Trente-cinq ans après sa naissance dans l’ex-URSS, « Tetris » surprend encore avec sa toute nouvelle version en ligne pour 99 joueurs au principe inspiré des jeux « battle royale » comme « Fortnite » et disponible depuis peu sur la Switch de Nintendo. A la fois éprouvant et grisant, « Tetris 99 » est l’un des jeux phénomènes de ce début d’année. Et, sans aucun doute, l’un de ceux qui resteront.Trente-cinq ans après sa naissance dans l’ex-URSS, « Tetris » surprend encore avec sa toute nouvelle version en ligne pour 99 joueurs au principe inspiré des jeux « battle royale » comme « Fortnite » et disponible depuis peu sur la Switch de Nintendo. A la fois éprouvant et grisant, « Tetris 99 » est l’un des jeux phénomènes de ce début d’année. Et, sans aucun doute, l’un de ceux qui resteront.
On n’en a jamais fini avec Tetris. On se gardera donc de crier à la version ultime du classique d’Alekseï Pajitnov comme on l’avait plus ou moins fait en 2017 lors de la sortie du crossover Puyo Puyo Tetris et, pas plus tard que l’automne dernier, sous le choc de sa réinvention en réalité virtuelle signée Tetsuya Mizuguchi et baptisée Tetris Effect. Après la VR ou, à une époque déjà presque lointaine, le tactile, c’est une autre tendance moderne qui s’invite à la table du jeu vidéo le plus vendu de tous les temps (170 millions d’exemplaires, toutes versions confondues). Une de ces modes qui, le temps d’une saison ou deux (et parfois nettement plus), semblent contraindre le monde du jeu vidéo dans son ensemble à se positionner vis-à-vis d’elles. Alors, Fornite, PUBG, les “battle royale”, ces jeux dans lesquels une centaine de joueurs s’affrontent sans merci jusqu’à ce qu’il n’y ait qu’un seul survivant, vous aimez ? Parce que Tetris 99, édité par Nintendo et proposé sans surcoût aux abonnés à son service de jeu en ligne (dont il est instantanément devenu le meilleur ambassadeur), c’est exactement ça : Tetris à l’ère de Fortnite. Et c’est brillant.
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Tempête de formes colorées
A première vue, le jeu ne bouleverse pas fondamentalement nos habitudes d’arrangeur de tétrominos. Comme il y a trois décennies, le but est toujours d’assembler les formes qui tombent du ciel pour remplir des lignes – et si possible plusieurs d’un coup – pour les faire disparaître du même coup. Jusqu’au moment où ça va tellement trop vite qu’on se laisse déborder. Game over. Affaire à suivre à l’intérieur de nos têtes, du matin au soir et même les yeux fermés. La différence, ici, c’est que nous ne sommes pas seul face à la machine, mais confronté à 98 adversaires qui poursuivent le même but que nous : rester le dernier en course quand tous les autres auront cédé, emportés par la tempête toujours plus intense de formes colorées. Jouer à Tetris à plusieurs n’est pas une absolue nouveauté : en la matière, les duels existent depuis bien longtemps, l’idée étant que chacun peut perturber le jeu de l’adversaire en envoyant des lignes incomplètes sur son écran, et, en 2006, Tetris DS permettait déjà les parties à dix joueurs. Mais passer de 2 ou 10 à 99, c’est entrer dans une autre dimension.
Jouer à Tetris 99, c’est se confronter à l’autre autant qu’à la machine. Tout, sur ce plan, est affaire de stratégie. Les plus habiles (ou les plus inconscients) utiliseront l’écran tactile de la Switch pour viser directement celui de leurs adversaires (dont chacun des écrans s’affiche en tout petit sur le nôtre) qui recevra leurs lignes perturbatrices. Afin de se consacrer pleinement à leur noble activité de rangement, les autres opteront plus sagement pour des attaques automatiques selon les critères de leur choix – on avoue personnellement une préférence pour le mode “riposte”, qui répond à ceux qui nous attaquent plutôt que d’agresser des “innocents”. Très vite, on remarque que le hasard tient une place non négligeable : que l’on soit ou non “attaqué” par les autres joueurs, les débuts de partie peuvent se révéler bien différents. Il y a ceux où le sort semble s’acharner contre nous. Notre écran se remplit par en-dessous – c’est ce qui se passe avec les “envois” des autres joueurs –, les tétrominos qui arrivent ne sont jamais les bons, le stress monte, on multiplie les petites erreurs, et voilà comment on se retrouve éliminé prématurément avec, sur l’écran, l’annonce d’une humiliante 91e place.
