Après l’immolation par le feu d’un étudiant à Lyon, des étudiants témoignent de leurs difficultés financières pour poursuivre leurs études.
L’image les a bouleversés. Le 8 novembre dernier à Lyon, un étudiant s’est aspergé d’essence avant de mettre le feu à ses vêtements devant le bâtiment du Crous. Dans une lettre postée sur Facebook, le jeune homme d’à peine 22 ans, Anas K., a expliqué viser par son geste, “le gouvernement”, qui serait selon lui responsable de sa situation précaire insoutenable. “Cette année, faisant une troisième L2, je n’avais pas de bourses, et même quand j’en avais, 450 euros par mois, est-ce suffisant pour vivre ?”, interpelle-t-il encore dans ce texte.
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Depuis, regroupés sous le hashtag #LaPrécaritéTue, des étudiants de toute la France témoignent de leurs difficultés au quotidien pour tenter de joindre les deux bouts. Stress, fatigue, isolement… Elles et ils nous racontent plus en détail leurs parcours de vie parfois intenables.
Mia, 25 ans, étudiante à Paris I en Economie : “Il faut montrer que ce n’est pas un choix”
https://twitter.com/MiaHauffmann/status/1194549427782012928?s=20
“Je vis avec mes parents qui sont tous les deux au chômage, et je suis la seule source de revenus de la maison. J’enchaîne les jobs étudiants depuis que je suis en deuxième année. J’ai difficilement obtenu ma licence parce que rien n’est fait pour les étudiants salariés. Cela m’a d’ailleurs valu de redoubler ma troisième année ainsi que mon Master 1. Je travaille environ 15 heures par semaine pendant les périodes de cours, et de 19 à 22 heures pendant les vacances scolaires. J’avais 440 € de bourse, et entre 500 et 600 € de salaire. Après ma deuxième année, j’ai perdu mes droits de bourse à cause de mon redoublement, et ce, malgré mon recours au Crous.
Le problème avec l’université, c’est qu’ils pensent que travailler à côté est un choix, alors que ça ne l’est absolument pas. C’est une nécessité. La direction était bien sûr au courant de ma situation. Et pourtant, cette année, en M1, j’ai obtenu 9,8 de moyenne. Malheureusement pour moi, et malgré mon recours avec l’UNEF, ils ont estimé que mon job étudiant et ma situation n’étaient pas une raison suffisante pour demander 0,2 point supplémentaire au jury.
Ils n’ont absolument pas pris en compte ma situation d’étudiante salariée, et j’ai eu droit à un mail de la directrice de L’UFR qui m’a dit qu’elle comprenait, mais qu’elle ne pouvait rien faire puisqu’en Master, c’est le directeur qui décide. J’ai fait un recours auprès du doyen de l’université, qui n’a même pas pris la peine de me répondre. Et c’est comme ça que je me retrouve donc sans Master 1 cette année. En attendant de pouvoir trouver un autre M1, j’ai un contrat en CDD dans un job administratif, mais cela m’embête vraiment d’avoir une coupure.
J’ai fait ce tweet pour dénoncer la situation précaire dans laquelle sont les étudiants, et montrer que ce n’est pas un choix. Il faut vraiment plus d’aides pour les étudiants précaires, et/ou un aménagement d’études. J’ai peur de ne pas trouver de M1 l’an prochain, et de ne pas finir mes études. Moralement, c’est très difficile de se dire que l’on ne peut pas continuer ses études à cause de raisons financières, que personne ne le comprend, et de se retrouver sur le côté…”
Léonard, 19 ans, étudiant à Sciences Po Paris : “J’en ai assez des mensonges des membres du gouvernement”
Elle OSE dire que nos bourses ont augmenté de 1.1% comme si on devait les remercier.
