Le virage social-démocrate du président Hollande a jeté le trouble au sein d’une aile gauche du PS en proie à d’importantes dissensions. Pendant que Benoît Hamon rêve de reprendre la main en succédant à Harlem Désir à la tête du parti, son réseau est récupéré par Emmanuel Maurel, le nouvel homme fort à la gauche de la gauche…
A ceux qui l’attendaient au tournant sur ses histoires de scooter, François Hollande aura montré qu’il savait « accélérer » et négocier ses propres virages – ou dérapages, c’est selon. Le 14 janvier, devant un parterre de journalistes venus sans doute aussi chercher la vérité de ses présumées romances, le président de la République aura réalisé la plus surprenante volte-face de son jeune mandat. Un an et demi après son élection, c’est sur le terrain du social et de l’économie que François Hollande s’est offert un joli frein à main – dont les traces au sein de la majorité sont d’ores et déjà palpables.
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En présentant les grands axes de son fameux pacte de responsabilité, Hollande s’est approprié quelques mots-clés de la novlangue sociale-démocrate qui ont dû faire froid dans le dos de certains à gauche. « Fin des cotisations familiales sur les entreprises », « politique de l’offre », « crédit d’impôt aux entreprises », « hausse de la TVA ». Au final, ce sont 30 à 35 milliards d’euros de baisse de « charges » qui profiteront aux entreprises entre 2015 et 2017. Le président de la République – reprenant ici les grandes lignes des vingt-deux mesures proposées par le rapport Gallois – a énoncé des directions que certains trouveront forcément éloignées des intentions affichées lors du discours du Bourget (« Mon véritable adversaire, c’est la finance », avait alors déclaré le candidat à l’élection présidentielle en janvier 2012). Hollande se veut rassurant : « Le discours du Bourget reste ma référence », affirme-t-il. Si le centre salue quelquesunes de ses propositions, si la droite est un peu paniquée et si la grande majorité des socialistes valide silencieusement ce changement de cap, sur l’aile gauche du parti, on ne feint pas la consternation.
Aubry : « François sait ce que j’en pense »
» Surpris par les annonces de François Hollande ? Le mot est un peu faible », note Paul Quilès, ancien ministre de l’Intérieur et animateur du club Gauche Avenir. « Je ne ferai pas de déclarations mais François sait ce que j’en pense », confie pour sa part, embarrassée, Martine Aubry. Pour Henri Emmanuelli, figure de l’aile gauche du PS, « la démocratie est un moteur qui fonctionne à deux pistons et pas avec un piston bloqué à droite comme c’est le cas actuellement ».
Emmanuel Maurel, chef de file de la motion Maintenant la gauche, s’interroge sur la méthode :
« Entre le vote bloqué et le mode de gouvernement par ordonnances, ce n’est pas exactement ce qu’on avait prévu. On n’est censé suivre le petit doigt sur la couture ? Je pense qu’il faut faire une cure de détox par rapport aux institutions de la Ve République. Le côté ‘le chef décide et nous on suit’, ce n’est pas comme ça que je conçois la délibération collective…C’est bien beau de parler de politique de l’offre, mais même le prix Nobel d’économie Paul Krugman s’en amuse (dans une tribune intitulée « Scandal in France », dans le NY Times du 16 janvier, Krugman a fustigé le récent virage libéral de Hollande – ndlr). »
La méthode aura donc choqué autant que le fond. « Le côté idéologique est très important, mais je pense que c’est surtout un tournant dans le quinquennat dans le sens où c’est une reprise en main politique de Président sur le dispositif. C’est ça qui est très marquant », explique le député socialiste Malek Boutih. « Jamais Lionel Jospin n’aurait usé de ce genre de mesures monarchiques », s’alarme la députée socialiste Barbara Romagnan. Pour justifier son passage en force et ce que certains considèrent comme un cadeau aux entreprises, le président de la République aura néanmoins offert un os à ronger à la gauche de la gauche : ça s’appelle « l’observatoire des contreparties ».
