Chineuse, photographe, décoratrice, esthète… Julie Barrau réunit toutes ces facettes et plus encore dans son métier de marchande de photographies anciennes et meubles vintage. Elle nous a ouvert les portes de son atelier caché au cœur de Paris pour nous faire découvrir sa passion et son travail.
Dans l’atelier de Julie Barrau, les dessous de verres sont des polaroids. Le hangar présente sur des murs blancs des photographies, lithographies et luminaires vintage, aussi éclectiques qu’harmonieux, au diapason du lieu et de son occupante. On est un peu fasciné, au début. Julie Barrau a aménagé un espace à son image : ses chaussettes bleu électrique dans des richelieus en cuir caramel sont aussi belles et détonnantes que la lampe années 70 dont la lumière saute un peu – “elle est capricieuse”, indique la chineuse – qui éclaire les Schokobons disposés dans un cendrier massif à motif marbré sur la table.
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Au fond de cette – presque salle – d’exposition, on découvre un atelier où se niche l’établi de la jeune femme. Le fourmillement se lit dans les cartons qui le jonchent et, alors que la conversation s’engage, on comprend qu’il est à l’image de la maîtresse des lieux, les mains virevoltantes, le lexique parfois hésitant mais toujours pour toucher juste. Julie Barrau est ici mais aussi dans les photos qui l’entourent, dans le mobilier qu’elle expose – en bref il serait difficile de l’envisager ailleurs qu’en ce hangar plein d’un bric-à-brac élégant.
‘J’aime l’image par-dessus tout, ça m’inspire depuis toute petite”
Julie Barrau achète des images et des objets dans les salles de ventes et les brocantes. Elle les accumule puis les revend, à des collectionneurs ou particuliers intrigués, à des passionnés ou des quidams éclairés. Tour à tour photographe, vendeuse de photographies vintage, chineuse de mobilier… S’il y a un fil conducteur dans le parcours et le métier de Julie Barrau, c’est l’image. L’occupation principale de la jeune femme est d’aiguiser son œil : “Je pense que j’ai développé depuis petite un sens particulier de la vision, plus que tout, raconte t-elle. Pour moi c’était regarder, regarder, regarder… J’avais une soif de regarder tout le temps. Aujourd’hui je ne fais plus que ça : je vois des milliers d’images par semaine, je suis tout le temps en train de trier et de sélectionner des images. C’est quelque chose qui me fascine.”
Alors qu’elle se destinait aux lettres, son parcours a été juché d’expériences hétéroclites : d’une école de communication aux planches de théâtre (“où je me sentais assez mal finalement parce que ce n’était pas mon truc d’être une image moi-même”) puis au design et enfin à la photographie, grâce à une passion remontant à l’enfance et son goût en la matière. “J’avais déjà plein de lien avec la photographie depuis petite, explique la chineuse de trente-six ans. Que ce soit par la pratique, ces rencontres avec des photographes et marchands de photos… Tout un circuit très alambiqué qui m’a amené là. Ma mère chinait aussi beaucoup et m’emmenait tous les dimanches aux puces, donc j’ai une relation à l’objet et à l’ancien qui est là depuis toujours.”
La marchande d’images
Son métier, elle-même ne saurait trop l’expliquer de façon concise : “Mon premier métier, c’est photographe. Ces dernières années, je l’ai mis de côté parce que je suis tellement habitée par tout ce que je chine que ça a pris beaucoup de place. Ce dont je veux parler aujourd’hui, c’est mon métier de marchande de photos anciennes et d’objets vintage.” Dénicheuse au talent indéniable quand on découvre ses collections dans son atelier, Julie Barrau est dévouée à son métier multiple, et l’évoque avec une passion audible. “Chiner, surtout les photographies, c’est ce que j’aime. Et même si je ne suis pas sûre de revendre ce que je trouve, je suis obligée d’acheter l’image ou le lot ; je me fais assez confiance. Je m’éclate en achetant des photos étonnantes qui plaisent ensuite à d’autres gens parce qu’ils ont un coup de cœur ou que ça leur parle. Aussi, quand je pars chiner, je ne sais pas sur quoi je vais tomber, je ne peux pas m’ennuyer. Je ne sais jamais ce que je vais trouver même si je sais ce que je cherche.”
