La nouvelle aventure de l’homme-araignée, conçue par le studio de “Ratchet and Clank” et sans lien direct avec ses dernières apparitions cinématographiques, remporte un triomphe aussi bien commercial que critique. Celui-ci doit autant à la manière dont il reprend et adapte les idées d’autres jeux majeurs qu’à l’impressionnant sens du détail dont font preuve ses créateurs.
“Spider-Man considère notre ville comme son terrain de jeu et vos biens comme ses jouets”, s’exclame J. Jonah Jameson, patron historique du Daily Bugle reconverti en animateur braillard et de mauvaise foi d’un talk-show radiophonique. Voilà, c’est exactement ça : sensation vidéoludique de la rentrée qui emballe globalement la critique et cartonne au box-office, le Spider-Man nouveau nous fait don d’une ville. A partir de là, libre à nous de sauter, courir, grimper. De voler, presque. D’en explorer joyeusement les moindre recoins. De faire les fous, les grands acrobates ou les petits malins. Comme dans tous les jeux modernes à “monde ouvert”, diront certains : GTA, Assassin’s Creed, Infamous, Prototype, Just Cause, Batman : Arkham City. Voilà (à nouveau) : c’est pareil. Et, dans une certaine mesure, c’est ça qui est bien.
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https://youtu.be/-42HOjCt32g
L’“Uncharted” du studio Insomniac
Responsables de ce flamboyant nouveau Spider-Man, les Américains d’Insomniac Games ont longtemps souffert de la comparaison avec Naughty Dog, studio ami et voisin – les deux ont jadis partagé le même immeuble – dont la réputation a toujours dépassé la sienne. Quand Naughty Dog faisait Crash Bandicoot, Insomniac donnait naissance à Spyro (qui était fort agréable à jouer, mais moins cool, plus enfantin). Quand Naughty Dog transformait audacieusement d’un jeu à l’autre sa nouvelle série de platformers Jak and Daxter, Insomniac radotait un peu avec Ratchet and Clank. Et lorsque Naughty Dog décollait vraiment dans l’action-aventure cinématique avec Uncharted puis The Last of Us, Insomniac se cherchait une identité entre Ratchet (encore), les FPS futuristes inégaux Résistance et quelques tentatives de jeux différents plus (Sunset Overdrive) ou moins (Fuse) abouties. Spider-Man est le jeu de son retour au premier plan et, dans une certaine mesure, son Uncharted : techniquement spectaculaire, narrativement ambitieux et profondément ancré dans la pop culture. Et aussi, donc, comme Uncharted à ses débuts, très influencé par les jeux qui l’ont précédé.
Ce n’est pas une honte, pas une tare de s’inspirer des autres, de retenir leurs leçons. L’histoire du jeu vidéo est aussi faite de cela : les idées et les formes circulent, on expérimente avec, on les transforme, on se les approprie pour nourrir son propre projet. Encore faut-il reconnaître d’où elles viennent. Dans le cas qui nous occupe, ce sera, par exemple, en rappelant que, non, les jeux Spider-Man n’ont pas tous été des horreurs sans intérêt avant celui d’Insomniac et que, par exemple, certains de ses éléments – la partie “infiltration”, notamment – était déjà présents dans l’honorable Spider-Man : Dimensions (2010) du studio québécois Beenox. Mais il reste incontestable que, s’il n’est pas un jeu de rupture mais de continuité, celui d’Insomniac va beaucoup plus loin.
Les plaisirs du tourisme aérien
Le pratiquer, c’est, dans une certaine mesure, faire l’expérience de ce que le jeu vidéo commercial peut offrir de meilleur en 2018. C’est retrouver des sensations (de liberté, de puissance…) connues avec Crackdown, Infamous ou Prototype, pour en rester aux jeux de super-héros (ou assimilés) à monde ouvert, mais avec le sentiment que tout est mieux fini, agencé, rythmé ici. D’abord, donc, un état des lieux : aujourd’hui, le jeu vidéo mainstream en est là. Mais il y a autre chose dans le plaisir immense que procure ce Spider-Man alors que l’on sillonne inlassablement la ville en se balançant au bout de notre toile (à noter : il est ici nécessaire d’être à proximité d’un bâtiment sur lequel l’accrocher, là où les premières aventures en 3D de l’homme-araignée évacuaient cette difficulté en nous autorisant à lancer nos toiles vers le ciel).
On bondit, on accélère, on tourne sur soi-même en faisant des figures, prêt à intervenir à la première annonce de hold-up, de prise d’otage ou de deal de drogue pour rétablir l’ordre (d’une manière qui revient souvent à imposer notre propre désordre). Parfois, presque à contre-cœur, on reprend le cours de histoire si la déterminée M.J., notre complice flic Yuri ou encore la tante May nous appelle. Mais on recommence bientôt à poursuivre des pigeons (oui, c’est bien l’une des missions secondaires) ou à rechercher nos vieux sacs à dos égarés dans l’espoir d’acquérir “jetons” et points d’expérience qui permettront d’améliorer nos capacités et d’obtenir de nouvelles tenues, de nouveaux gadgets. Car il y a bien des choses à accomplir dans ce New York reconstitué dont, tel un touriste aérien, on ne manquera pas de prendre en photo les principaux monuments et curiosités, de l’Empire State Building au Madison Square Garden.
Je suis un monstre
Mais, disait-on, il y a autre chose : pas seulement de la familiarité (on a déjà fait tout ça ailleurs, ou presque) mais, également, un certain rapport à l’altérité qui, plus que toute autre chose, fait décoller le jeu. C’est un effet des avancées technologiques – de l’animation, des graphismes –, mais peut-être plus encore du soin apporté à la représentation et aux mouvements. Aussi étonnant que cela puisse paraître pour un blockbuster de cette ampleur, Spider-Man fait, par son souci du détail, montre d’un esprit quasi-artisanal. Soudain, en regardant notre personnage masqué avancer sur un mur et atteindre le plafond, on frissonne. On n’a pas vu un pantin virtuel ni même un post-ado déguisé : on a vu une créature étrange et un peu effrayante se déplaçant, vraiment, comme une araignée. Tel est le rôle, hybride et un peu monstrueux, qui nous est dévolu et que l’on s’approprie avec entrain alors que, perché sur un lampadaire, on attend notre proie. Tout ça est éminemment fun, mais, en même temps, un peu horrible aussi. Devenir cette “chose”, se mettre à sa place et en jouir, ce n’est pas rien. Le jeu vidéo ne réussit pas si souvent cette prouesse.
Spider-Man (Insomniac Games / Sony), sur PS4, environ 70€
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