Un laboratoire des contreparties pour consoler la gauche de la gauche
Une sorte de comité Théodule associé au Parlement et chargé de définir par branches professionnelles, les compensations exigées aux entreprises. « On va chercher à obtenir es contreparties, promet Julien Dray. Mais on ne peut pas se contenter d’être des observateurs, nous souhaitons rapidement des avancées en termes d’emploi, d’investissement et de redistribution des gains de productivité ». De son côté, le parlementaire Pouria Amirshahi estime qu' » avant de créer un observatoire des contreparties, il faut créer un observatoire des engagements(…) Car pour l’instant, François Hollande met en place une politique d’assistanat généralisée au patronat le plus cupide d’Europe. »
Marie-Noëlle Lienemann, ancienne ministre et aujourd’hui sénatrice, regrette le manque de dialogue : « Depuis sa prise de fonction, François Hollande ne cherche aucun compromis avec notre courant, il préfère écouter les conseils de Louis Gallois (l’ancien président d’EADS, auteur d’un rapport sur la compétitivité – ndlr). » Cette tête de file de l’aile gauche du PS estime que les attaques de ses camarades sont la seule issue pour sauver la gauche d’un désastre électoral en 2017 : « Nous ne souhaitons pas rééditer ce qui s’est passé avec Lionel Jospin, expliquet-elle. De 1997 à 2002, tout le monde a dit ‘amen’ à la politique sociale-démocrate de Lionel Jospin et au final, nous nous sommes retrouvés avec le 21 avril 2002. »
Souvent qualifiée de « mauvaise conscience de François Hollande » par les observateurs, l’aile gauche du PS n’a pas attendu l’annonce du « pacte de responsabilité » pour hausser le ton en cette année d’élection électorale. Le mardi 7 janvier, une violente passe d’armes éclate au bureau national du PS entre le Premier secrétaire, Harlem Désir, et Emmanuel Maurel. Pour critiquer l’absence de réactions du Parti socialiste face au tournant libéral opéré par François Hollande, Emmanuel Maurel lit des passages du discours d’Harlem Désir lors du congrès de Toulouse, afin de montrer l’écart avec la politique menée par François Hollande. Rapidement irrité, Harlem Désir rétorque : « Où-veux tu aller avec tes critiques incessantes ? » Sans répondre directement, Emmanuel Maurel a poursuivi sa lecture déclenchant le courroux d’Harlem Désir : « Emmanuel, tu ne peux pas être en seconde position pour la circonscription Grand-Ouest lors des élections européennes et critiquer le parti en permanence ! »
Minoritaire au sein de l’Assemblée nationale, l’aile gauche peine plus que jamais à infléchir la ligne du gouvernement. « Les membres de ce courant ont des réflexes pavloviens dès qu’ils entendent parler de ‘politique de l’offre’ ; ils crient avant d’avoir mal, se désole un membre du bureau national. Ils peuvent manifester toutes les prudences oratoires du monde, ils ne pèsent rien politiquement. Ils ont une vingtaine de députés (sur les 292 qui composent le groupe socialiste – ndlr), leur puissance n’est que verbale. » Une analyse que partage le député de l’Essonne Malek Boutih : « Aujourd’hui, la gauche de la gauche, c’est plus une addition de « monsieur plus » qu’une véritable alternative politique. Elle était déjà affaiblie avant la victoire de François Hollande. »
« J’ai vu tout ça arriver, confie Jean-Luc Mélenchon. Quand j’ai quitté le PS, mes camarades m’ont dit qu’on était plus efficace à l’intérieur du parti qu’à l’extérieur. Aujourd’hui, avec cette rupture totale avec le socialisme historique actée par Hollande, leur monde s’effondre ! »
Le lent affaiblissement de l’aile gauche du PS
Pourtant, ce courant, auquel a appartenu Jean-Luc Mélenchon et longtemps incarné par Benoît Hamon, fut l’un de ceux qui a le moins souffert de l’épreuve du temps. Pendant que les autres motions se sont progressivement effritées ou vendues à la découpe, du congrès de Dijon en 2003 à celui de Toulouse en 2012, l’aile gauche est restée très structurée et a toujours représenté approximativement 20 % du parti.
En 2008, Benoît Hamon avait même réussi l’exploit de rassembler l’ensemble des chapelles de la gauche (mélenchonistes, poperénistes, partisans d’Henri Emmanuelli, de Marie-Noëlle Lienemann ou encore de Gérard Filoche…) au sein du courant Un monde d’avance.
Le tournant est intervenu en mai 2012. En appelant au gouvernement Benoît Hamon, François Hollande a circonscrit l’influence de l’aile gauche du parti. « C’est habile, en le nommant ministre de l’Economie sociale et solidaire et de la Consommation, François Hollande a privé l’aile gauche de son meilleur portevoix, commente un cadre socialiste. Tous les proches d’Hamon sont aujourd’hui emmerdés pour critiquer l’action gouvernementale. »
Surtout que six mois plus tard, lors du congrès de Toulouse en octobre 2012, Benoît Hamon s’est senti obligé – en tant que membre du gouvernement – de soutenir la motion d’Harlem Désir (et donc de se constituer en sensibilité de la majorité).
« Benoît Hamon est désormais coincé, commente un proche. Pendant qu’il est au gouvernement, Emmanuel Maurel siphonne son courant et agrège à lui ses anciens militants. » Seul adversaire d’Harlem Désir au congrès de Toulouse, Emmanuel Maurel incarne aujourd’hui l’aile gauche du parti et a raflé de nombreuses investitures aux européennes, au détriment des proches d’Hamon.
Hamon rêve de Solférino
Benoît Hamon a d’ailleurs demandé à voir François Hollande, le jeudi 16 janvier. Officiellement, il s’agissait de discuter du virage à droite pris par le président de la République. Officieusement, le ministre de l’Economie sociale et solidaire réfléchirait à des contreparties pour ses proches. « Hamon est dans le deal permanent, commente Malek Boutih. Il réfléchit à sa place au gouvernement, au nombre d’élus qu’il peut avoir en contrepartie. Dans ce genre de situations, il y a toujours un grand couscous au cours duquel on troque son idéologie contre des postes. »
En réalité, les hamonistes lorgnent sur Solférino et ont leur scénario en tête. Ils espèrent qu’Harlem Désir sera appelé au gouvernement lors d’un prochain remaniement afin que leur chef de file récupère au passage le poste de Premier secrétaire. « C’est vrai que Benoît réfléchit à un rôle plus important au sein du parti, concède Guillaume Balas, secrétaire général d’Un monde d’avance. Le prochain congrès du Parti socialiste est en 2015 mais s’il y a un remaniement, il y aura peut-être des opportunités (…) Je souhaite que Benoît Hamon soit candidat… » Au PS, le virage et la contrepartie seraient-ils devenus une mode ?
David Doucet et Pierre Siankowski
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