Si la folie des débuts n’est plus là, les petits monstres de « Pokémon Go » n’ont pas disparu de notre paysage. Un an après son lancement, l’application compterait encore 65 millions d’adeptes selon son éditeur. Quatorze d’entre eux nous disent pourquoi ils ne se sont pas lassés de traquer les étranges créatures qui s’agitent autour d’eux.
« Tant qu’il y aura de nouveaux défis, des ajouts de Pokémons, je continuerai à jouer, jure Lucie. Au bout d’un an je n’ai même pas encore tous ceux de l’ancienne génération, donc pas de répit tant que je ne le aurai pas tous ». N’écoutez pas les mauvaises langues qui vous expliquent que Pokémon Go n’était qu’une mode forcément passagère et que tout le monde a depuis longtemps lâché l’affaire pour retrouver une façon « normale » de marcher dans les rues. Un an après son lancement au succès historique, le jeu conçu par Niantic a certes perdu des plumes (c’est-à-dire des joueurs) mais, selon John Hanke, le PDG du studio américain, le jeu aux 750 millions de téléchargements était encore pratiqué ce printemps par 65 millions de personnes à travers le monde.
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Et tout est fait pour leur donner envie de continuer avec l’ajout régulier de nouvelles fonctions (récemment : les « raids » coopératifs) et de nouveaux Pokémons ainsi que d’événements saisonniers. Un Pikachu au look estival est par exemple espéré d’ici la fin juillet – on compte bien l’installer à côté de celui de Noël dans notre petite (150 spécimens au compteur du Pokédex : on est conscient que ça reste modeste) troupe de monstres de poche.
« Des expéditions pendant la pause déjeuner »
Mais qui sont donc ces gens qui, pendant tous ces mois, ont gardé une place pour la chasse aux Pokémons dans leur vie ? Ce sont des gens qui se déplacent, déjà, et souvent un peu plus qu’avant. « Je lance le jeu chaque matin et chaque soir durant mes trajets à pieds entre mon domicile et l’arrêt du tramway », explique Yann, qui avoue aussi faire parfois « des expéditions pendant [sa] pause déjeuner » et se voit comme un joueur « assidu mais pas furieux ». Même chose pour Lucie qui « joue tous les jours depuis la sortie du jeu (sauf quand j’étais en vacances à Chicago pour ne pas exploser mon forfait data) ». « Je joue surtout pendant mes trajets, ajoute-t-elle. D’ailleurs, je prends beaucoup plus le bus depuis que je joue. »
Certains utilisent un peu l’appli comme une incitation à la flânerie, à l’image d’Antoine : « Je trouve que ça reste amusant de prendre le jeu pour aller faire une promenade, et de dévier du chemin qu’on avait prévu pour attraper tel ou tel Pokémon. » En plus, Pokémon Go, c’est (peut-être, disons un petit peu) bon pour la santé. « Le jeu incite à marcher plus, ce qui va dans le sens de mon objectif d’activité physique », note Séverine qui, à 53 ans, n’a pas forcément le profil supposé de l’amatrice de Pokémons. « J’aime le regard amusé des enfants et celui des adultes m’indiffère comme dans les autres domaines de la vie, dit-elle. Les adultes ont parfois l’air surpris mais, en réalité, peu d’entre eux réalisent ce que je fais quand je frotte frénétiquement l’écran. »
« Deux heures du matin : la cathédrale de Strasbourg »
Si Pokémon Go demeure un chouette passe-temps solitaire – on peut en témoigner –, beaucoup lui sont restés fidèles pendant tous ces mois parce qu’ils ont su en faire une activité collective, voire familiale, voire amoureuse. Comme Audrey : « Je joue beaucoup le week-end en couple. On est chacun sur notre téléphone, mais on regarde plus ou moins la même chose, on a le même objectif et c’est un jeu vidéo en coopération en somme, sauf que le monde extérieur est le terrain de jeu. Ça façonne un peu la sortie, mais on finit toujours par s’asseoir ou se coucher dans l’herbe et poser le téléphone. » Pour Rémy, c’est « une bande de copains qui s’est construite avec le temps. Ça va de 3 à 12 personnes. On se retrouve le vendredi après-midi pour aller faire des arènes dans Paris. D’autres communautés se sont construites en mode hardcore gamer. Tu as peut-être entendu parler des Noraj ? Ce sont des joueurs “jaunes“, de très bons joueurs, très organisés, qui “rasent“ des quartiers entiers et peuvent même passer tout Paris en jaune en une nuit. »
