Un groupe de rock amateur mené par trois ados de 15 ans, déchaîne les passions au Cachemire. Tour à tour égéries de l’anti-conservatisme indien ou cibles des musulmans radicaux, les filles ont dû dissoudre leur groupe après avoir fait l’objet d’une fatwa.
Dans la vallée du Cachemire, gare à celles qui s’approchent des guitares. Tout semblait bien commencer pour Aneeqa Khalid, Noma Nazir et Farah Deeba, trois ados âgées d’une quinzaine d’années et férues de heavy qui tâche. Citant Metallica et Cradle of Filth dans leurs influences, les trois apprennent leur solfège et montent rapidement les échelons de la scène locale. Tant et si bien que Praagaash (“de l’ombre à la lumière”) arrive troisième au tremplin rock Battle of the bands à Srinagar. “C’était super, raconte la bassiste Aneeqa, au New York Times. On a même eu droit à une standing ovation, et on nous a invité à faire d’autres concerts”. Seul groupe entièrement féminin, Praagaash a tapé dans l’oeil des médias indiens.
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Mais leur toute nouvelle notoriété leur a valu une fatwa. Rien que ça. Dans une région disputée par le Pakistan et l’Inde, où les conflits politiques et religieux s’entremêlent depuis 65 ans, même un trio amateur peut mettre le feu aux poudres.
“PROSTITUÉES” VS “IDIOTS”
Peu de temps après la prestation à Srinagar, des musulmans radicaux se sont empressés de donner leur avis sur la page Facebook de Praagaash. Comment ces jeunes “prostituées” ont-elles oser monter sur scène face à des hommes inconnus? Et ça continue dans la même veine, certains commentaires suggérant qu’Aneeqa, Noma et Farah devraient être violées pour ce qu’elles ont fait. Les filles ne se laissent pourtant pas démonter : rien ne les détournera de leur rêve rock n’roll. Après tout, ces critiques sont sûrement “l’oeuvre d’autres ados jaloux”.
Mais bientôt, Praagaash devient le point d’orgue des tensions entre la population hindoue et la minorité musulmane. Même le premier ministre de l’État du Jammu-Cachemire y est allé de sa petite phrase, assénant les filles à ne pas se laisser décourager par “une poignée d’idiots”.
I hope these talented young girls will not let a handful of morons silence them #Pragaash
— Omar Abdullah (@abdullah_omar) 2 février 2013
Le débat politique fait fureur. Les partisans hindous défendent Praagaash (“les filles musulmanes qui font tomber les barrières conservatrices”) ; les séparatistes, dont le leader Syed Ali Geelani, condamnent les trois ados. Le Times of India va jusqu’à intimer le Cachemire à soutenir Praagaash au nom de la lutte contre les Taliban : “si des éléments réactionnaires parviennent à étouffer toute activité musicale, les civils en souffriront, ce qui laissera le terrain libre à tous ceux qui veulent faire du Cachemire un Afghanistan talibanisé”.
“IL FAUT SUIVRE LES RÈGLES”
Dimanche dernier, le grand mufti Bashiruddin Ahmad lance une fatwa contre les ados pour avoir chanté en public. Pour le mufti, les femmes ne doivent chanter qu’à la maison et seulement devant des membres féminins de la famille.
Le groupe se dissout sous la pression parentale. La mère de Farah la batteuse, n’a jamais vraiment accepté les velléités musicales de sa fille, mais elle ne voulait pas “détruire ses rêves”. “En échange, son père lui a fait promettre de prier 5 fois par jour”. La mère d’Aneeqa ne comprend pas pourquoi on condamne sa fille alors que des tas de femmes jouent de la musique ou la comédie à la télévision dans tous les foyers du Cachemire. “Mais si on veut vivre ici, il faut suivre les règles”, soupire t-elle. Sa seule crainte : qu’Aneeqa soit attaquée à l’acide, ou pire, assassinée.
Les filles, elles, continuent d’écrire dans leur chambre. Leur dernière compo, une chanson punk qui marie paroles en hindi et anglais. “C’est notre passion, et on n’y peut rien, s’énerve Aneeqa, donc si les gens veulent parler, qu’ils parlent!”. Une flamme que les conservateurs ne parviendront pas à éteindre.
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