Mardi 4 juin, deux militant.e.s antispécistes comparaissaient devant le tribunal correctionnel de Paris pour “violences” et “dégradations en réunion” à la suite de l’agression d’un boucher bio du Xe arrondissement de la capitale. Le parquet a requis des peines entre trois et six mois de prison avec sursis.
A l’extérieur de la salle d’audience, avant leur procès, le couple, très calme, se tient tendrement la main. Pierre-Antoine et Ludivine, respectivement 21 et 30 ans, comparaissaient ce mardi 4 juin devant le tribunal correctionnel, à Paris, pour « violences » et « dégradations en réunion » pour l’agression de Steevens Kissouna, un boucher bio parisien. Le parquet a requis six mois de prison avec sursis contre le premier, et trois mois avec sursis contre la seconde.
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Ces deux militant.e.s antispécistes, au casier judiciaire vierge, sont accusé.e.s d’avoir agressé Kissouna, samedi 4 mai, sur le marché de Saint-Quentin, dans le Xe arrondissement. Ce, dans le cadre d’une action collective d’une quinzaine de personnes visant, d’après Pierre-Antoine, à « interpeller ». « On se bat contre l’exploitation animale, les souffrances et les mauvais traitements sur les animaux de manière générale, dans le cadre de l’exploitation animale, explique-t-il. En mettant du faux sang dans la vitrine, on crée un lien entre la victime et le sang, on souhaite montrer qu’il y a des animaux qui ont subi des choses pour se retrouver dans la vitrine. »
Pas de quoi convaincre les avocat.e.s des plaignant.e.s qui ont évoqué une volonté de la part de « dictateurs de la bonne conscience » de prôner « la destruction de la profession [de boucher] ».
Une démarche “non violente”
Reconnaissant avoir aspergé de faux sang le stand de la boucherie, il et elle, qui se sont par ailleurs excusé.e.s de leur geste, ont en revanche nié toute violence. Mais le boucher, qui s’est vu prescrire sept jours d’incapacité totale de travail (ITT) pour une « probable fracture incomplète » d’une côte, affirme que Pierre-Antoine l’aurait frappé, entraînant sa chute sur le sol. Un fromager venu apporter son aide – et qui s’est porté partie civile, tout comme une autre fromagère – a, lui, désigné Ludivine comme la personne lui ayant lancé du faux sang dans l’œil. Les deux militant.e.s, qui brandissaient et clamaient des slogans antispécistes, avaient finalement été expulsé.e.s du marché, tout comme les autres participant.e.s à l’action.
« Cela fait quelques années que je milite pour la cause animale, toujours via des actions déclarées et non violentes. J’ai vu l’événement sur Facebook, mais je ne savais pas ce que l’on allait faire. Mais une chose était certaine : le fait que ce serait une action non violente ». Avec ses cheveux multicolores « très reconnaissables », Ludivine, actuellement sans emploi, s’exprime clairement à la barre, tout comme son compagnon Pierre-Antoine, cheveux mi-longs, qui met lui aussi en avant leur démarche « pacifique » et « à visage découvert ». « Nous avions rendez-vous dans un square, où nous avons reçu les consignes de verser du faux sang sur le sol et la vitrine. J’ai appris par la suite que cela représentait une dégradation. Je tiens à m’en excuser », a par ailleurs déclaré l’étudiant en mathématiques, qui affirmé s’être vite retrouvé « dépassé par les événements ».
“Sa seule faute est d’être boucher”
A la question de la présidente leur demandant pourquoi il et elle ont été identifié.e.s plutôt que d’autres membres du groupe, Pierre-Antoine avance une théorie : « J’avais un habit assez reconnaissable (tout comme sa compagne avec ses cheveux multicolores, ndlr). Après l’action, on a voulu aller au cinéma à pied, on est repassés pas loin de la boucherie. C’est pour cela, c’est nous qui nous sommes fait prendre. »
Steevens Kissouna, de son côté, affirme avoir reçu d’un coup du liquide sur sa tête, avoir tenté de défendre son stand puis avoir été frappé par une personne qu’il a clairement identifié comme étant Pierre-Antoine. Comme l’a rappelé son avocate, l’homme, qui a ouvert sa boucherie bio il y a moins d’un an, « somatise » depuis cet « événement traumatique ». Et d’ajouter : « Sa seule faute est d’être boucher (…) La souffrance animale est un vrai problème de société, ils ont raison. Mais pourquoi s’attaquer à un boucher ? Qui plus est bio ? Pourquoi ne pas aller voir les industriels, les abattoirs ? Il fait son travail dans le respect de l’animal. Les prévenu.e.s appellent à la haine et la destruction de son outil de travail. » Pour elle, « une étape, un degré supplémentaire ont été franchis », faisant référence à la multiplication d’actions de militant.e.s antispécistes dans des boucheries ces derniers mois, en France.
Des militant.e.s perçu.e.s comme des “intégristes”
Dans une lettre adressée au ministre de l’Intérieur en juin 2018, la Confédération française de la boucherie, boucherie-charcuterie, traiteurs (CFBCT) écrit : « Respectueux des choix alimentaires de nos compatriotes, nous sommes en revanche profondément choqués qu’une partie de la population veuille imposer à l’immense majorité son mode de vie pour ne pas dire son idéologie. » Dans le courrier, ils évoquent une « forme de terrorisme » de la part de certain.e.s militant.e.s vegan qu’ils décrivent d’ailleurs comme des « fanatiques ».
L’association nationale interprofessionnelle du bétail et des viandes bovines (Interbev) et la Fédération de la boucherie et des métiers de viande, présentes à l’audience en tant que partie civile, ont tenu le même type de discours par le biais de leurs avocats, parlant « d’intégristes ».
Face à ces qualificatifs, et « vu notamment l’histoire récente de notre pays », l’avocat de la défense, lui, appelle à « la prudence » dans les propos employés pour décrire les militant.e.s antispécistes. Rappelant que ses client.e.s « n’ont pas assumé la désobéissance civile » – un modus operandi (mode opératoire) de plus en plus utilisé et revendiqué par les militant.e.s écologistes par exemple – il a plaidé la relaxe tout en faisant référence à un article de Libération, où un témoin de la scène évoque un homme « grand » et « barbu » qui aurait « mis un coup de poing », un descriptif ne correspondant pas à Pierre-Antoine.
En conclusion, lui et Ludivine se sont dit prêt.e.s à faire des travaux d’intérêt général et « tout à fait d’accord avec l’idée de réparation des préjudices commerciaux », l’ensemble de la marchandise du boucher ayant été détériorée lors de l’action. La décision du tribunal sera rendue le 25 juin.
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