Dans la petite école du centre d’hébergement d’urgence pour migrants à Ivry-Sur-Seine dans la région parisienne, Unicef a organisé des ateliers afin d’interroger les enfants migrants sur leur vision de l’école idéale.
A quoi peut donc ressembler l’école idéale de ceux qui n’y ont parfois jamais mis les pieds ? A l’heure où les élèves font leur rentrée, d’autres enfants espèrent et rêvent de prendre place dans une classe. Pour l’Unicef, il est important de rappeler que les enfants réfugiés et migrants ont également droit à cet espace d’apprentissage, d’éducation et de partage. Et ce, peu importe leur situation et leur statut. Au cours de l’année écoulée, l’organisation a mis en place le projet “Mon école idéale”, dans l’établissement scolaire installé dans le centre d’hébergement d’urgence pour migrants à Ivry-Sur-Seine, près de Paris, afin de donner à ces enfants la possibilité de réfléchir à l’école de leurs rêves.
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Derrière des longs grillages, le centre s’étend sur 5 000m2 et occupe le site de l’ancienne usine des eaux à Paris. Une fois passé un portillon surveillé par un gardien, des yourtes, des bâtiments en bois montés sur pilotis au-dessus des bassins, des préfabriqués se laissent enfin apercevoir. Un grand village humanitaire destiné à accueillir environ 350 personnes dites “vulnérables”, c’est-à-dire des familles, des couples, des femmes seules. Elles y sont logées pour une courte durée, généralement entre six et huit semaines, le temps d’effectuer leur démarche de demande d’asile. Financé par la mairie de Paris et par l’Etat, le centre est géré par Emmaüs solidarité depuis son ouverture en janvier 2017. Un espace pour permettre aux migrants, au moins un court instant, de reprendre pied.
Pas loin de l’entrée du site, une petite école se loge dans un préfabriqué. Quatre classes, des professeurs volontaires dévoués et des dizaines de gamins de tous âges. Les nationalités se mélangent, les enfants viennent d’Erythrée, de Somalie, de Libye, d’Egypte, d’Afghanistan, du Pakistan, de Syrie, de Géorgie, d’Ukraine, du Rwanda,… Peu d’entre eux parlent le français, la débrouille est de mise pour communiquer. Un peu d’anglais, un peu de leur langue maternelle. Le rire et le jeu font office de langage universel.
Une semaine d’ateliers créatifs
Durant une semaine du mois de mai 2018, des ateliers y ont été organisés par Unicef. Au programme : photographie, peinture, écriture. Le thème choisi est donc celui de l’école, l’idéale, celle rêvée. Dans l’une des petites salles de l’école, alors que les élèves nettoient les tâches de peinture laissées sur les tables, Paniz dévoile les tableaux produits lors de cette semaine créative. L’artiste iranienne invitée pour animer l’atelier confie que les enfants de l’école n’avaient aucune idée de ce que représentait l’école idéale au début de l’atelier. La raison est simple, beaucoup d’entre eux n’avaient jamais mis les pieds dans un établissement scolaire dans leur pays. “Pour eux, l’école idéale c’est un endroit où ils sont heureux et leurs amis aussi, un espace avec plein de nationalités où ils peuvent être tranquilles”, nous explique l’artiste peintre. Une sorte de refuge après des étapes difficiles pour ces enfants, un lieu de rassemblement, au calme, enfin.
Rachida vient du Koweït mais est apatride. Sur son tableau, une petite fille comme elle enlace une pile de bouquins au milieu d’un ciel mauve étoilé. “Je veux apprendre, avoir beaucoup de livres et connaître plein de choses”, nous dévoile-t-elle, pleine d’envie. A côté, une peinture colorée avec des personnages au corps géométrique de différentes formes. Les carrés, les cercles, les rectangles représentent les différentes nationalités des élèves de l’école. “Que toutes les personnes issues de différents pays et de plusieurs générations puissent être ensemble, c’est ça l’école idéale”, une leçon de vivre ensemble de la part de cette élève âgée d’une dizaine d’années.
La peinture qui nous interpelle particulièrement est celle d’une femme, représentée sans bouche et sans nez, mais avec des yeux immenses. Shukrya a 18 ans, elle est la plus âgée de l’atelier et vient d’Afghanistan. La femme sur son dessin a de grands yeux car “elle peut tout voir”. Si elle n’a pas de bouche, c’est parce qu’elle ne peut pas parler. Et “quand on ne peut pas s’exprimer, on ne peut plus respirer”, assure-t-elle, d’où le fait de ne pas dessiner de nez. Ce dessin représente toutes les femmes de son pays. Un discours déchirant de la part de cette adolescente, terriblement consciente de la situation discriminante et dangereuse que vivent les femmes en Afghanistan. “L’école idéale est un endroit où je peux être libre, où je peux m’exprimer, où je peux penser”, expose la jeune fille.
