Le suicide, ce mercredi 8 août, d’un détenu de la Fleury Mérogis alourdit le nombre de prisonniers s’ôtant la vie dans les prisons françaises. Le phénomène accentue les contradictions d’une justice punitive, et rend criant le manque de moyens alloués aux administrations.
Impuissance et absurdité. Tels sont les éternels sentiments animant le personnel pénitentiaire face à l’hécatombe généralisée qu’est le suicide dans les prisons. Ce mercredi 8 août, un homme de 48 ans « a été retrouvé pendu vers 7h dans sa cellule avec ses draps », a expliqué le parquet à l’AFP. Un autre, un énième dont on taira le nom pour le réduire à un nombre dans le triste quotidien de Fleury-Mérogis : numéro onze, dernier en date à s’être ôté la vie depuis le début de l’année dans la plus grande prison d’Europe . Dimanche 5 août, un autre détenu de 22 ans s’est suicidé dans la nuit à la prison d’Argentan. Un morne tableau où la mort s’immisce en moyenne tous les deux jours dans les geôles de la France, d’après l’Observatoire International des prisons (OIP). Deux tiers sont des suicides. Au pays des Droits de l’Homme, le taux de suicide est sept fois plus élevé qu’en liberté.
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— FO JUSTICE (@SyndFoJustice) August 6, 2018
Un problème récurrent, évoqué chaque année sans pour autant infléchir la cruelle stabilité des chiffres. Depuis dix ans, le nombre tourne autour de 110. A titre d’exemple, 113 détenus se donnaient la mort en 2015, d’après le ministère de la justice.
Pourquoi met-on fin à ses jours en prison ? La question peut paraître naïve mais « on peut difficilement expliquer chaque passage à l’acte, soutient Christophe Dorangeville, secrétaire général de la CGT pénitentiaire. Mais il y a un ensemble de facteurs qui, s’additionnant, peuvent peut-être fournir un éclaircissement, notamment dans le cas de la vague de suicides Fleury-Mérogis ». Il précise à ce propos : « elle condense tous les problèmes des prisons de France. Une surpopulation carcérale. Celle-ci impacte la santé mentale et physique du détenu. Et le manque d’effectif du personnel surveillant qui limite les signes avant-coureurs d’un suicide. » Une situation particulièrement criante dans les maisons d’arrêts –ces prisons réservées aux peines de moins de deux ans. Un cas emblématique : celle de Fresnes a une densité carcérale de 183% avec 2780 détenus. Conséquence, « sans les effectifs nécessaires, on en vient à faire de la gestion de flux, et non pas de la relation humaine puisque c’est de ça dont il s’agit, théoriquement », soupire Christophe.
Des conditions problématiques pour prévenir le suicide
Repérer les signes préliminaires d’une tentative de suicide nécessite du temps pour les remarquer. Ils se caractérisent généralement par un « isolement, un repli sur soi, le fait de raconter ses galères, évoquer plusieurs fois la mort », détaille toujours le syndicaliste. « Mais avant de pouvoir observer tout ça, il faut pouvoir parler, engager la conversation jusqu’à que ça arrive ». Dans un rapport datant de 2015, l’Institut National d’Etudes Démographiques (INED) établissait les individus étant le plus susceptibles au suicide : d’abord ceux en détention provisoire, « confrontées au choc de l’incarcération et à l’incertitude sur leur sort judiciaire […] le risque de suicide reste deux fois plus élevé [par rapport aux personnes condamnées ». Ensuite, ceux placés en cellule disciplinaire connaissent un risque « 15 fois supérieur à celui observé en cellule ordinaire ». Enfin, la perte de lien social (avec ses proches par exemple) ou la gravité des faits peuvent expliquer le passage à l’acte. Le taux de suicide est ainsi plus élevé chez les personnes écrouées pour meurtre (48 pour 10 000).
