dresse ses plats à même la table sur des feuilles de papier sulfurisé. Les fourchettes s’entrechoquent dans une ambiance de partage. Chez Salatim, petite cantine qui vient de poser ses casseroles en plein Sentier, toutes les générations se confondent : les vieux battent les cartes devant des belles assiettes composées et les plus jeunes sont accros au sandwich schnitzel du chef Yariv Berreby.
Des spécialités métissées
“C’est la recette de ma mère”, confie-t-il depuis sa kitchenette. Une belle baguette, quelques schnitzels bien croustillants, du concombre mariné, du chou rouge et des carottes, le sandwich fait s’allonger une impressionnante file d’attente sur le trottoir chaque midi. “Salatim fait perdurer des traditions familiales et Yariv est fidèle à la cuisine de ses ancêtres”, confie Annabelle, son amie de longue date.
Alors que le pays n’est pas très étendu, les spécialités y sont plus métissées que nulle part ailleurs. Prenons l’exemple du houmous. Encore aujourd’hui, Israël et le Liban, voisins frontaliers, se disputent la paternité de ce plat. Mais nous ne nous prononcerons pas.
Balagan 9, rue d’Alger, Paris Ier
Miznon 22, rue des Ecouffes, Paris IVe
Mulko 29, rue d’Enghien, Paris Xe
Salatim 15, rue des Jeûneurs, Paris IIe
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