Une centaine de militants de la CFDT étaient allés le chercher à son hôtel, alors qu’ils se mobilisaient pour la survie de leur usine.
Le 8 mars 1979, il est environ 1 heure du matin quand une centaine de militants de la CFDT cueillent Johnny Hallyday à son hôtel. Le rockeur sort d’un concert à Metz, où sa voix puissante a ravi ses fans venus découvrir son nouvel album, Hollywood, sur scène. Son tube, Le bon temps du rock and roll, repris d’un titre de Bob Seger, est un carton. Mais ce n’est pas au centre des préoccupations du comité d’accueil qui le surprend à cette heure tardive.
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Johnny s’est “prêté de bonne grâce à la demande des sidérurgistes”
Les syndicalistes, venus de Longwy, en ont gros. Ils sont en pleine lutte contre un plan de licenciement chez Usinor, le grand groupe sidérurgique français. Pour sauver les aciéries, l’Union locale CFDT multiplie les actions coup de poing dans l’ensemble du pays Haut lorrain. “Ils sont dans un moment de lutte intense, 6000 emplois sont menacés, ils font donc feu de tout bois”, relate l’historien Xavier Vigna, auteur d’une Histoire des ouvriers en France au XXe siècle. La venue de Johnny dans la ville voisine était une aubaine, et sa visite “forcée” du site fera date.
Encadré par la délégation d’ouvriers, le chanteur se prête sans difficultés à cette promenade nocturne qui se prolonge jusqu’à 3h du matin, suivie par une flopée de journalistes et de photographes qui n’en perdent pas une miette. Dans une brève, Le Monde rapporte l’événement et la “surprise” de l’artiste, qui s’est “prêté de bonne grâce à la demande des sidérurgistes, affirmant que si sa présence pouvait les aider, il en serait ‘ravi’”.
Johnny “aime le peuple quand il se rebelle”
Pour les syndicalistes, l’objectif de l’opération est double : profiter de l’aura de la star pour apporter un éclairage médiatique national sur leur situation, et montrer qu’ils peuvent “faire autre chose, pour sensibiliser l’opinion publique, que de se heurter aux forces de l’ordre”, comme l’explique l’un d’eux à l’époque au quotidien du soir.
Sur les photos, Hallyday porte un casque de sidérurgiste sur lequel on lit : “Longwy. SOS, emploi. CFDT”. Clope au bec, enveloppé dans un grand imper beige, il observe, écoute, interroge.On le prendrait presque pour un candidat en campagne. C’est que l’idole des jeunes, malgré les a priori hérités de l’ère Sarkozy (qu’il a soutenu en 2007), “aime le peuple quand il se rebelle”, estime l’historien Yves Santamaria, auteur de Johnny, Sociologie d’un rockeur (éd. La Découverte).
“J’en garde un bon souvenir et surtout un super contact humain”
Pourtant, quelques jours plus tard, cette visite presque de routine devient, dans un autre article du Monde, une “séquestration”. D’autres évoquent un “enlèvement”. Le 10 mars, une grande manifestation intersyndicale de “riposte aux brutalités policières et de sauvegarde de l’emploi” a lieu près des aciéries d’Usinor, à Denain. Entre les slogans “Non à l’Europe du chômage !”, “Flics fascistes !”, “Chômage, ras-le-bol !”, les “Longwy” chantent du Johnny, “en souvenir d’une récente séquestration”.
Interrogé trente ans plus tard sur cet épisode, alors que les sidérurgistes de Florange se mobilisaient, Johnny affirme : “Enlevé, c’est un bien grand mot. Effectivement, c’était après un spectacle. Ils étaient venus à l’hôtel et je les avais accompagnés sur le site. Ils m’ont fait visiter les installations. J’en garde un bon souvenir et surtout un super contact humain.”
“Johnny a un parcours politique beaucoup plus complexe que ce qui va rester”
S’il ne fait certes pas partie de la famille des chanteurs engagés, à l’instar de Jean Ferrat ou de Bernard Lavilliers, on trouve tout de même une référence au monde ouvrier dans un de ses textes: “Il existe une référence, dans La Génération perdue, en 1966, une année où il l’a d’ailleurs chantée à la Fête de l’Humanité. C’est un dandy démocratique, de l’époque où l’ouvrier peut aspirer à devenir Baudelaire”, constate Yves Santamaria.
D’ailleurs, si Johnny est aujourd’hui catalogué comme “de droite” en raison de ses soutiens successifs à Giscard d’Estaing, Chirac et Sarkozy, la réalité est comme souvent plus nuancée. “Johnny a un parcours politique beaucoup plus complexe que ce qui va rester après Sarkozy. Son père était un militant de gauche, correspondant d’un journal gauchiste pendant la Guerre d’Espagne. Ses premiers contacts politiques étaient des résistants et des mendésistes. Et il a voté pour Mitterrand en 1965”, remarque Yves Santamaria.
Certes, il ne faudrait pas métamorphoser à peu de frais Johnny en égérie de la lutte contre les licenciements – même si, d’après Santamaria toujours , “on écoutait (aussi) Johnny dans les usines occupées de Mai 68” –, mais il n’en demeure pas moins LE chanteur populaire par excellence. Ce qui explique qu’il “adore le peuple, puisque c’est son public”.
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