« Plus tard, je veux devenir photojournaliste »
Dans la salle en face, se trouvent les apprentis photographes. Difficile pour ceux-ci de lâcher l’appareil, heureux d’avoir découvert une nouvelle activité. Shayda Hessami qui leur donne cours cette semaine, épaulée par Pierre Terdjman du collectif Dysturb, est présidente de l’association Aide Humanitaire et Journalisme (AHJ) et photojournaliste. Elle a déjà travaillé à plusieurs reprises dans des camps de réfugiés en Irak où, là aussi, plusieurs nationalités se côtoyaient. “Ils ne connaissaient rien en photographie. Ils ont commencé par toucher l’appareil, à prendre des photos à tout va, mais au fur et à mesure, ils ont pris conscience qu’ils devaient faire attention à l’image. On a travaillé chaque jour, on a fait des projections, on regarde les images et ils évaluent les photos pour apprendre la composition”, commente la photographe, admirative de l’évolution et de l’intérêt des enfants.
Kochi à 12 ans. Elle aussi vient d’Afghanistan. Cette initiation lui a permis de développer des nouvelles aspirations. “J’adore la photographie, plus tard je veux devenir photojournaliste”, déclare-t-elle. “J’ai pris des photos des enfants de l’école parce que je voulais garder ce moment. J’aime prendre des photos des enfants en train de jouer et de rire.” Pour elle, la plus belle école, c’est celle-ci. “C’est ma première école, parce qu’en Afghanistan, il y a la guerre et je n’ai pas pu y aller”, nous confie-t-elle. Heureuse d’apprendre à lire et à écrire en français, elle raconte beaucoup travailler en dehors de l’école avec son grand frère pour s’améliorer davantage.
Grand succès de l’atelier également auprès de Karen, 13 ans. Originaire d’Egypte, celle-ci raconte avoir particulièrement aimé prendre des photos de ses amis “parce qu’ils étaient beaux”. “J’aime le sentiment quand je prends une photo, maintenant je sais prendre des photos. J’ai ressenti du bonheur et de la joie, j’ai été surprise”, confie-t-elle. Ce n’est pas la première fois que Karen est scolarisée. Elle a étudié pendant trois ans au Danemark avant de venir en France. Aux alentours de ses six ans, elle se rendait à l’école dans son pays. “J’aimais beaucoup l’école mais je n’aimais pas les professeurs parce qu’ils frappaient et moi je n’aimais pas ça. J’aime beaucoup l’école ici, je veux venir même le week-end”, raconte-t-elle à sa professeure, Somaya.
Des leviers de cohésion difficile à constituer
Présente depuis l’ouverture de l’école en janvier 2017, Somaya est professeure de français langue étrangère. Travailler avec des enfants migrants n’est pas simple, parce qu’ils restent au maximum trois mois, certains moins longtemps voire une seule semaine. “Ici, on n’a pas le temps ni les conditions pour travailler sur une progression pédagogique en termes de contenu. L’objectif premier c’est d’en faire des élèves, qu’ils comprennent le métier d’élève. Qu’ils y adhèrent ou pas, ça c’est une autre chose, mais il faut qu’il le connaisse”, explique la jeune enseignante. “C’est très compliqué d’accueillir quand il y a beaucoup d’arrivants. C’est difficile de constituer des leviers de cohésion. Déjà, il y a la barrière de la langue entre eux et puis il y a l’âge.” Le projet initié par Unicef a permis à beaucoup d’enfants de créer des liens et d’explorer leur créativité.
Les élèves sont dans la plupart des cas très enthousiastes à l’idée d’entrer dans une salle de classe. “Dans le camp, l’école est un espace en dehors du cadre familial. Les chambres sont petites, ils sont les uns sur les autres. L’école est un espace qui leur appartient”. De nombreuses photos sont accrochées sur les murs du préfabriqué, une manière de laisser une trace. “Dans ma classe, j’ai des petits portraits de tous les enfants qui sont passés. Un jour un élève m’a dit ‘ah lui je le connais je l’ai rencontré en Serbie’, j’étais effondrée. Là maintenant il est à Toulouse. C’est quelque chose de complètement différent de la conception que l’on se fait nous des relations amicales et de la sociabilisation. Ils savent que les choses sont éphémères. Parfois ils te disent ‘à quoi bon?’.”
C’est notamment le cas de Karen, l’apprentie photographe. Somaya se souvient : ”Un jour elle m’a dit : ‘Madame, à quoi ça sert que j’apprenne le français, je suis restée trois ans au Danemark où j’ai appris à lire et à écrire. On nous a dit que si j’apprenais le danois j’allais pouvoir rester mais on n’est pas resté’. Quel levier de motivation tu mets en place dans ce genre de cas ? Quel sens donnes-tu à ton travail ?”.
Cette école est la première dans un centre d’hébergement d’urgence en France. “C’est encore trop tôt pour savoir si c’est une bonne idée. L’avantage c’est d’essayer de leur donner une scolarisation le plus rapidement possible, par exemple pendant les grandes vacances, où il n’y a pas de structures pour les encadrer. Aussi, on peut s’adapter à leur situation. Parmi les désavantages, ils ne rencontrent pas des enfants français, ils ne sont qu’entre eux c’est ‘Tu viens d’où ? Ah chez toi aussi c’est la guerre ?’”, s’interroge la professeure. “Il faut voir sur le long terme si c’est une bonne solution.”
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