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Le danger vient (aussi) d’en bas
Parfois, c’est exactement le contraire : comme si les autres nous avaient momentanément oublié, on empile tranquillement les blocs dans notre coin. Il n’y a plus que ça qui compte, on y est pleinement, c’est même beau. Et voilà soudain l’annonce que nous ne sommes plus que 10 en lice – l’annonce du top 50 nous avait échappé. C’est à ce moment que l’on prend conscience de ce qu’on a déjà réussi et, du même coup, de ce qui nous attend. C’est généralement là que ça se gâte – quand on réalise où on en est et que ce sont de vrais gens qui nous disputent cette victoire si proche et en même temps si lointaine. Arriver dans les cinq premiers est douloureux et exaltant à la fois, on tremble, on a chaud et froid, plus que quatre, plus que trois… C’est fini. Raté, on respire mal mais on est fier quand même. Tetris 99 est une épreuve. Une merveilleuse épreuve.
Dans un Tetris “classique”, le danger vient toujours du haut de l’écran. Ce n’est pas le cas ici, où les lignes (incomplètes, donc) qui viennent des autres joueurs apparaissent au contraire en bas, sous nos assemblages patiemment réalisés, nous contraignant à revoir nos objectifs dans l’urgence. Ce qui, à l’usage, se révèle incroyablement exaltant. Tous ceux qui ont un minimum pratiqué Tetris sur l’une ou l’autre des innombrables machines à jouer qui l’ont accueilli au cours des trente et quelques dernières années le savent bien : le vrai plaisir n’est pas dans le contrôle total, dans l’effacement quasi immédiat des lignes présentes à l’écran, mais dans le rattrapage mi-virtuose mi-miraculeux d’une situation mal engagée.
Vaincre en tremblant, perdre en riant
Ça tombe bien : ce type de reconfiguration en catastrophe est précisément ce que, sans doute plus que toute autre version du jeu, demande sans cesse Tetris 99. Analyser la nouvelle situation dans l’instant, improviser une réponse adaptée et faire joliment descendre cette effrayante pile de briques. Et si ça rate, tant pis : si l’on gagne (ou quasiment) en tremblant, on perd aussi souvent en riant. De nos cafouillages, des coups du sort, de la vitesse à laquelle tout a si mal tourné. Tetris (99, mais pas seulement), c’est aussi du burlesque, de la comédie. Une blague dont on serait à la fois le co-auteur, la principale victime et le premier spectateur.
Ces blocs ne sont évidemment pas que des blocs, ces lignes ne se résument pas à des lignes. Dis, Sisyphe, on relance une partie ? Tetris a toujours été une affaire profonde, une sorte d’allégorie de l’expérience humaine, suffisamment abstraite (dans la forme) pour se prêter à bien des lectures, suffisamment concrète (dans ce qu’il nous est demandé de faire) pour laisser une trace durable en nous. La nouveauté de Tetris 99, annonçait-on, c’est la présence massive de l’autre, dont la fonction, ici, est d’ajouter des pièces à notre puzzle. Mais plus il y a de pièces, meilleur est le puzzle, non ? De là à affirmer que les 98 autres sont nos partenaires autant que nos adversaires, il n’y a qu’un pas. L’autre, semble nous dire Tetris 99, c’est ce qui rend tout plus dur et effrayant, mais aussi plus beau, plus intéressant, plus exaltant. Et c’est ainsi qu’un jeu “battle royale”, à rebours de presque tous les autres, se fit éloge de l’altérité. Trente-cinq ans après leurs premières descentes à l’Académie des sciences de l’URSS, les briques de Tetris n’ont pas fini de nous remuer.
Tetris 99 (Arika / Nintendo), sur Switch, inclus dans l’abonnement Nintendo Switch Online (3,99€ par mois ou 19,99€ par an)
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