Pour la 33e édition du festival, dix jeunes créateurs devaient en (dé)coudre lors de défilés tous plus inspirés les uns que les autres. Grande tendance : l’upcycling, l’art de faire du beau avec des matériaux existants, miroir d’une prise de conscience dans un milieu jusqu’ici peu regardant sur l’environnement.
Qu’attend-on d’un créateur de mode ? Qu’il dessine de beaux vêtements, certes. Qu’il raconte une histoire différente, souvent. Mais en 2018, en pleine crise de la mode, dans un contexte qui remet en question le pouvoir des grands groupes, qui voit de plus en plus de directeurs artistiques surmenés et qui accorde la surpuissance au consommateur, quels obstacles attendent la nouvelle génération de créateurs ?
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A Hyères, où a eu lieu le week-end dernier la 33e édition du Festival de mode et de photographie, dix jeunes espoirs ont montré que le temps du créateur-génie enfermé dans ses ateliers est bel et bien révolu.
Les dix candidats du concours mode, sortant d’école et dépassant à peine la vingtaine, ont présenté devant un jury prestigieux (dont l’actrice Tilda Swinton, le créateur Haider Ackermann et la polyvalente Lou Doillon) leur collection en anglais (ce qui était plus naturel pour certains que pour d’autres), avant d’affronter une cinquantaine de journalistes et acheteurs dans une tente surchauffée et de courir backstage pour préparer leur défilé présenté devant une salle comble.
Le tout afin de démontrer que le fruit de leur labeur, six silhouettes complètes, se démarquait du marché saturé grâce à un point de vue pertinent, un storytelling travaillé, de vraies connaissances techniques et une utilisation des nouvelles technologies qui ferait pâlir d’envie n’importe quel département recherche et développement. Sans oublier une maîtrise totale des outils modernes de communication : si aucun n’a encore fondé sa marque, tous disposent déjà leur propre compte Instagram.
Répondre aux problématiques créées par l’industrie
Cette année, une nouvelle exigence s’est ajoutée aux compétences des designers en lice : répondre à des problématiques créées par l’industrie à laquelle ils appartiennent. Parmi les dix aspirants, trois ont fait appel à l’upcycling, l’art de faire du beau avec des matériaux déjà existants, une technique également adoptée par l’une des créatrices en compétition dans la division accessoires, la Coréenne Jinah Jung, dont la ligne de sacs Conshoesness est conçue à partir des prototypes de baskets fabriqués par une marque de chaussures française et donc destinés à être jetés à la poubelle.
“La mode vit dans le moment présent, donc celle que l’on voit aujourd’hui est forcément plus concernée par ces préoccupations, estime Jean-Pierre Blanc, directeur du festival. Je remarque une très nette augmentation de créateurs qui ne mangent ni viande ni poisson : leur évolution logique est donc de ne plus produire de sacs en cuir. Ils ont conscience que la préservation de l’environnement doit se porter sur chaque choix de vie. En prise avec leur temps, ils assument une vraie prise de responsabilités et de conscience.”
A Hyères, cette nouvelle vision se fait en réaction à la production de masse et au gaspillage excessif qui caractérisent l’industrie de la mode, deuxième industrie la plus polluante au monde. “On produit déjà tellement de choses, il y a déjà tant de matières existantes dans le monde, pourquoi devrait-on en ajouter ?”, s’interroge la créatrice espagnole Manuela Fidalgo, l’une des dix finalistes, qui imagine une collection créée à 90 % à partir d’échantillons de tissus récupérés au salon textile Première Vision.
“On n’a pas besoin de produire plus”
“On n’a pas besoin de produire plus, il faut simplement mieux utiliser les matières que nous possédons déjà”, insiste-t-elle. Manuela et son bras droit, Vicente Ferrer, racontent leur émerveillement quand ils ont découvert les boîtes d’échantillons de tissus, dont ils ignoraient le contenu : “On a sorti chaque échantillon et on les a tous étendus par terre. On les a ensuite classés par couleur et par texture : la création des silhouettes est partie de là.”
Si les silhouettes barrées de Manuela Fidalgo, sur lesquelles viennent s’entremêler une multitude de supports textiles différents, font le choix d’assumer cette optique de récupération, d’autres adoptent un upcycling plus subtil. C’est le cas de Linda Kokkonen, créatrice finlandaise qui part de dentelles et tissus sourcés dans des dépôts-ventes, mais aussi de la Canadienne Marie-Eve Lecavalier qui développe une bluffante technique de tricotage du cuir, après s’être tournée vers les tanneries et usines textiles pour récupérer les chutes de peau qu’elle sublime dans ses silhouettes.
“En fouillant à la recherche de matières, je me suis rendu compte qu’il y avait énormément de dépôts de cuir de qualité assez exceptionnelle, raconte-t-elle. Ma technique de tricot me permet d’utiliser des parties de cuir qui ne passent pas le contrôle qualité de certaines maisons. ça me demande parfois plus de temps, mais ça me permet d’utiliser plusieurs sortes de cuirs, ce qui donne une vraie richesse au produit fini. Le but est d’arriver à faire quelque chose d’assez luxueux avec pas grand-chose !”
“Repenser la production des vêtements à petite échelle”
Si Marie-Eve, diplômée de la Head (Haute Ecole d’art et de design) à Genève, avoue que le choix de l’upcycling était aussi une question de budget, elle assure vouloir poursuivre dans cette veine responsable : “Il y a dans l’industrie beaucoup de textiles et de cuirs qui sont trop rapidement rejetés, et je pense que c’est à nous, les jeunes créateurs, de trouver une façon différente de les utiliser, et d’ainsi repenser complètement la production des vêtements à petite échelle.”
Elle cite la jeune marque américaine Eckhaus Latta, très en vogue, et qui, elle aussi, utilise majoritairement des matières recyclées : “C’est cool de se dire qu’on va progressivement arriver à mettre en place un système plus sain et équilibré dans un milieu quand même plutôt problématique.” Vivement demain !
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