Faire la fête au p’tit déj avant d’aller bosser : voilà le programme joyeusement détox des parties « Morning Gloryville », lancées à Londres en 2013 et qui viennent de débarquer à Berlin.
Il n’y a pas d’heure pour faire la fête à Berlin. Pas une soirée qu’il ne soit possible de faire durer jusqu’aux heures blêmes, au zénith ou au prochain coucher de soleil. Mais aller danser aux aurores sans être arraché et avec une bonne nuit de sommeil derrière soi tient plutôt ici de la fantaisie, la plupart des clubbers préférant s’oublier un week-end entier dans les clubs et aligner fièrement les tampons sur leur avant-bras, façon décorations de guerre.
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Les fêtes « Morning Gloryville », elles, veulent en faire un style de vie. Lancées à Londres il y a deux ans par le duo improbable formé par Samantha Moyo, organisatrice d’événements culturels et Nico Thoemmes, thérapeute corporel, elles ont depuis essaimé dans une quinzaine de villes à travers le monde, de Sydney à San Francisco, en passant par Tokyo, Barcelone et même Paris. Ces raves matinales ont logiquement fini par arriver à Berlin.
Italo-disco et smoothies de légumes
Mercredi 28 janvier, 7h30. Il fait encore nuit, mais les trottoirs de la capitale allemande sont bondés de gens qui partent travailler. Seules les basses du Neue Heimat résonnent au fond de la RAW-Gelände endormie, cette immense friche de Friedrichshain aux airs de village du clubbing où déferle chaque week-end la jeunesse européenne. À l’intérieur, quelques centaines de clubbers dansent énergiquement sur l’italo-disco d’une Djane arborant une afro peroxydée. Ni bière ni gin tonic au comptoir, mais du café bio et des smoothies de légumes aux noms revigorants de « Red Power » et « Green Machine ».
« Le café est très fort, il fonctionne donc très bien ! », lance Kathleen, 21 ans et de longues plumes rouges en guise de faux-cils. Elle s’est levée aux aurores avec sa bande de potes pour être de la fête, qui dure à peine quatre petites heures, de 6h30 à 10h30. Le week-end, il lui arrive souvent de danser à cette heure-là dans les clubs de la ville, mais avec une nuit blanche derrière elle. « Quand j’ai commencé à danser ce matin, j’ai remarqué que même sans alcool et sans drogue je suis tout de même complètement grisée. C’est une belle expérience, c’est un peu comme faire du sport », ajoute-t-elle. Son programme après la fête ? « Dormir, d’abord ! Et puis aller à la fac », lance-t-elle en s’esclaffant avant de disparaître dans la foule colorée qui célèbre le lever du soleil face à une bannière sur laquelle il est écrit : « Guten Morgen ».
Le matin gris filtre peu à peu à travers la verrière de cette ancienne halle industrielle. « C’est important que la lumière du jour puisse entrer puisque nous célébrons le jour qui arrive », explique l’euphorique Marta Cornellana, une journaliste de 37 ans originaire de Barcelone aux grands yeux turquoises et à la tignasse rebelle qui organise depuis décembre la Morning Gloryville Berlin une fois par mois avec son acolyte Tom Barber, un prof de yoga anglais. « Tu peux à la fois le voir comme une façon de faire du sport le matin ou comme une rave sans alcool et sans drogues. La première fois que je suis allée à une Morning Gloryville à Londres, c’était une sensation vraiment nouvelle pour moi de faire la fête de manière totalement consciente. » Elle appelle ça une « détox party », arguant qu‘« en commençant ainsi sa journée, elle ne peut être que merveilleuse ».
La musique est suffisamment forte et entraînante et la concentration d’endorphines dans la foule assez élevée pour plonger dans la fête sans difficulté aucune, un peu comme quand on se réveille cramé par le soleil au milieu d’un festival et que la première chose qu’on trouve à faire est de prendre la direction des scènes. Alex, 31 ans, un pubard au casque vélo transformé en boule à facettes vissé sur le crâne, a de toute façon l’habitude d’aller le dimanche matin à jeun au « Panne-Bar », comme les Berlinois surnomment avec désinvolture le club perché au deuxième étage du Berghain. Il embauche à 9h30. « Quand on sort d’ici, on démarre sa journée de travail bien plus motivé que d’habitude. Le travail fait plus plaisir, même s’il est ennuyeux », s’amuse-t-il.
« Les gens sont bien plus beaux quand ils n’ont pas bu »
Beaucoup sont venus déguisés, affichent des maquillages psyché ou des accessoires qu’on retrouve souvent dans les poubelles des festivals : plumeaux arc-en-ciel, poneys en peluche, couvre-chefs hors d’âge. Le caleçon imprimé de paysages interstellaires opalescents porté avec des chaussettes tirées au maximum sur le mollet fait fureur ce matin-là, chez les filles comme les garçons. Tous semblent avoir joué le jeu du « no drugs, no alcohol and no sleepness night » à voir la fraîcheur des visages. « Les gens sont bien plus beaux quand ils n’ont pas bu », fait remarquer Dagmar, une des rares clubbeuses à avoir dépassé les 60 ans, rouge aux lèvres et lunettes cerclées d’or, ravie de pouvoir danser de bon matin avant d’aller à son cours de yoga, elle qui est sinon « toujours morte de fatigue à partir d’une heure du matin ».
Du yoga, il y en a justement dans un coin du club. Une petite dizaine de motivés s’étirent sous la conduite d’Eva. « La musique, la danse et le yoga, c’est la même énergie », explique cette prof de yoga de 37 ans à la silhouette de jeune fille. « Au début je me suis demandée si Berlin allait se lever pour une fête sans drogues », lance-t-elle en riant, « mais ils sont tous là, et il y a aussi d’autres gens. Je crois que Berlin est mûre pour faire aussi la fête de cette manière. Le jus de noix coco suffit, l’énergie est là. »
Annabelle Georgen
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