Dans une enquête produite par Disclose, Envoyé Spécial révèle comment Lactalis se croit au-dessus des lois, et sanctionne les salariés qui dénoncent ses dérives.
Pendant un an, le média d’investigation Disclose – qui rassemble Mediapart, Brut, France Culture, Envoyé Spécial, et The Guardian en Angleterre – a enquêté sur Lactalis. Anciens salariés, policiers de l’environnement, élus et cadres de la compagnie témoignent dans un documentaire diffusé jeudi 22 octobre sur France 2, dans Envoyé Spécial : “Lactalis au-dessus des lois ?” On y découvre – dans la foulée de plusieurs articles publiés en ce début de semaine – que le géant mondial des produits laitiers, qui détient 70 usines sur tout le territoire (et 270 dans le monde), fait régner le silence en interne, évince les éléments perturbateurs qui dénoncent ses dérives en matière de sécurité alimentaire, et pollue les rivières en toute impunité, malgré les tentatives de sanctions.
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Le scandale “était inévitable”
Dans ce documentaire, un premier volet concerne la sécurité alimentaire. Si le nom de Lactalis n’est pas inconnu, c’est que le groupe, qui fabrique des tonnes de produits vendus en supermarchés – camembert Président, roquefort Société, lait Lactel, petits pots La Laitière… -, est mis en cause dans l’affaire du lait infantile contaminé, qui a provoqué une salmonellose chez 38 nourrissons en France. L’épicentre du scandale était l’usine Lactalis de Craon, en Mayenne, où la présence de salmonelles (une bactérie) avait été détectée dans des boîtes de lait en poudre. L’action juridique, qui réunit deux cents plaintes, est toujours en cours. Or, pour un ancien cadre de cette usine, qui témoigne anonymement dans Envoyé Spécial, ce scandale “était inévitable”, tant Lactalis privilégie le profit, au détriment de la qualité et de la santé alimentaire. La journaliste Marianne Kerfriden a également recueilli les témoignages de deux anciens salariés de Lactalis, dans deux usines différentes, renvoyés alors qu’ils dénonçaient notamment le recyclage des fromages (le fait que des camemberts tombés au sol soient remis dans la chaîne de fabrication).
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Des produits “très hautement toxiques” déversés
Dans un second volet, Envoyé Spécial met en lumière le dédain de Lactalis pour l’environnement. En effet, les usines de la société consomment une quantité très importante d’eau, et de produits chimiques pour nettoyer les cuves. Plusieurs témoignages et des documents rapportent que ces produits sont déversés en toute illégalité dans les cours d’eau, comme c’est le cas par exemple au pied du Vercors, à Saint-Just-de-Claix, où coule l’Isère. Alors que le maire tente de contraindre l’usine à se raccorder à la station d’épuration de la commune, celle-ci refuse, et les mises en demeure de la préfecture n’y changent rien.
Alors qu’une plainte avait été déposée en 2017 contre Lactalis, des inspecteurs de l’Office Français de la Biodiversité (OFB) témoignent du sentiment d’impunité de l’usine, qui rejetait 600 kilogrammes journaliers de détergents industriels “très hautement toxiques”. En 2018, Lactalis avait été condamnée à payer 50 000 euros d’amende – soit une somme indolore. Pour Lactalis, il est plus rentable de s’acquitter de ces amendes modestes, que de respecter la loi. A Saint-Florent-le-Vieil (Maine-et-Loire), ces rejets toxiques ont causé la mort de nombreux poissons, à tel point que le vice-président de la Fédération de pêche parle de “banditisme environnemental”. Mais rien n’y fait.
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L’Etat laisse-t-il faire ?
La question qui taraude réside en fin de compte dans l’autorité de l’Etat face à cette entreprise qui emploie 15 000 personnes en France. Les réponses alambiquées de la ministre de l’Ecologie, Barbara Pompili, à ce sujet, ne laissent pas d’inquiéter. Au motif qu’il y a un “environnement économique et social” à prendre en compte, l’environnement semble être secondaire : “Sur des petites non-conformités, il peut y avoir des moments où on se dit ça peut passer”…
Lactalis au-dessus des lois ?, une enquête de Marianne Kerfriden, Inès Leraud, Geoffrey Livolsi et Mathias Destal avec Disclose, dans Envoyé Spécial le 22 octobre, sur France 2, à partir de 21h05
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