Cinq cibles masculines potentielles âgées de 40 ans et plus s’offrent à nous dans “Pub Encounter”, qui vient d’arriver sur la Switch après des sorties sur mobiles et PC. Appartenant au genre très japonais du “visual novel” (et plus précisément à sa branche “otome” qui vise en priorité le public féminin), le jeu fiévreusement sentimental et gentiment érotique est avant tout une épatante célébration de l’art de la conversation.
Un soir, après une journée difficile au bureau, vous avez décidé de prendre un chemin différent pour rentrer à la maison. Sur un coup de tête, vous entrez dans ce bar, là, que vous n’aviez jusqu’alors jamais remarqué, et votre vie de jeune femme va s’en trouver bouleversée. Le lieu en question semble être exclusivement fréquenté par des hommes d’âge mur – d’une petite quarantaine d’années à une bonne soixantaine – et vous allez vivre une folle histoire d’amour avec l’un d’eux. Lequel ? C’est à vous de trancher, de faire votre choix parmi Yorihisa l’écrivain, Ryunosuke le work-addict, le dragueur Hideaki, le mystérieux (et légèrement poseur) Mamoru et enfin Soichiro, le propriétaire du bar qui se trouve être aussi un sommelier d’exception doublé d’un jazzman accompli qui entonnera voluptueusement When I fall in love sans vous quitter des yeux – et, s’il est l’élu et que tout se passe bien, n’hésitera pas à faire des trucs sur vos cuisses avec sa langue.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Egalement connu sous le titre Dandy Shot et fraîchement porté sur la Switch après des versions pour PC et mobiles, Pub Encounter appartient à une branche très particulière du visual novel, genre vidéoludique essentiellement narratif et encore très marginal chez nous malgré les efforts d’éditeurs comme PQube (qui a notamment distribué en France des titres comme Steins;Gate ou Root Letter), Devolver Digital (Hatoful Boyfriend) ou NIS America (Danganronpa). Au Japon, on parle de jeu otome pour désigner Pub Encounter et ses semblables. La cible principale est le public féminin et, si la forme diffère selon les cas (avec plus ou moins d’interactions, une dimension stratégique plus ou moins affirmée…), le but est toujours le même : conquérir des hommes.
Une fois votre cible déterminée, vous voilà donc lancée dans votre entreprise de séduction. Qui, la plupart du temps, va consister à lire des dialogues en attendant que le jeu vous demande de faire un choix dont vous ne saurez jamais à l’avance s’il est d’une importance secondaire ou au contraire déterminant. Le but est d’atteindre la meilleure fin possible, la “Best End” plutôt que simplement la “Good End” – dans cette rom com largement préprogrammée, il semble impossible d’obtenir une fin vraiment mauvaise – en faisant augmenter votre taux de “likeability” – si l’on se fie à notre expérience, 61%, ce n’est pas encore suffisant. Parfois, les choix proposés se révèlent un rien déstabilisants, comme lorsqu’on doit décider si, après une déclaration assez audacieuse de Yorihisa, on rougit ou pas. Souvent, c’est une affaire de nuances : va-t-on y aller franchement ou se montrer un peu joueuse, se protéger ou se dévoiler carrément, ménager la susceptibilité du mâle qui nous fait face ou oser une remarque légèrement (mais vraiment à peine) piquante ? Ce faisant, attention de ne pas sélectionner une réponse sans le vouloir : les moments de choix sont tellement peu fréquents que, croyant faire simplement défiler du texte, on a vite fait, dans notre élan, d’en valider une par accident – il est heureusement toujours possible de revenir en arrière.
Jouer à Pub Encounter, c’est se prêter à une drôle d’expérience, alternativement sidérante et un peu ennuyeuse. C’est chercher sa place entre simple lecteur / spectateur et véritable joueur. Et c’est d’abord une affaire de distance : avec le personnage que l’on joue (une jeune femme, donc, et qui ne se laisse pas impressionner par les hommes), avec les intrigues (à chaque cible masculine la sienne, riche en révélations et rebondissements émotionnels), avec le système de jeu lui-même. Est-ce qu’on est dans l’histoire ou en position d’observateur, attentif à ce que Pub Encounter nous dit (du Japon probablement, de la vision que ses auteurs ont de l’amour certainement, du désir humain en général éventuellement) ? Attentif aussi, accessoirement, aux limites qu’il décide ou non de franchir – l’érotisme soft, relativement explicite mais non graphique, est sa destination finale. L’un des intérêts du jeu est justement là : dans cette incertitude, ce flottement, cette redéfinition incessante de notre propre rôle de joueur.
Avant tout, Pub Encounter est un jeu qui nous regarde, en face et constamment, en s’appuyant sur une étrange esthétique du surgissement. Le principe est toujours le même : l’image (un extérieur, ou le bar, ou une petite chambre à coucher) semble vide, notre héroïne se croit seule et voilà que, soudain, l’objet de son affection apparaît au premier plan. Elle sursaute – nous aussi. Pas d’échappatoire, de droit à la pause ou à la flânerie. Même lorsque les personnages viennent de se séparer, les voilà qui se retrouvent presque immédiatement, comme si rien d’autre que leurs face-à-face n’existait suffisamment pour mériter d’être montré. Le seul art qui compte vraiment ici est celui de la conversation. C’est un duo ou un duel, un échange sans fard ou une transmission de messages codés, une performance collective (avec les habitués du bar) ou une succession de one-man-shows. Les mots écrits s’enroulent et se tordent, se répètent et se contredisent. Ils nous bercent et nous saoulent, nous étourdissent, nous hypnotisent. Mais on n’est jamais sûr : tout ce qui est exprimé doit impérativement être testé, vérifié, confirmé. C’est sans doute la “morale” de Pub Encounter : ce qui se produit n’est qu’une version d’abord suspecte du réel, qu’une option parmi tout ce qui aurait pu être. Alors, prudence. Et néanmoins, sur le moment, croyance, jouissance.
Par ailleurs, Pub Encounter peut être vu comme un distributeur d’hommes (porteurs d’histoires, toujours). Avis aux collectionneur·euse·s.
Pub Encounter (Dogenzaka Lab / D3 Publisher), sur Switch, 16,99€ (textes en anglais). Également disponible sur PC, iOS et Android.
{"type":"Banniere-Basse"}