Son regard et sa passion pour l’ancien transforment son métier en une mission esthétique. Lorsque l’on évoque le retour en tendance du vintage, elle explique : “C’est vrai qu’il y a une recrudescence du vintage. Mais l’ancien c’est quelque chose – c’est quelqu’un d’ailleurs ! – qui m’est si familier que je me suis jamais dit ‘tiens, le vintage ça marche’. En fait je ne l’envisage pas comme un marché ; je n’envisage rien comme un marché. Je pense qu’il faut visiter la maison de mes parents pour comprendre. Tous mes amis m’ont toujours dit ‘Wow, mais chez tes parents c’est Louis la Brocante !’ Et en effet il y a des valises anciennes partout, du tissu ancien partout… Pour moi, tout l’ancien est contemporain.”
S’imposer : être une femme dans la jungle des brocantes et salles de vente
Au gré des coups d’œil et des coups de cœurs, les collections de Julie Barrau s’étoffent. Mais c’est également à coups de coude que se disputent certaines pièces, surtout pour une femme. Les métiers des ventes aux enchères, brocantes, des vendeurs et acheteurs d’ancien en général sont presque exclusivement composés d’hommes, et Julie a dû s’imposer dans cette foule masculine. “C’est clairement un milieu d’hommes. Au début, je n’avais pas les codes, j’étais un peu le mouton à trois pattes. Mais il ne faut pas avoir peur de jouer des coudes quand on va chiner tôt le matin. C’est très physique et on a besoin de beaucoup de concentration. Pour moi, c’est un investissement corporel. Tout se passe en une demi heure : on est tous à l’affût de LA pièce et il faut être… J’allais le dire : être comme un mec.”
Sa voix s’est posée quand elle nous évoque le sujet. Elle nous parle de la course, de sa politesse innocente lors des ventes et brocantes à ses débuts, qu’elle a mise au placard puisque les règles des échanges commerciaux dans son domaine ne sont pas faites ainsi. Etre une femme, c’est devoir se montrer, s’imposer physiquement pour avoir sa place. La marchande nous parle de ses rencontres houleuses avec les hommes qui pensaient, parce qu’elle était une femme, qu’ils pourraient l’avoir et lui passer devant. Elle conclut, plus sérieuse que jamais : “Il faut savoir dire non, il y a quelque chose de physique. C’est la loi de la jungle, vraiment.”
Vendre du vintage pour construire le futur de l’objet
Son rapport à l’ancien est ainsi un paradoxe très sensé, entre détachement et amour intrinsèque. Entourée de photographies et d’objets si anciens et pleins d’histoire, elle ne peut se permettre de d’y accrocher au risque de perdre l’essence de son métier : revendre le vintage, pour l’exposer et le faire renaître. En feuilletant ses images, on distingue son attachement… mais elle le met vite au placard. Ces photographies ne vivent qu’à travers le regard des gens, il lui faut donc un jour s’en séparer, au risque que son travail perde tout intérêt.
De la même façon, le mobilier vintage que Julie Barrau vend est un petit bout d’elle, de sa vision, mais surtout fait pour vivre et revivre : “Je suis très attachée aux objets et à la fois je ne suis pas du tout matérialiste : je les maltraite, je pense qu’ils sont là pour être utilisés, usés, cassés.” Julie Barrau est habitée – parce qu’elle a le vintage dans la peau et ses mots, dans ses gestes qui témoignent de l’énergie qu’elle donne pour son travail au quotidien.
Son nouvel espace – à l’adresse secrètement gardée – l’anime déjà de projets que la chineuse explique de manière volubile et pressée, avec une hâte qui nous entraîne aussi à tomber en amour pour ces images, ces lampes fantasques et l’extrême justesse esthétique de tout ce beau monde inanimé groupé sous ce toit… D’ailleurs, que ces trésors soient inanimés, rien n’est moins sûr.
Retrouvez toutes les trouvailles de Julie sur son site.
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