Après le licenciement en 2010 de salariés ayant diffamé leur hiérarchie sur Facebook, un fonctionnaire a (seulement) été suspendu un mois le 1er février 2011, pour avoir insulté et diffamé, sur son « mur » ouvert à tous, le maire de la commune pour laquelle il travaille. Cette différence entre monde de l’entreprise et fonction publique révèle une « jurisprudence Facebook » qui se cherche.
Un soir, Monsieur X, fonctionnaire dans une petite commune des Yvelines, rentre chez lui après une « dure journée de travail et des tensions avec son supérieur hiérarchique (Monsieur le Maire)« , dixit son avocat Anthony Bem. Le fonctionnaire retranscrit, sur son « mur » Facebook ouvert à tous, son humeur du moment. Le langage est peu châtié.
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« Enfin les vacances pour deux semaines ! 2 semaines pour ne plus voir les gueules de cons du maire et de la chef qui ne sont que des incompétents, et qui se venge(nt) sur les ouvriers ! Une phrase qui résume là où je bosse : au royaume des putains les enculés sont rois. »
Résultat, le maire demande la révocation de Monsieur X de la fonction publique. Le 1er février 2011, après de plates excuses du fonctionnaire, le conseil de discipline de Versailles prononce finalement une suspension d’un mois. Une décision -relevant du droit public- beaucoup plus clémente que celle rendue par les prud’hommes (droit privé) de Boulogne-Billancourt en 2010.
Trois salariés d’Alten, société de conseil en informatique, avaient été licenciés par leur employeur pour des propos diffamants tenus sur leur « mur » ouvert cette fois « aux amis et leurs amis ». L’un d’eux avait dit « se foutre de la gueule » de sa hiérarchie assurant qu’il faisait partie « d’un club de néfastes« , les deux autres avaient répondu par un « Bienvenue au club« .
Des propos moins crus pour une sanction beaucoup plus forte. Le licenciement des trois collègues par l’entreprise avaient été confirmé, le 19 novembre 2010, par les juges des prud’hommes ayant par ailleurs estimé que l’employeur « n’avait pas violé la vie privée des salariés » en se procurant la conversation. En réalité, la jurisprudence Facebook n’est pas encore stabilisée.
Une simple capture d’écran ne fait pas office de preuve
Une première explication permettant d’entrevoir la différence de sanction entre les deux affaires : Anthony Bem, avocat du fonctionnaire et spécialiste en contentieux des nouvelles technologies, a attaqué sur la forme. Il rappelle sur son blog « qu’il ne suffit pas à l’huissier d’allumer son ordinateur et de réaliser des captures d’écran pour bénéficier d’une preuve irréfutable« .
« La preuve sur Internet doit respecter un certain nombre de pré-requis techniques qui permettent de s’assurer de sa fiabilité… (comme) la version de la mise à jour de l’antivirus de l’ordinateur, le numéro IP de la machine ayant servi à dresser le constat, la purge des cookies, l’URL des pages capturées,… »
Une ribambelle de détails techniques que l’huissier n’avait pas respecté. Du coup pas de preuve fiable, pas d’entorse à la loi. « Des précisions qui auraient été très utiles aux salariés d’Alten« , analyse Anthony Bem.
Le fonctionnaire a tout de même été suspendu car il a reconnu avoir tenu les propos diffamants, en s’excusant. Le conseil de discipline a prononcé sa sanction en tenant « gracieusement » compte qu’il n’avait pas « su qu’il pouvait limiter son accès et que cette page était accessible à tous ».
Les amis de mes amis sont mes ennemis ?
Tenir ce type de propos dans une sphère privée n’aurait pas posé problème. Sur Facebook, la Cour d’appel de Reims a quelque peu fixé la jurisprudence en la matière. Dans un arrêt rendu le 9 juin 2010, la Cour d’appel a précisé « qu’il ne s’agit pas d’une atteinte à la sphère privée » à partir du moment où le « mur » est accessible aux « Amis et leurs amis », « au regard de tous les individus, amis ou non, qui peuvent voir le profil d’une personne« . Il n’y a qu’un « mur » destiné à mes « Amis seulement » qui relève de la sphère privée.
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La plupart des quelque 20 millions d’utilisateurs français du réseau social devraient bien avoir en tête cette nuance. En effet, dans les paramètres de confidentialité « Recommandé(s) » par Facebook : les photos, vidéos, opinions politiques et religieuses sont directement visibles par les « Amis et leurs amis », c’est à dire – selon la justice – par tout le monde.
Geoffrey Le Guilcher
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