A Paris, lors d’un colloque international organisé par l’Association française transhumaniste, les débats ont porté sur le prolongement de la vie, l’éradication de la mort ou les hommes machines. Mais que cache la nébuleuse transhumaniste?
« Si nous n’avions pas inventé ce mot, nous aurions certainement été plus performants ! », s’amuse le futurologue libertarien suédois Anders Sandberg, membre du Future of Humanity Institute de l’université d’Oxford. Ce mot, pour ce chercheur selon qui la liberté individuelle est un droit naturel, est « transhumanisme ». Il est vrai que ce courant de pensée qui milite pour le dépassement de la nature humaine grâce aux sciences et techniques continue d’alimenter les fantasmes et les craintes. On le soupçonne de mépriser l’être humain, de vouloir fabriquer un surhomme quitte à établir un ordre inégalitaire, voire totalitaire, et on le taxe d’eugénisme.
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Le transhumanisme s’est pourtant présenté sous un jour plus contrasté lors des débats qui ont eu lieu à l’Ecole supérieure de physique et de chimie industrielles de la Ville de Paris du 20 au 22 novembre, à l’occasion du colloque TransVision organisé par l’AFT (Association française transhumaniste : Technoprog !). C’est la première fois qu’un événement militant de cette ampleur avait lieu en France. Pour l’occasion, les organisateurs, préoccupés par la présence de deux militants de l’association technophobe Pièces et main d’oeuvre qui distribuaient des tracts le jour de l’ouverture, ont déployé un contrôle des entrées. Faut-il voir dans cet événement un signe de la pénétration de l’idéologie transhumaniste en France ?
Le présent sous la pression du futur
« Je n’irai peut-être pas jusque-là, mais cela signale une popularisation des thèmes du transhumanisme », estime Jean-Michel Besnier, professeur de philosophie à la Sorbonne, auteur de Demain les posthumains (éditions Pluriel). Parmi ces thèmes, débattus devant une centaine de personnes : l’allongement infini de la durée de la vie, la fusion hommes-machines, la cryogénisation ou encore le clonage. Mais qui sont ces mystérieux apprentis sorciers qui conjuguent au futur le conditionnel des romans de science-fiction ? Des philosophes, des ingénieurs et des biologistes qui partagent un diagnostic : le progrès exponentiel des sciences et des techniques, et la convergence technologique des NBIC (label qui désigne aux Etats-Unis les nanotechnologies, les biotechnologies, les technologies de l’informatique et les sciences cognitives) mettent le présent sous la pression du futur. Les plus extrémistes prophétisent l’avènement de la « singularité », c’est-à-dire le point de rupture qui verra l’humanité basculer et les intelligences artificielles prendre en charge le progrès.
En 2009, l’informaticien américain Ray Kurzweil, figure de proue du transhumanisme qui a rejoint les équipes de Google en 2012, a fondé la Singularity University pour étudier ce phénomène. Google en est l’un des principaux donateurs. Dans la même lignée, le philosophe britannique Max More (un pseudonyme) a créé au début des années 90 l’Extropy Institute, une organisation libertarienne qui postule que les avancées des sciences et techniques permettront un jour à l’être humain de vivre indéfiniment. Max More est depuis 2011 le pdg de la plus grande entreprise de cryogénisation, Alcor Life Extension Foundation.
Ces pères fondateurs ont contribué à l’image sulfureuse du mouvement transhumaniste, mais ils ne font pas l’unanimité en son sein. L’AFT se situe par exemple du côté des technoprogressistes : « Le mouvement français est très soft par rapport à la Singularity University de Kurzweil, ou au mouvement des extropiens de Max More, explique Jean-Michel Besnier. Il y a ici un projet social qu’on ne trouve pas dans la plupart des mouvements transhumanistes, qui sont plutôt très individualistes et clairement néolibéraux. »
Le pape de cette tendance modérée, le sociologue et bioéthicien américain James J. Hughes, était présent au colloque TransVision. Après avoir été directeur exécutif de la World Transhumanist Association (WTA) de 2004 à 2006, il dirige désormais un think-tank, l’Institute for Ethics & Emerging Technologies.
« Pendant des années, j’ai essayé d’exprimer un transhumanisme de gauche », explique cet homme affable aux petites lunettes rondes. Le technoprogressisme ne repose « pas simplement sur l’idée de l’augmentation humaine, mais plus généralement sur la relation entre la politique et les technologies », ajoute-t-il.
« Notre éthique est un château de sable »
En 2007, un sondage auprès des 6 000 adhérents de la WTA avait montré que 47 % d’entre eux se définissaient » de gauche », contre 20 % libertariens. « Nous les surpassons en nombre, mais nous n’avons pas autant d’argent qu’eux », sourit James J. Hughes, citant le soutien financier du milliardaire Peter Thiel (fondateur de PayPal et membre du conseil d’administration de Facebook) aux transhumanistes conservateurs. Cette minorité active continue de faire peser sur le mot transhumanisme une connotation péjorative, renforcée par la critique néo-luddiste (de luddisme, mouvement anglais d’opposition à la révolution industrielle mené par l’ouvrier Ned Ludd à la fin du XVIIIe siècle) de l’association Pièces et main d’oeuvre. Certains tentent donc de prendre leurs distances, comme Aubrey de Grey, fondateur de SENS, sommité du mouvement en matière de lutte contre le vieillissement.
« Je me définis comme un chercheur en médecine, pas comme un transhumaniste, même si ce que je fais pourrait conduire à des objectifs transhumanistes », explique cet Anglais à la barbe immense, dont la fondation a reçu le soutien financier de Peter Thiel.
Son point de vue sur la vieillesse est singulier : « Vieillir tue les gens. Cela tue presque les trois quarts de la population. C’est le plus grand problème du monde, et je veux résoudre les grands problèmes. »
Le chirurgien Laurent Alexandre, fondateur de Doctissimo et président de la société belge de séquençage du génome humain DNAVision, annonce également « la mort de la mort » et « la défaite du cancer », tout en critiquant les transhumanistes pour leurs faiblesses en expertise biologique et génétique. « Notre éthique est un château de sable », rappelait-il lors de son intervention au colloque. Le soutien qu’apportent les géants qui dominent le marché du numérique, les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon), à l’idéologie transhumaniste la plus libertarienne forgée dans la Silicon Valley est alarmant. La santé, la vie privée et la confidentialité des données pourraient échapper à tout contrôle démocratique et tomber dans l’escarcelle de ces multinationales aux stratégies agressives. « La révolution NBIC sera alors plus proche d’un tableau de Jérôme Bosch que d’un jardin à la française », a mis en garde Laurent Alexandre devant une assemblée de transhumanistes qui l’écoutaient dans un silence religieux.
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