Malgré l’entrée en vigueur d’une nouvelle loi sur la prostitution censée mieux protéger les travailleuses du sexe, les bordels allemands continuent de proposer soirées gangbang et formules “sexe à volonté”. Dans les maisons closes berlinoises, qui attirent aussi de nombreux touristes étrangers, le flou règne. Mauvais pour les affaires.
Au King George, le client est roi… pour la modique somme de 49 euros. Une fois les billets alignés, les clients de cette maison close du quartier berlinois de Schöneberg peuvent consommer bières, cocktails et prostituées à volonté. Ce bordel fait partie des nombreux établissements allemands qui ont repris ces dernières années le modèle économique du “all you can eat” des buffets à volonté chinois en le transformant en “all you can fuck”. Surnommés bordels “flatrate” (“au forfait”), ces lieux sont devenus en Allemagne le symbole de ce que le secteur de la prostitution peut avoir de plus sordide.
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Le commerce du sexe est légal outre-Rhin depuis 2002, et c’est un secteur florissant : selon l’Office allemand de la statistique, le chiffre d’affaires des bordels représenterait chaque année plus de 14 milliards d’euros à l’échelle du pays. Avec sa législation libérale, l’Allemagne est devenue au cours de la décennie passée “le bordel de l’Europe”, comme on peut le lire dans les nombreux articles de presse parus ces dernières années sur le sujet.
“Paradis pour les trafiquants d’êtres humains»
Berlin n’attire pas seulement les touristes pour son Mur et ses clubs électro, mais aussi pour ses bordels. La capitale allemande compte à elle seule près de 400 maisons closes et plus de 2 000 prostituées selon les estimations de la police berlinoise.
En 2013, la féministe allemande Alice Schwarzer, fondatrice de la revue Emma, a relancé le débat sur la libéralisation de la prostitution en publiant une enquête qui dénonce les nombreux abus dont continuent d’être victimes les prostituées qui travaillent dans ces bordels au fonctionnement relativement opaque. Dans son livre Prostitution, un scandale allemand, Alice Schwarzer affirme que cette législation permissive a fait le lit des réseaux mafieux, et que l’Allemagne s’est muée en “paradis pour les trafiquants d’êtres humains”.
“Plus facile d’ouvrir un bordel qu’une baraque à frites”
Trois ans plus tard, une nouvelle loi entrée en vigueur début juillet est censée mieux protéger les prostituées en encadrant plus la pratique du sexe tarifé: le port du préservatif est désormais obligatoire chez les clients, les travailleuses du sexe sont tenues de déclarer leur activité auprès des autorités sanitaires et les patrons de bordel de demander une autorisation pour pouvoir poursuivre leur activité ou ouvrir un nouvel établissement.
“Ici il est plus facile d’ouvrir un bordel qu’une baraque à frites”, avait déploré l’an dernier Manuela Schwesig, ancienne ministre allemande de la Famille, lorsque le projet de loi avait été examiné au Bundestag. Un des grands objectifs de cette loi était d’interdire l’organisation de soirées gangbang, durant lesquelles une prostituée a des rapports sexuels avec plusieurs clients à la fois, et le principe-même des formules “sexe à volonté”, au motif que ces pratiques seraient dégradantes pour les travailleuses du sexe.
Mais le texte qui a finalement été adopté par le Bundestag, après maints remaniements, ne fait pas explicitement référence à ces pratiques, mais à la notion de “consentement sexuel”.
Quelques semaines après l’entrée en vigueur de la loi, force est donc de constater que rien ne semble avoir changé. Les bordels flatrate de la capitale allemande continuent d’attirer le client avec des “forfaits tout compris”, des dizaines d’orgies et soirées gangbang sont annoncées pour les prochaines semaines sur les sites spécialisées et les prostituées qui ont fait de cette pratique leur fonds de commerce continuent de proposer leurs services sur la toile. La nouvelle loi entretient en effet le flou sur la conduite à adopter, dénonce Charlie, une des porte-parole du BesD, l’Association allemande des services érotiques et sexuels:
“Il y a beaucoup de gens qui ne savent pas aujourd’hui si ce qu’ils font est interdit ou pas. Les gens continuent donc à faire ce qu’ils estiment être correct et attendent de voir ce qu’il va se passer.”
“La dynamique de groupe va plutôt dans le sens d’un contrôle mutuel”
Charlie considère que la pratique du gangbang n’est qu’“une forme du travail du sexe» et que celle-ci est d’ores et déjà encadrée:
“Les gangbangs obéissent à des règles précises. On définit à l’avance ce qui est possible et ce qui ne l’est pas. Les limites que pose la prostituée sont explicitement communiquées aux clients. Il est bien sûr difficile, pendant un gangbang, de dire à chaque client si on veut ou pas avoir des relations sexuelles avec lui, mais cela irait contre le principe d’un gangbang, car sur le moment cela importe sans doute peu.”
Elle estime d’ailleurs que la présence simultanée de plusieurs clients garantirait un certain contrôle social plus qu’elle ne constituerait un danger pour la prostituée:
“Je pense que la dynamique de groupe va plutôt dans le sens d’un contrôle mutuel plutôt que d’un pétage de plombs collectif.”
Au suivant…
Ouvert depuis 2010, le bordel berlinois Erlebniswohnung s’est spécialisé dans les gangbangs. Le tenancier, Mustafa, insiste à maintes reprises sur le fait que les Herrenüberschuss-Parties – comme on appelle dans le jargon ces orgies où les hommes sont en surnombre par rapport aux femmes présentes – qu’il héberge n’ont pas uniquement lieu avec des prostituées mais aussi avec des femmes qui ont envie de vivre ce fantasme, bien que ces dernières soient également “défrayées” pour leur participation. Lui aussi insiste sur le fait que les gangbangs qui ont lieu dans son bordel ne donnent pas lieu à un déchaînement de violence:
“Chacun attend que l’autre ait fini, et c’est la femme qui est au centre qui décide.”
Son établissement de la banlieue berlinoise ouvre chaque jour ses portes dès le matin. Droit d’entrée avec buffet à volonté: 89 euros les jours de semaine, 99 euros le week-end. “Les hommes payent uniquement pour participer à la fête, ils ne peuvent pas prétendre à avoir des relations sexuelles une fois à l’intérieur”, assure-t-il, même si on imagine mal des clients débourser une telle somme pour passer leur après-midi en claquettes, une serviette de bain autour des hanches, à grignoter des cacahouètes au comptoir. Le bordel attire de nombreux touristes étrangers:
«Ils représentent environ un tiers de notre clientèle. On a beaucoup d’Italiens, d’Israéliens, de Français, mais aussi des Américains, des Suédois, des Britanniques…»
Depuis début juillet, son établissement est plus calme qu’à l’accoutumée: “Il n’y a pas assez d’hommes en ce moment. Beaucoup de clients m’ont appelé pour me dire qu’ils étaient embarrassés, qu’ils ne savaient pas quelles conséquences avait la loi et qu’ils avaient peur d’être sanctionnés”, rapporte Mustafa.
La nouvelle loi prévoit en effet tout un éventail de sanctions pour les clients qui ne respecteraient par exemple pas le port du préservatif ou fréquenteraient des prostituées exerçant contre leur gré. Peine maximale: cinq ans de prison.
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