Un réalisateur indo-américain a créé une super-héroïne, qui reçoit le soutien des Dieux pour lutter contre le sexisme latent en Inde.
« Ce n’est pas une Wonder Woman déguisée en hindou », avertit d’emblée Dan, l’homme qui a conçu les traits de Priya. La dernière héroïne de comics née sur les bords du Gange doit être une femme dans laquelle toutes les Indiennes se reconnaissent. Loin des préoccupations grandiloquentes de nos héros occidentaux, cette protagoniste-là sauve la peau de ses semblables dans un contexte bien plus proche de la réalité : celle des violences sexuelles répétées en Inde.
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Des dieux et une femme contre le viol ordinaire
Priya – « bien aimée » en indien – possède donc un physique ordinaire, mais un esprit hors-normes. Celui que lui ont insufflé son dessinateur, l’américain Dan Goldman, et son créateur, l’indo-américain Ram Devineni. Ce dernier habitait New Delhi lors du viol de l’étudiante Jyoti Singh dans la capitale indienne en décembre 2012. Ram Devineni confie à The Independent s’être entretenu avec un policier, durant la marche de protestation contre la mort de cette jeune fille de 23 ans. Interrogé sur ses impressions, le policier lui répond: « Les filles bien ne rentrent pas chez elles seules, la nuit ».
« J’ai su, dès lors, que les violences sexuelles en Inde n’étaient pas un problème juridique mais bien un problème de culture, confie le créateur de Priya. Il fallait un changement culturel. Les mentalités patriarcales profondément enracinées devaient être contestées. »
Les récents événements en Inde finirent de convaincre Devineni, déjà fortement influencé par les comics et la mythologie lors de son adolescence. Après un an de recherches à traverser l’Inde et l’Asie du sud-est et à parler aux victimes de viol, aux poètes, aux philosophes, aux activistes, aux sociologues spécialisés, il crée les prémices de son personnage et de son histoire.
Il imagine la future héroïne d’un comics book gratuit : Priya, une jeune femme « capable de faire changer les gens ». Dès les premières pages de la bande dessinée, elle survit à un viol en groupe et finit par être ostracisée par sa communauté, son village, sa famille. Le dieu Shiva, furieux, déclare qu’aucun homme ne pourra plus jamais se reproduire et sème la guerre et la panique sur Terre. Parvati, déesse de l’amour et de la dévotion, amadoue son conjoint, et demande à Priya de s’employer à changer la mentalité des humains, à s’élever contre les violences sexistes.
Le comics est disponible ci-dessous dans son intégralité :
Des dessins idéalistes et bariolés, proches de Warren Ellis
La bande dessinée, qui ne comporte qu’une trentaine de pages, porte un message aux antipodes des aventures occidentales de super-héros. De l’introduction au dénouement, le comics Priya’s Shakti a une portée extrêmement religieuse, idéaliste et mythologique; il repose essentiellement sur l’idée de savoir s’il existe ou non un peu de bonté chez l’Homme. Et si les Dieux peuvent pardonner.
Les planches regorgent d’illustrations aux traits fins et bigarrés, proches de ceux que l’on retrouve chez Warren Ellis, scénariste pour Marvel (Wolverine, Thor, Iron Man), et DC Comics (Batman, Transmetropolitan). Ram Devinevi s’adonne également au même type de scénario qu’Ellis : dans le « Priya’s Shakti » du premier comme dans le Supergod du second, les notions d’humains et dieux s’entremêlent face à l’ennemi, jusqu’à se confondre.
Un projet de crowdfunding pour imprimer 30 000 comics
Le comics sera distribué dans les écoles indiennes dès 10 ans. Un projet de crowdfunding, en partenariat avec l’ONG indienne Apne Aap s’efforce d’obtenir le capital nécessaire pour pouvoir imprimer 30 000 bandes dessinées: il se termine le 24 mars. Chaque comics coûtera un dollar et devrait être lu par trois à cinq enfants – c’est en tout cas ce qu’espèrent ses deux fondateurs.
« Créer un changement culturel est incroyablement difficile, mais pas impossible », stipule Ram Devineni, qui souhaite éduquer les enfants dès leur âge le plus critique. « C’est un comic book imprimé avec peu de moyens et facile à se partager » ajoute Dan Goldman, l’écrivain américain qui dessine les traits de Priya. Ajouté au projet après une rencontre fortuite, Dan Goldman sait immédiatement que l’histoire de Priya est de son ressort : « J’ai toujours cru qu’un comics était un bon moyen de traiter l’amusement ET l’information, tout en les déguisant. »
Les mesures plus sévères instaurées par le gouvernement après le viol de New Delhi ont peu porté leurs fruits. Dans un pays où le viol est devenu monnaie courante et face à des habitudes culturelles trop enracinées, métamorphoser la culture peut être une solution adéquate. Et s’il ne réussit pas à passer par la télévision, le message peut très bien être entendu dans le 9ème art.
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