Dix ans après l’adoption de la loi pénalisant les acheteurs de services sexuels, la loi suédoise qui sert d’inspiration à la ministre Najat Vallaud Belkacem est toujours source de polémique.
Le « modèle suédois » n’aura jamais été autant à la mode. Pas pour ses retraites ou sa flex-security, mais pour sa gestion de la prostitution. Depuis l’annonce de la ministre des droits des femmes Najat Vallaud-Belkacem qui a affirmé vouloir « se donner les moyens d’abolir » la prostitution, partisans d’une abolition et détracteurs se renvoient la balle. Mais qu’en est-il vraiment de la situation en Suède, sur laquelle semble vouloir se calquer la ministre ? Retour sur un modèle qui fait beaucoup de bruit.
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La Suède, pays pionnier
Premier pays à interdire la prostitution dans la loi Kvinnofrid, la Suède a voté dès 1998 une loi qui criminalise les clients de prostituées. Entrée en vigueur en 1999, elle interdit « l’achat de services sexuels » à travers la criminalisation des « consommateurs« . Les prostituées ont ainsi acquis le statut de victime, et le client celui de délinquant, pouvant encourir une amende et jusqu’à six mois d’emprisonnement.
En 1996, seulement un tiers de la population se déclarait favorable à la pénalisation des clients. En 2008, soit près de 10 ans après l’adoption de la loi, ils sont plus de deux tiers. Une augmentation qui peut s’expliquer par la baisse conséquente de la prostitution « de rue ». Dans un rapport du ministère de la Justice publié en 2010 sur la prostitution de 1999 à 2008 les conclusions semblent au premier abord sans appel. Depuis l’introduction des poursuites envers les clients, la prostitution de rue aurait diminué de moitié.
Cette baisse serait, selon le ministère, directement liée à l’interdiction d’acheter des services sexuels. En effet l’étude compare le pays à ses voisins (le Danemark et la Norvège) qui avaient le même taux de prostitution en 1998 et qui depuis comptent trois fois plus de prostituées qu’en Suède. Selon la police ce succès serait à attribuer – non pas à la peur d’une amende – mais aux craintes liées à la procédure (réputation entachée, famille et entourage qui prennent connaissance de l’affaire…).
La pénalisation des clients : une « fausse bonne idée » ?
Face aux critiques récurrentes qui affirment que la pénalisation des clients entraînerait un repli vers la clandestinité des prostituées, le rapport affirme que « rien ne montre ni ne prouve que la prostitution a augmenté dans les bars et les hôtels, loin de la vue de tous« . Un discours qui ne convainc pas les travailleuses du sexe suédoises, réunies sous le label « Rose Alliance » qui combat depuis le début cette loi. Pye Jacobsson, la fondatrice de l’association affirme elle au contraire :
« L’Etat n’a jamais eu de chiffres sur la prostitution de rue. Elle a toujours été réduite pour une simple raison, c’est que dehors, il fait froid ».
Mais le vrai problème que soulève cette législation, c’est sa portée moralisatrice. Selon le sociologue Lilian Mathieu, chercheur au CRNS et spécialisé dans la prostitution » le but recherché dans la pénalisation des clients est d’attaquer la prostitution visible, ça fait désordre dans le paysage urbain« . Il critique une loi qui rend d’office l’exercice de cette activité beaucoup plus difficile, mais qui n’améliore aucunement les conditions de travail des prostituées.
« La prostitution, quoi qu’on en dise, c’est la rencontre d’une offre (les prostituées) et d’une demande (les clients). Qu’on s’attaque à l’un ou à l’autre, on a le même résultat: la transaction commerciale est illégale. Donc, pour se maintenir, elle doit s’effectuer dans des zones discrètes. »
Pour lui la loi suédoise affirme des principes dans « l’incantation de valeurs morales », et se cache derrière une politique misérabiliste et méprisante. Même son de cloche du côté de Rose Alliance : « Dans le contexte de loi, on est vues comme des victimes. Si vous affirmez ne pas l’être on vous dit que vous êtes aliénées. Si vous essayez de les convaincre que non on vous assène que vous n’êtes pas représentative« . Le pire selon Pye Jacobsson ? Qu’on déshumanise les prostituées. Elle affirme qu’à aucun moment les travailleuses du sexe n’ont été consultées pour la loi et son application, quand même les enfants sont écoutées dans les politiques éducatives. Et de regretter « notre opinion a moins d’importance que celle d’un enfant ».
Plus grave encore, le manque d’investissement réalisé dans les programmes sociaux. Rose Alliance dénonce l’incurie des pouvoirs publics qui n’ont pas accompagné la loi de programme de sortie et de réinsertion. Lilian Mathieu conclut sur ces mots : « La loi pour pénaliser les clients ? Cela a tout d’une fausse bonne idée«
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