Et puis il y a les rencontres de hasard. « On a fait une chasse avec six de mes amis, se souvient Oriane, et alors qu’on était dans un parc, on a retrouvé une amie de lycée qui chassait aussi et que nous n’avions pas vue depuis presque cinq ans. » Rencontres de personnes mais aussi de lieux : « J’ai emménagé à 600 km de chez mes parents avec mon meilleur ami et le jeu nous a permis de découvrir une nouvelle ville de façon ludique, ajoute-t-elle. Nous chassions la nuit, vers deux heures du matin, quand pour trouver un Porygon, nous nous sommes retrouvés devant la cathédrale de Strasbourg. Elle était magnifique, l’illumination rendait super bien. A ce moment, on a su qu’on était chez nous. »
« Elle règne en maîtresse sur le port de Paimpol »
Etre, à la base, un amoureux des Pokémons, ça aide aussi, comme pour Loup, qui « teste les jeux de la licence pour un site web », a « même écrit un livre sur le sujet » et espère voir arriver un jour « une connectivité avec les jeux de la série principale, d’une manière ou d’une autre ». « J’ai même changé de téléphone pour pouvoir y jouer, se souvient-il. Mon ancien ne pouvait pas faire fonctionner le jeu. » Un téléphone qu’il s’est plus tard fait voler. « Heureusement que la sauvegarde se fait sur une compte et pas dans le téléphone », soupire-t-il. Sans quoi, le Métamorph « caché dans un Hoothoot tout pourri » attrapé peu de temps avant aurait bel et bien été perdu.
Elle aussi grande fan des Pokémons, Mélanie (Christin, conceptrice du jeu Transformice) s’est jetée sur l’application dès qu’elle est sortie avant d’initier sa mère qui « s’occupe de jeunes adolescents » et voulait « mieux comprendre ce qui les intéressait et pourquoi ils jouaient« . Et qui, « devenue accro », règne désormais « en maîtresse sur le port de Paimpol » avec son niveau 32. Aujourd’hui, les deux femmes s’envoient quotidiennement des SMS avec leurs « exploits du jour ». Et tant pis si, pour la développeuse, tout ça « ne fonctionne que grâce à la licence Pokémon ». « Niveau game design, il n’y a rien à tirer d’un jeu pareil, estime-t-elle. Il est très pauvre, en fait. »
« Insuffler de l’imaginaire dans un quotidien un peu bancal »
Et pourtant, ils jouent. Comme Hélène qui n’a « pas arrêté depuis juillet 2016 », tient toujours à « avoir le bonus du jour » (500 points pour le premier Pokéstop et autant pour la première capture) et se voit bien continuer longtemps « si le contenue évolue vite et de manière communautaire ». Comme Florent que l’apparition des raids a « motivé à ressortir malgré la chaleur en plein soleil ». Comme Pauline dont la pratique est plus assidue « quand il y a des bonus spéciaux ou des Pokémons assez rares qui “popent” en masse » mais ne voit pas pourquoi elle arrêterait pour l’instant.
David, lui, a une théorie : « Pokémon Go élargit la perception sur les manières dont on peut entrer en relation avec son environnement et sa ville. Ces beaux petits monstres au-dessus de notre réalité peuvent insuffler de l’imaginaire dans un quotidien un peu bancal. La capacité des Pokémons à apparaître n’importe où est aussi un rappel du côté construit et arbitraire de concepts comme la propriété privée et les frontières nationales. » Et puis, « pendant le dernier solstice, [il a] attrapé un Typhlosion qui était vraiment cool ».
Virginie, elle, joue « beaucoup moins que l’été dernier (où je me suis surprise à aller me promener de nuit à la Villette quand je sortais dans les parages) » mais quand même quotidiennement. « Je fais partie des gens qui aiment bien finir les choses, dit-elle, alors j’aimerais les avoir tous. » C’est déjà une bonne raison de continuer.
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