Inflation en 2018 : 1.8%
Soit l'évolution nette de nos bourses : -0.7%
Une BAISSE en termes réels, donc. #LaPrecariteTue #MacronAssassin https://t.co/5VfaW40pgR— leonard 🏳️🌈 (@Aghantros) November 13, 2019
“Je suis boursier. Je ne pense pas avoir la situation la plus difficile car mon école, qui dispose de plus de fonds que les universités en France, « booste » les bourses à hauteur de 75 %. J’ai aussi la chance d’avoir un logement étudiant du Crous, qui coûte 480 € par mois et qui est neuf et bien équipé. Avec les APL et la bourse, ça me laisse seulement 100 € pour vivre. Je fais de l’aide aux devoirs à côté en auto-entrepreneur (avec une plateforme). Ça me prend quelques heures par semaine, je gagne 200 € en plus par mois, qui me permettent de joindre les deux bouts. Mes parents, intermittents du spectacle, m’aident quand ils peuvent.
Si j’ai fait mon tweet sur le sujet, c’est que j’en ai assez des mensonges des membres du gouvernement. Ils prétendent avoir pris le sujet à bras-le-corps alors que leur bilan, alors qu’ils continuent la politique qui nous précarise depuis 20 ans. Entre l’augmentation des frais pour les étudiants extra-européens, la baisse des APL… Avoir sa bourse c’est galère, avoir les APL c’est galère… On doit batailler avec l’administration pour obtenir nos droits les plus élémentaires. Par exemple, le Crous me doit actuellement 200 € de « bourse au mérite », soit deux mois non payés. Cette aide a d’ailleurs été divisée par deux en 2015.
J’ai des petites dettes auprès de mes amis, je ne le vis pas forcément bien. Je n’ai pas le parcours le plus difficile, même s’il m’arrive d’avoir le compte bancaire vide quelques jours de suite, où je me débrouille pour manger des pâtes et aller chez des copains. Il n’empêche : travailler à côté, stresser pour l’argent… Les études devraient être notre « emploi » à plein temps.
A moins d’être issu d’une famille aisée, on doit se battre. Je n’aurai jamais pu faire mes études à Paris sans le logement du Crous, que j’ai obtenu par chance. Avant ça, je vivais dans un 8m2 dans le XXe, un logement franchement pas adapté pour y vivre, même une semaine. Fenêtres qui ne fermaient pas, installations électriques douteuses… enfin.
Je pense qu’il est temps que chacun puisse suivre ses études dignement. Il ne suffit pas de grand-chose : augmenter les bourses, les verser à plus de monde, faciliter les démarches. Pour ça, on aurait besoin du huitième d’un CICE dont les études ont montré qu’il était inefficace. Voir un étudiant poussé au suicide à cause de sa situation financière, c’est insupportable. On est nombreux à être en colère, et à plus largement ne plus vouloir de ce système, au-delà de la précarité à laquelle il nous contraint.”
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Naïri, 27 ans, à l’école d’avocat du barreau de Versailles, à Viroflay : “Ce drame c’est un peu ce que je déplore chaque jour”
https://twitter.com/labriochian/status/1194544222076059649?s=20
“Ce drame,c est un peu ce que je déplore chaque jour. Depuis que je suis en licence, j’ai de grandes difficultés financières, et j’en souffre énormément. La dépression, je l’ai connue, comme tous les étudiants dans ma situation… Je suis croyante et je pratique, et c’est vraiment ma foi qui m’a permis de ne pas me suicider. En plus des difficultés financières, j’ai dû surmonter de graves soucis de santé. Avec pour conséquence le fait que mes études ont duré plus longtemps que prévu. Et donc j’ai eu encore plus besoin d’argent. Il faut que ces choses soient dites, que cela se sache. J’ai fait ce tweet parce que j’espère que les choses vont bouger au sein même des professionnels du droit, qui sont tous au courant de ce que l’on subit dans les écoles.
Mes parents sont tous les deux issus de l’immigration, ils ne sont pas diplômés. Mon père est commercial, et ma mère secrétaire. Ils gagnent tout juste 100 euros de plus que ce qui m’aurait permis d’accéder à la bourse. Pour autant, ce n’est pas ça qui me permet de payer mes études… Tout au long de mes études en droit, j’ai donc été contrainte de travailler. J’ai longtemps plié des vêtements chez Uniqlo à 5 heures du matin avant d’aller en TD (travaux dirigés, ndlr) à 15 heures. J’étais rincée. J’ai fait toutes sortes de petits boulots : j’ai vendu des chaussettes, j’ai travaillé dans des chaînes de fast-food, j’ai fait de l’intérim… A la moindre occasion que j’avais de bosser, je le faisais.
