Condamnée en 2014 pour « exhibition sexuelle » après avoir mimé un avortement seins nus dans une église, la journaliste et ex-Femen, Éloïse Bouton, est passée mercredi devant la Cour d’appel de Paris pour faire reconnaître la portée politique de son acte.
Couverte d’un voile bleu et d’une couronne de fleur, Éloïse Bouton se tient debout, seins nus, devant l’autel de l’église de la Madeleine. Sur sa poitrine est inscrit en lettres rouges « 344e salope » (En référence au « Manifeste des 343 salopes » publié dans Le Nouvel Observateur en 1971 pour défendre le droit à l’avortement), dans son dos « Christmas is cancelled » (Noël est annulé). En effet, la militante Femen grimée en Marie est en train de mimer l’avortement de Jésus avec des morceaux de foie de veau, sur le site des Femen est écrit « Noël est annulé, la sainte mère Éloïse a avorté de Jésus« .
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Nous sommes en 2013, quatre jours avant Noël et la trentenaire passe en tout et pour tout 1 minute et 48 secondes seins nus dans cette église, le temps de se faire prendre en photo par les médias et partir, dans le calme. Elle prend même soin de s’y rendre après la messe, pour croiser le moins de monde possible. Seul le maître de chapelle aperçoit une partie de la scène. 1 minute et 48 secondes qui lui vaudront tout de même d’être attaquée par le curé de l’église de la Madeleine pour exhibition sexuelle.
Première femme condamnée pour « exhibition sexuelle »
Le 1er février 2014, la journaliste et créatrice du site Madame rap, est condamnée à 1 mois de prison avec sursis, 2 000 euros de dommages et intérêts à verser à Bruno Horaist, le curé de la Madeleine et 1 500 euros de remboursement de frais de justice. Une décision qui fait d’elle la première femme en France condamnée pour « exhibition sexuelle » depuis la création de ce délit en 1994 (Article 222-32 du code pénal) :
« L’exhibition sexuelle imposée à la vue d’autrui dans un lieu accessible aux regards du public est punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. »
>> A lire aussi: Eloïse Bouton, il y a une vie après les Femen
Free the nipple
Mercredi, la chambre où se tient le procès en appel est difficile à trouver dans les méandres du Palais de Justice. Lorsqu’ Éloïse Bouton apparaît à la barre, le président rappelle ce qu’il s’est passé ce matin du 20 décembre 2013 à 10h30 dans l’église de la Madeleine. Des faits que ne conteste absolument pas la militante féministe. Cette action prend place dans un cadre international pour dénoncer les politiques anti-avortement menées dans certains pays ainsi que la prise de position de l’Église dans ce débat public.
Éloïse Bouton soutient avoir voulu faire passer un message politique et non s’être exhibée sexuellement, ce qui pour elle signifie montrer en public ses parties sexuelles à des personnes non consentantes. « Pour moi, ce n’était pas illégal, la nudité politique ce n’est pas érotique. Je me suis servi de mon corps comme d’un étendard, j’ai conscience que ça peut choquer mais le but était de faire passer un message (…) C’était une action parodique et théâtrale« , maintient-elle à la barre. Depuis les faits, elle évoque menaces et insultes de la part d’« ultra-catholiques ».
Celle qui a quitté les Femen en février 2014 se voit accusée d’avoir pu « blesser le sentiment moral » et « choquer » des gens présents dans l’église par la Cour. « Il est écrit devant la porte que les personnes qui rentrent dans l’église doivent avoir une tenue correcte » précise l’un des membres de la Cour. Elle répond avoir été, elle, choquée par les positions de l’Église catholique sur l’avortement.
Les seins ont-ils un caractère sexuel ?
Pour la militante féministe, les intermittents du spectacle qui se mettent nus pour manifester dans la rue n’ont jamais été accusés d’exhibition sexuelle, tout comme les femmes qui allaitent : « Notre corps n’est pas sexuel sauf si on choisit de le rendre sexuel« , affirme-t-elle. Pour la Cour, la différence semble tenir dans le fait qu’il s’agisse d’un lieu de culte et que le « quidam qui rentre peut être choqué« . « Je ne vois pas en quoi mes seins sont indécents« , explique Éloïse Bouton. Pour la Cour, une église n’est pas la rue et la rue n’est pas la plage. « Oseriez-vous le faire dans un magasin de jouets ?« , demande un membre de la Cour ? « Les Femen ont déjà fait une action dans un magasin de jouet« , répond sereinement Éloïse Bouton, rappelant quand même qu’elles n’étaient pas seins nus.
