Mercredi 5 décembre, les parties civiles ont fait venir une experte neuropsychiatre au procès en appel de Jawad Bendaoud. La cour a fait le choix de donner la parole, pendant deux jours, aux victimes et à leurs familles.
Jawad Bendaoud pénètre dans le tribunal du palais de justice de Paris, mercredi 5 décembre, la démarche chaloupée, la mine renfermée. Vêtu de son jogging noir et or qu’il porte depuis le début du procès, il rejoint sur le banc des accusés Youssef Aït Boulahcem, le cousin d’Abdelhamid Abaaoud. Youssef Aït Boulahcem est lui jugé pour « non-dénonciation de crime terroriste ».
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Jawad Bendaoud comparait en appel quant à lui pour « recel de malfaiteurs terroristes ». Après avoir entendu les inculpés la semaine précédente, le procès donne maintenant la parole aux victimes. Pendant deux jours, les parties civiles pourront prendre la parole, expliquant leurs démarches et leurs préjudices.
La parole des victimes respectée
Des dix parties civiles qui devaient être entendues aujourd’hui, seules cinq se sont présentées. Il leur est alors permis de parler de leurs souffrances, leurs peines et aussi leurs colères. Plusieurs réexaminent les éléments du procès, exposent leurs soupçons et leurs avis. Ces témoignages prennent aux tripes. Les voix qui hésitent, tremblent, s’interrompent pour accélérer davantage, sanglotent ou s’emportent ne laissent personne indifférent dans le tribunal. Seul le président de la cour reste, comme sa fonction l’exige, impassible. Mostefah, dont la fille cadette est aujourd’hui encore en état de choc, s’excuse, il « n’a pas dormi de la nuit ». Pourtant maître de lui au cours de son témoignage, sa voix s’écroule, lorsqu’il nomme sa fille. Il doit s’appuyer à la barre.
Jawad Bendaoud acquiesce, compatissant, lorsque Sarah, dix-huit points d’impact sur le corps, prend la parole. Elle est la seule à ne pas avoir préparé de notes. Elle hésite, multiplie les silences. En quelques phrases, elle raconte : la terrasse où elle était employée, sa journée de 12 heures, le café à apporter, le souffle de la bombe et le membre d’un inconnu qu’elle tient dans sa main en se relevant. Gaétan, le dernier à prendre la parole ce jour, évoque « l’incertitude glaçante et angoissante » qui l’habite, qui les habite tous, depuis les attentats et raconte ce sentiment de peur de savoir, à l’époque, les terroristes en liberté ; « la question n’était pas, dans [son] esprit, de savoir ‘si’, mais ‘quand’« , ils viendraient le tuer, ajoute-t-il.
La mâchoire crispée
Tandis que Youssef Aït Boulhacen, le dos droit, rasé de près, reste muré et impassible depuis le début de la séance, comme indifférent à son propre procès, Jawad Bendaoud reste attentif aux récits qui résonne dans le tribunal. Il surprend par son attitude et l’attention qu’il a porté aux orateurs. Lorsque Martin, « le premier à avoir interjeté appel », s’emporte contre ces « salopards », qui ont tué sa fille, Jawad Bendaoud s’étend sur sa chaise, appuie sa tête contre la rambarde du box des avocats, les jambes tendues en avant et les mains dans les poches. Le visage tourné vers le plafond, il ferme les yeux. Parfois, sa mâchoire se crispe.
Puis Martin le prend à partie, dénonce, selon lui, « ses mensonges », s’indigne de sa mise en scène du procès, en janvier comme aujourd’hui, de ses activités de proxénète et de trafiquant, de son manque de moral. Alors que l’orateur continue de regarder le président de la cour, la seule réaction de Jawad Bendaoud est de se redresser. Il se tourne vers Martin et laisse échapper un rictus, l’air de dire : « tu ne sais pas de quoi tu parles ».
Le quotidien des victimes
Les trois inculpés sont accusés d’avoir, en conscience, donné refuge aux deux terroristes survivants du 13 novembre 2015. Jusqu’au 18 novembre, le jour de l’assaut donné par la police à Saint-Denis, les deux tireurs des terrasses ont ainsi gardé leur capacité de nuire, dans l’esprit des victimes ayant survécu. Afin de montrer que Bendaoud, Boulhacen et Soumah ont une responsabilité dans l’état traumatique qui habite encore les victimes et leurs proches, trois ans après les faits, les avocats des parties civiles et la procureure générale ont fait venir Marie de Jouvencelle, neuropsychiatre experte auprès la cour d’appel de Brest.
Son discours apportant cadre scientifique aux déclarations des victimes est construit. D’un ton calme, qui devient parfois nerveux, elle démontre qu’elle sait où elle va. Les victimes des attentats souffrent, encore aujourd’hui, d’un « état de stress post-traumatique ». Elle les connaît bien, elle qui suit plusieurs d’entre eux. Très pédagogique, elle revient en détail sur les symptômes de cet état, les « événements du passé qui viennent vivre en eux », la « mémoire traumatique », qui prend le pas sur une « mémoire épisodique trouée », la perte de repère et de rationalisation, les crises de panique, le sentiment d’ »insécurité intérieur ».
Des plaintes, enfin, entendues
S’ils apportent peu d’éléments au dossier, les témoignages des parties civiles leur offrent un exutoire, un moyen de « comprendre » et d’aller de l’avant en se confrontant à ceux qui ont aidé les bourreaux. La séance s’est déroulée dans l’écoute « des plaintes » et le respect des victimes auxquels appelait l’experte. Cette fois, et c’est heureux, la journée s’est terminé, plus tôt que prévu, sans esclandre de la part des inculpés.
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