Il faut cependant relativiser la possibilité de pouvoir prévenir tous les suicides. « Il y a quelques années dans un autre établissement, j’avais le cas d’un homme que le surveillant avait croisé le matin et qui allait très bien. L’après-midi, il s’est suicidé. Il était à quinze jour de sa sortie, raconte Aurélie Pascal, directrice des services pénitentiaires avant de conclure. On ne peut pas établir de lois. ».
Repenser la prison et la justice
Alors, des solutions sont-t-elles possibles ? L’histoire des suicidés est aussi celle de l’impuissance de leurs surveillants. Au fil des années, les tâches à effectuer se sont multipliées sans pour autant voir l’arrivée d’effectifs supplémentaires. « Il doit assurer les passages aux douches, les ateliers, les parloirs, détaille Aurélie Pascal. Mais aussi on leur demande maintenant d’assister à des réunions pluridisciplinaires ou même de participer à des extractions médicales, faute de personnel. Quand vous avez, à la base, un surveillant pour 45 détenus sur un étage, et que le nombre passe à 120 ce n’est pas la même chose ».
Surveillant pénitentiaire, un métier peu valorisé où les syndicats dénoncent un manque de mise en valeur et d’attractivité. (Source : capture écran de la revue trimestrielle de Force Ouvrière, L’espoir pénitentiaire).
Le début d’un remède au mal passerait peut-être par un allègement des peines permettant un désengorgement des prisons. « J’ai déjà eu le cas d’un récidiviste qui s’est retrouvé à faire trois mois de prison parce qu’il n’avait pas payé son ticket de tram », raconte, dépitée, Aurélie. Pour cette dernière, cela permettra un meilleur suivi, un « suivi individuel qui offrira une meilleure connaissance de la population carcérale et de ceux qui vont les voir au parloir. A terme, ça permet de mieux gérer les risques du suicide », termine celle qui prend en exemple les prisons scandinaves.
Justement, la Finlande affichait en 2016 un des taux de détention les plus bas d’Europe avec 55 prisonniers pour 100 000 habitants. Il en comptait 150 dans les années 60, comme le détaille l’OIP. Le pays est parvenu à diviser le nombre de ses détenus par trois en cinquante ans en mettant fin à une justice répressive.
La justice justement, condition unique pour mener une sincère politique réductionniste, se confronte à une contradiction : « On prétend lui donner une dimension de réinsertion. Sauf que dans les faits on reste dans la fonction expiatoire, punitive. On est dans un système qui veut lutter contre la récidive mais dont le fonctionnement reste dans l’ancien système », complète toujours Aurélie Pascal. La condition d’un projet salutaire : « un budget absolument énorme mais aussi et surtout un courage politique. Il va falloir expliquer à nos concitoyens que la priorité du prochain quinquennat va être donnée au système carcéral au détriment d’autres domaines. Ça va créer des mécontents, voire de la vindicte populaire ? Mais sans ce courage politique, on restera coincé dans cet éternel paradoxe« , analyse la directrice, reconnaissant la nature périlleuse de la proposition.
Enfin, si le sort des détenus suicidés pose problème, celui des anciens aussi. « Souvent, ce sont des gens vivant dans des conditions de précarité extrême qui font qu’on se demande comment ils font pour ne pas récidiver face à la pauvreté, l’ennui, l’absence de logement ou d’une alimentation régulière », analyse le psychiatre Cyrille Canetti ayant exercé près de 20 ans en prison. Aujourd’hui responsable de consultations extra-carcérales, il assure un suivi aux prisonniers relâchés en prison. Pour lui aussi, le système judiciaire propose une justice punitive contre-productive. « J’avais le cas d’un homme condamné une 18ème fois à de la prison. Il a pris trois mois de prison ferme parce qu’il est récidiviste en dépit d’un petit délit. Cela est pour moi un non-sens. Il fait de la prison et interrompt son suivi, s’offusque le médecin, concluant, plus grave. Les conditions de détention et de sortie sont une fabrique à récidive ».
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