Hélène Mialet, anthropologue des sciences aux Etats-Unis a longuement enquêté sur Stephen Hawking. Elle a montré que l’icône de la science qui vient de disparaître travaillait au cœur d’un réseau d’assistants et d’ordinateurs qui ont permis ses découvertes. Une déconstruction du mythe du savant solitaire qui a rencontré de multiples résistances.
Hélène Mialet, philosophe et anthropologue des sciences à l’université York de Toronto, a mené une longue enquête sur les méthodes de travail de Stephen Hawking, qui ont abouti à la publication d’A la recherche de Stephen Hawking, chez Odile Jacob. Après avoir rencontré le savant à plusieurs reprises, elle a montré comment, grâce à la technologie et grâce à son réseau d’étudiants et d’assistants, Hawking était parvenu à surmonter son handicap et continuer les recherches qui ont fait de lui une icône de la science, à l’égal d’un Einstein. Son livre montrait aussi que malgré la maladie sa façon de travailler n’était pas fondamentalement différente de celle des autres chercheurs. Un savant travaille toujours en réseau. Rencontre.
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Dans quelles circonstances avez-vous rencontré Stephen Hawking?
Hélène Mialet – Il m’a fallu beaucoup de temps et de persévérance pour pouvoir le rencontrer. Plus d’une fois, ses assistants m’ont éconduite sans plus d’explications. Et puis j’ai été chargée d’écrire un chapitre sur lui dans le cadre d’un livre portant sur l’histoire de la chaire Lucasian de mathématiques à Cambridge qu’il détenait à l’époque, une chaire particulièrement prestigieuse, puisqu’elle a été détenue par Newton lui-même. Hawking a alors accepté de me parler. Après cela, j’ai eu l’occasion de le rencontrer souvent, lorsqu’il travaillait avec ses étudiants, il m’a invitée à diner à Caius College à Cambridge à la High Table, j’ai même dansé avec lui dans une boite de nuit à Berlin !
Comment parveniez-vous à communiquer avec lui?
Hawking a perdu la capacité de parler dès 1985 à la suite d’une trachéotomie. Il utilisait un programme qui complétait ses mots et ses phrases. Il est dans ce sens une sorte de pionnier, car nous utilisons tous aujourd’hui des programmes similaires sur nos smartphones. Mais la première fois que je l’ai rencontré, j’ai été assez déstabilisée, car il me fallait apprendre à communiquer avec lui, à lire ses réponses sur son ordinateur. Je n’avais pas le langage du corps qui nous est souvent essentiel pour pouvoir interpréter une conversation, et lorsqu’il a utilisé sa fameuse voix électronique pour me répondre, je ne l’ai même pas entendue, je m’en suis rendu compte après coup quand j’ai réécouté l’interview, qui n’a d’ailleurs servi à rien puisque qu’il a imprimé lui-même les réponses à la fin directement à partir de son ordinateur.
Vous avez étudié sa façon de travailler, les dispositifs qui lui permettaient de communiquer avec ses étudiants, ce que vous appelez son “corps étendu”?
Ce qui m’a intéressée en tant que philosophe et anthropologue des sciences c’est de comprendre comment il pouvait travailler sans pouvoir manipuler, dessiner, écrire et parler. J’ai interviewé son entourage, infirmières, assistants personnels, étudiants, collègues. J’ai découvert que pour comprendre Hawking, il fallait comprendre les gens et les machines sans lesquels il serait incapable d’agir et de penser. Contrairement à l’idée que nous nous faisons d’un scientifique comme “pur esprit”. J’ai montré qu’il devait au contraire déléguer ses compétences à ses étudiants qui faisaient souvent les calculs, aux machines, à des diagrammes, à tout un collectif qui lui permettait de faire ce qu’il fait. C’est ce que j’ai appelé un corps collectif.
Cette interprétation a été très mal comprise. On vous a accusée de faire de lui une sorte de Dark Vador?
En 2013, j’ai écrit un article dans le magazine Wired autour de sa dépendance à la technologie, certains m’ont accusée de désacraliser son statut iconique en le transformant en robot, et j’ai été la victime de violentes critiques. Ma photo a circulé dans le Daily Mail avec Dark Vador à mes côtés. J’ai même reçu des menaces de mort. Mais je ne disais pas qu’il était devenu davantage une machine qu’un humain, mais plutôt qu’il était comme nous tous: trop humain, et toujours dépendant des autres, que ce soit des humains ou des machines.
Vous expliquez que finalement malgré cet appareillage technologique, sa façon de travailler n’était pas fondamentalement différente de celle des autres savants ?
Tout ce qu’il ne peut faire lui-même, il doit le déléguer aux autres, et du coup cela déconstruit le mythe du génie solitaire capable de produire de la théorie en s’appuyant sur les seules forces de sa raison. Tous les scientifiques à son niveau font souvent faire aux étudiants le travail de calcul, les expériences, etc. La sociologie des sciences montre que le travail scientifique est le produit d’une démarche collective mettant en relation des personnes et des machines. Et Hawking était l’exemple typique de la « science en train de se faire”.
Avec tous les systèmes informatiques qui lui permettaient de communiquer et de vivre, peut-on dire que Stephen Hawking est-il un précurseur du post-humanisme?
Oui, il incarne ce que nous sommes en train de devenir, dépendants de nos téléphones et ordinateurs. Mais lui l’a été avant tout le monde, en utilisant des programmes dont nous nous servons tous maintenant, comme ceux qui complètent ses mots et ses phrases. Stephen Hawking est un pionnier du post-humanisme.
A la recherche de Stephen Hawking par Hélène Mialet, éditions Odile Jacob, 168 pages
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