De plus, d’après la Cour, les seins ont un caractère sexuel. En effet, « quand quelqu’un touche les seins d’une femme, c’est une agression sexuelle« . Pour l’avocat de la militante, toutes les parties du corps peuvent être considérées comme sexuelles. Georges Tron a bien été mis en examen pour une agression sur un pied, c’est l’intention placée dans l’interaction qui compte: « Est sexuel ce que l’on prête à cette partie » explique-t-il.
« Une pécheresse réputée est devenue l’Eve nouvelle »
Lorsque vient le tour de l’avocat de Bruno Horaist de s’exprimer. Il déclare prendre la parole sous le regard de Marianne, semblant oublier que cette même Marianne trône seins nus dans toutes les mairies de France. Expliquant tout d’abord que pour l’Église « la dignité de la femme est égale à celle de l’homme« , comme pour contrebalancer ses propos sur l’avortement, il évoque très vite une « radicalisation » des Femen en 2013. Ensuite l’homme fait référence à la dernière femme condamnée pour l’ancêtre du délit d’exhibition sexuel, l’outrage à la pudeur: une femme qui jouait au ping-pong topless sur la croisette… en 1965.
Pour lui « oui, oui et oui » la poitrine est une partie sexuelle. « Je veux bien qu’on soit féministe« , finit-il par lâcher, magnanime. Pour cet avocat semblant être un habitué de la défense de l’Église, existait une réelle intention de choquer de la part de la militante, la nature de l’endroit, un édifice cultuel changeant la donne. Il conclut sa plaidoirie aux airs d’office du dimanche matin en informant Eloïse Bouton que tout n’est pas perdu pour elle, rapportant une phrase du curé Horaist selon qui « une pécheresse réputée est bien devenue l’Eve nouvelle« .
« Nous ne sommes pas en présence d’un pervers qui se masturbe devant une école »
Pour l’avocat d’Éloïse Bouton, Tewfik Bouzenoune, le curé Horaist n’avait pas à se constituer partie civile car il n’a pas été témoin des faits: « La seule victime s’il y en a une est le maître de chapelle, sauf qu’il n’a pas porté plainte. Bruno Horaist n’a pas personnellement souffert de cela« , relève l’avocat de la défense. Il a ensuite démonté le seul argument de la partie civile pour constituer l’infraction, le fait que l’acte d’Éloïse Bouton est grave car commis dans une Église:
« Il y a un problème avec l’exhibition sexuelle, nous ne sommes pas en présence d’un pervers qui se masturbe devant une école. Avant ce qui s’apparentait à l’exhibition sexuelle s’appelait atteinte à la pudeur, cela faisait référence à la subjectivité avec le terme de « pudeur ». Aujourd’hui, le texte est encore flou, il appartient à la cour de l’interpréter. L’acte d’Éloïse Bouton choque la sensibilité, l’humeur, la pudeur ? Ça ce n’est pas de l’exhibition sexuelle, mais éventuellement du blasphème, et ce délit n’existe plus. Peu importe que ce soit commis dans une Église ou non, le droit n’a pas à s’adapter à la pudeur des uns et des autres. En l’accusant d’exhibition, on dégrade une action féministe pour la rendre abjecte. C’est clair quand on voit la référence aux 343 salopes que c’est politique. L’Église prend position et cherche à influer sur l’opinion publique, on l’a constaté durant la polémique du mariage pour tous. Ces femmes prennent des risques pour dire ce qu’elles ont à dire. Ils peuvent être choqués mais c’est ça la liberté d’expression, l’outrage à la pudeur c’est fini. Le développement du militantisme féministe est volontairement choquant mais jamais à vocation sexuelle »
Il faudra attendre le 15 février 2017 à 13h30 pour connaître la décision de la cour d’appel. La confirmation de la peine a été demandée par l’avocat général.
>> A lire aussi: Éloïse Bouton: « Je n’ai pas l’impression que le rap soit plus misogyne que le rock »
{"type":"Banniere-Basse"}