J’ai redoublé ma première année. Ça a été une année vraiment compliquée pour moi. J’ai été hospitalisée pour des problèmes de santé, tout en devant réussir à me remettre vite au travail. Quand j’ai expliqué ma situation à l’administration de la faculté, on m’a répondu que cela n’était pas suffisant pour m’accorder un passage conditionnel. Afin de pouvoir travailler sur ces horaires-là, j’ai très vite abandonné l’idée d’aller en cours : je n’allais plus du tout en amphi, me contentant d’aller aux TD. Je travaillais aussi les week-ends. C’est comme ça que j’y suis arrivée, ou, du moins, jusqu’à maintenant. Parce qu’à un moment donné, si tu veux espérer te démarquer, il faut faire des stages en cabinet. Mais quand on n’a pas les moyens de ne pas travailler pendant les deux mois d’été, on ne peut pas faire de stages. J’ai donc été obligée de faire un prêt étudiant de 18 000 euros.
Une fois arrivée à l’école d’avocats, je me suis rendu compte que la présence était impérative et obligatoire, auquel cas on risque d’obtenir un zéro au contrôle continu pour l’examen final. Ce qui est énorme. On doit signer une feuille de présence avant et après la pause. Sauf que la moyenne d’âge est de 28 ans, et empêcher des gens d’avoir un salaire pendant quatre à six mois, je trouve ça inadmissible. Et quand je me suis tournée vers le directeur pour faire part de mes difficultés, il m’a répondu : ‘Déposez un dossier de surendettement à la banque de France.’ Je demandais simplement à ne pas être pénalisée pour mes absences. D’autant plus que je dois commencer à rembourser mon prêt, à hauteur de 300 euros par mois.
Comment peut-on nous empêcher de travailler dans ces conditions ? C’est impossible pour moi, du coup je prends le risque de ne pas aller en cours. Je n’ai pas le choix : je suis bien obligée de remplir mon frigo, de payer mon loyer et de rembourser mon prêt. On verra en temps voulu s’ils souhaitent me faire passer en conseil de discipline… Depuis mars, je travaille dans un cabinet d’avocats. Pendant un mois et demi, j’ai tenté de venir travailler le soir, donc je sortais de l’école de Versailles à 17h30, j’arrivais au cabinet à Paris à 19 h, et je restais jusqu’à une heure du matin. Et le lendemain je devais me lever à 7 h pour aller en cours. Je me suis vite effondrée, mon corps n’a plus suivi.
C’est dur à dire mais les gouvernements successifs ne sont malheureusement pas les seuls responsables. Tout le monde est responsable. Du chargé de TD qui nous descend parce qu’on arrive en retard, à ceux qui se moquent des étudiants qui sortent de leur travail chez McDo parce qu’ils sentent la friture, en passant par ces étudiants qui nous demandent de montrer nos contrats de travail pour nous donner leurs cours… Tout le monde sait, mais personne ne nous tend la main. J’aurais pu choisir l’école d’avocat du barreau de Paris, qui propose une formation en alternance. Sauf que pour l’inscription, il faut verser impérativement les 1 860 euros d’un seul coup. Alors que, pour l’école de Versailles, on peut faire un paiement en deux fois. J’étais donc obligée de choisir cette école. Parce que oui, l’école coûte 2 000 euros, mais on n’a pas le droit de bosser à côté pour autant. C’est assez incroyable…”
Maëva, 20 ans, étudiante en psycho à l’université Victor Segalen, à Brest : “Je ne m’en sortais pas”
https://twitter.com/maevaadnot/status/1194316930057945090?s=20
“J’ai rédigé ce tweet après être tombée sur le #LaPrécaritéTue. Je viens justement de revenir vivre chez mes parents, par obligation, n’ayant plus les moyens de me nourrir. Après le bac, j’ai enchaîné plusieurs petits boulots avant de trouver le courage de m’inscrire sur Parcoursup. Mes parents habitent à Paris, et j’ai été prise uniquement dans la faculté de Brest, loin de chez moi donc. Comme je l’explique dans mon tweet, avec seulement 320 euros de bourse pour 244 euros de loyer, ce n’était plus possible pour moi de continuer ma première année de Psychologie. Comme je ne m’en sortais pas et que j’avais des difficultés à trouver un emploi à côté, je suis retournée vivre chez mes parents. Je suis là le temps de me stabiliser un peu. Mais je suis très stressée à l’idée de ne plus être en cours (j’essaie de les suivre un peu à distance) et de perdre du coup mes droits à la bourse.”
