Le gérant du restaurant le Casa Nostra comparaissait ce mercredi pour avoir divulgué les images de vidéosurveillance de la fusillade de son restaurant le soir des attentats du 13 novembre 2015. Un procès marqué par une mémoire « à géométrie variable » des prévenus.
« Quand la vidéo est sortie, ça m’a immédiatement bouleversé car j’avais tout fait jusqu’ici pour ne pas réfléchir à ce qui s’était passé.” Très ému, le jeune homme marque une pause avant de poursuivre son récit, à la barre de la 17e chambre correctionnelle du tribunal de Paris, ce mercredi 26 avril. Ralph était l’un des clients du Casa Nostra le 13 novembre 2015, l’un des restaurants visés par les attaques djihadistes. Ce soir-là, il avait rejoint ses amis, Quentin et Lucille, après le travail pour boire un verre en terrasse dans le XIe arrondissement de Paris avant que les terroristes n’ouvrent le feu. Ralph est arrivé à se mettre à l’abri à l’étage, Quentin est resté couché tout au long del’attaque. Lucille, elle, a reçu une balle dans le bras. Tous trois racontent le « flou », le « trou noir », laissé par ce « choc terrible ».
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« Un gouffre entre le verbe et l’image »
Jusqu’à ce que des images circulant sur Internet ne leur rappellent les détails de cette soirée lugubre. Diffusées par le quotidien britannique le Daily Mail, ce sont les vidéos tournées à l’intérieur de la pizzeria par une caméra de surveillance durant la fusillade. Des images glaçantes où l’ont aperçoit des gens terrifiés courir, et l’un des assaillants tenter de tirer à bout portant sur une personne à terre, jusqu’à ce que son fusil s’enraye. Des vidéos présumées vendues par le patron du Casa Nostra pour 50 000 euros, comme l’avait révélé à l’époque Le Petit Journal de Yann Barthès. S’en était suivi une vaste vague d’indignation. « Il y a un gouffre entre le verbe et l’image », martèle Quentin qui explique que des proches l’ont reconnu sur les images. « Me voir en situation de mort potentielle a été un choc pour eux aussi », insiste le jeune homme.
« J’étais dans une période de vulnérabilité, et cette vidéo est devenue obsessionnelle, c’est le moment où j’ai failli mourir. »
Le Daily Mail refusera pour autant de la retirer de son site. Fin janvier 2016, le parquet de Paris avait alors ouvert une enquête préliminaire suite à la plainte des trois amis.
Dimitri Mohamidi, le gérant de la pizzeria est accusé d’avoir installé un système de vidéo-protection « sans autorisation » et d' »enregistrement et divulgation d’images ». Deux autres personnes sont poursuivies pour complicité. L’un de ses employés, son « cousin », Rabie Safer, comparaît pour avoir joué les intermédiaires dans la transaction avec les journalistes britanniques. Enfin, le « hacker » est accusé d’avoir fait sauter les codes de sécurité nécessaires pour récupérer les images.
« On est les seuls à avoir le tireur »
Qui a été payé ? Qui a négocié ? Tout au long de ces 9 heures de procès, les trois prévenus ne cesseront d’invoquer des « trous de mémoire ». Et la présidente pointera du doigt à plusieurs reprises les contradictions dans les auditions. « Cette affaire est trop lourde pour moi, je ne parlerai pas », a indiqué dès le début Dimitri Mohamidi. Vêtu d’une veste bleue, et les cheveux gominés, à la barre, il affirme n’avoir jamais touché d’argent dans cette transaction.
Seulement voilà, Djaffer Ait Aoudia, le journaliste indépendant – absent durant ce procès – qui était venu sur le plateau du Petit Journal, a tourné près de quatre heures d’images brutes en caméra cachée, transférées à la police. Plusieurs séquences seront visionnées durant ce procès. Dans l’extrait diffusé sur le plateau de Yann Barthès, on le voit expliquer fièrement aux journalistes anglais : « On est les seuls à avoir les tireurs », tandis que son « cousin » compte les billets. Durant le procès, tous deux accuseront le journaliste de les avoir piégés.
« Il est venu me voir en me disant qu’il était là pour m’aider. En fait son but c’était de faire un buzz, affirme Dimitri Mohamidi. C’est lui qui m’a donné l’idée de vendre les images, il m’a poussé à le faire. »
La présidente lui demande alors pourquoi l’installateur du système de sécurité a raconté avoir été harcelé par lui pour récupérer le code nécessaire à la récupération des images. « Il explique même qu’il est allé chez ses parents pour éviter que Dimitri et son cousin ne le contactent », indique-t-elle. « Je ne sais plus, je suis traumatisé. Je n’en peux plus, je suis sous antidépresseurs et je ne dors plus depuis cette histoire », rétorque le gérant. Cette « histoire » c’est la polémique qui a suivi les révélations du Petit Journal. « Les terroristes m’ont loupé de quelques minutes, je voulais revoir ces images ». « Pourtant vous n’étiez pas sur les lieux lors de l’attaque », interroge le la présidente. « Je suis parti 30 ou 40 minutes avant pour boire un coup dans un autre établissement parce que j’avais froid. Le froid m’a sauvé », raconte-t-il sérieusement devant les trois plaignants, victimes des terroristes.
Une « confusion des mémoires »
Rabie Safer, le « cousin », reconnaît avoir touché 6 000 euros en liquide, mais nie avoir participé à toute transaction. Il affirme que le journaliste, Djaffer Ait Aoudia, lui a donné l’enveloppe contenant les 6 000 euros, que c’était « une récompense pour le droit à l’information ». « Le reste, c’était à côté de Djaffer ». « Pourquoi diable les Anglais amèneraient des enveloppes avec de l’argent s’ils ne voulaient pas l’acheter ? », demande la présidente. Sur les images tournées en caméra cachée, il apparaît régulièrement dans le processus. C’est d’ailleurs lui qui contacte le hacker. Ce dernier sera le seul à reconnaître ce qui lui est reproché, à savoir avoir craqué le code de la vidéo. « Je ne savais pas ce qu’il y avait sur le disque dur », assure-t-il.
L’avocat de la partie civile pointe « une confusion des mémoires » des plaignants due à la diffusion des vidéos. Il souligne également les commentaires de sites complotistes présents en dessous des images, qui traitent de « lâches » les victimes. La procureure dénonce les souvenirs « à géométrie variable » des prévenus. « Le respect minimum c’était d’assumer des actions incontestables », assène-t-elle. Elle a requis 300 jours-amende à 150 euros contre le gérant du Casa Nostra, 240 jours-amende à 60 euros pour le « cousin », et 180 jours-amende à 40 euros pour le hacker. Le jugement a été mis au délibéré le 24 mai prochain.
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