Marie, 21 ans, étudiante en Master Recherche Théâtre à la Sorbonne et au conservatoire de Théâtre : “Quand j’aurai remboursé tout le monde, je ne sais pas ce qu’il me restera”
“Je suis boursière depuis que j’ai obtenu mon bac, en 2016. Mes deux parents travaillent, mais étant l’aînée de la fratrie, j’ai toujours su qu’il fallait que je travaille suffisamment tôt pour ne pas les ruiner, et aussi pour laisser une chance à mes frères et sœurs de faire les études qu’ils veulent. Pendant plusieurs mois, j’ai cumulé deux emplois : un le soir, et un le samedi.
Je précise aussi que je dois payer régulièrement un médecin psychologue, qui m’aide pour ma santé mentale. Je trouve ça important d’en parler aussi, car, à un moment, j’en suis venue à me demander si je préférais étudier, manger ou aller bien. J’exagère à peine. Je n’arrivais plus à payer mon loyer. Mon père m’a avancé de l’argent pour vivre, et ma mère pour payer mon loyer. J’ai vraiment eu de la chance de les avoir, j’en suis consciente.
J’ai tweeté ceci il y a quelques jours car j’ai vu que la parole se libérait sur la situation précaire des étudiants. Il y a peu, je me suis retrouvée dans des problèmes administratifs monstres avec le Crous. J’avais envoyé mon dossier rempli, et j’avais reçu une confirmation comme quoi ils allaient traiter mon dossier. Puis, plus rien. Ils ne répondaient ni aux appels ni aux mails. Tout l’été, j’ai dû enchaîner les allers-retours au Crous de Paris, où la file d’attente est interminable. Généralement, on me disait ‘il faut attendre encore, ça va arriver’, et je repartais.
Début septembre, j’ai commencé à paniquer, parce que de la bourse découle l’inscription à la fac, et de la fac découle le passe navigo… Je vous laisse imaginer la panique, quand, en plus de tout cela, il faut gérer les inscriptions à droite à gauche, le loyer, la nourriture… Un jour, j’ai reçu un mail du Crous m’indiquant qu’il manquait des pièces dans mon dossier, à savoir mon certificat de scolarité de l’année en cours. J’ai trouvé ça vraiment indécent, car c’est justement la bourse du Crous qui me permet de m’inscrire à la fac en temps normal. Cette année, j’ai dû avancer les frais d’inscription. La situation a fini par s’arranger, et j’ai obtenu ma bourse.
Aujourd’hui, j’ai reçu mes paiements en retard. Je dois rembourser les loyers que j’ai en retard, payer le nouveau, et rembourser les personnes qui m’ont aidée pendant ce temps. J’ai de la chance d’avoir des proches qui peuvent m’aider et aussi de bien connaître ma propriétaire, qui tolère ma situation. Quand j’aurai remboursé tout le monde, je ne sais pas ce qu’il me restera. Je n’ai pas encore calculé, je n’ai pas eu le temps. Il faut bien se rendre compte que ces gestions administratives, ce stress, ces allers-retours et files d’attente au Crous, ces emprunts d’argent à droite à gauche, c’est du temps en moins sur nos études et nos formations. C’est surtout ça que je regrette et que je déplore. Le système dans lequel nous sommes, avec le régime de sécurité sociale et les possibilités de bourses étudiantes, ce sont des aides précieuses qu’il faut protéger et encourager.
Nous sommes le futur, et si cela devient la norme d’être trop occupés à savoir si on aura encore un toit demain plutôt que d’étudier, de prendre soin de nous et de notre santé mentale, alors, ça va mal.”
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