Disparue en 1997, Mère Teresa continue de faire parler d’elle. Un second miracle reconnu par le Vatican va l’amener à être canonisée par le pape François. Cette nouvelle ramène à la surface des critiques qui brouillent l’image d’intouchable qui lui est attribuée.
Des mois que la rumeur courait, et la voici enfin confirmée : Mère Teresa va devenir une « sainte ». Déjà béatifiée par le pape Jean-Paul II en 2003, il ne lui manquait que l’accomplissement d’un second miracle afin d’être canonisée. Et ce miracle est arrivé ! L’archevêque de Calcutta Thomas D’Souza a annoncé qu’un Brésilien de 35 ans, atteint de multiples tumeurs au cerveau en 2008, avait été guéri grâce à Mère Teresa.
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Selon le quotidien italien Avvenire, la femme du malade avait prié pour que la “petite sœur des pauvres” vienne en aide à son mari. Ce dernier se serait subitement réveillé, guéri, du coma dans lequel il était tombé lors de son opération, et aurait demandé au chirurgien qui l’avait pris en charge : « Qu’est-ce que je fais ici? », d’après le site Vatican Insider.
Le pape François reconnaît aujourd’hui ce miracle. Le Vatican a alors confirmé le processus de canonisation de la religieuse en 2016 : « Le Saint Père a autorisé la Congrégation pour les saints à promulguer les décrets concernant le miracle attribué à l’intercession de la bienheureuse Teresa de Calcutta ». Avvenire ajoute qu’une réunion d’experts, convoquée par la congrégation pour la cause des saints, avait reconnu la guérison.
Une béatification controversée
L’annonce de la canonisation de Mère Teresa réactive cependant les souvenirs ambigus de sa béatification. Un an après sa mort en 1997, une jeune Bangladaise atteinte d’un cancer, Monica Besra, se rend dans un centre des Missionnaires de la charité, l’organisation fondée par Mère Teresa. Elle raconte à Libération qu’elle a « immédiatement été frappée par un rayon de lumière qui émanait du portrait de Mère Teresa ». Elle se couche quelques heures plus tard, une médaille bénite par la « soeur des pauvres » apposée sur son ventre, et se réveille… guérie : « Mère Teresa était revenue pour me soigner ».
C’est ce témoignage, retenu par le Vatican, qui a permis à la religieuse d’être béatifiée. Un témoignage douteux, contesté par les médecins de la jeune Bangladaise, comme le gynécologue Ranjan Mustafi : “J’ai examiné Monica Besra en mai 1998 à l’hôpital de Balurghat et j’ai diagnostiqué une méningite tuberculeuse. Elle a ensuite suivi un traitement antituberculeux pendant neuf mois, d’où sa guérison. C’était un problème médical qui a été soigné par la science, rien de plus.”
Ce miracle a pourtant été approuvé par le Vatican et Jean-Paul II. Ce dernier n’a d’ailleurs pas respecté le délai obligatoire de cinq ans avant d’entamer le processus de béatification qu’il active dès l’annonce du miracle en 1998, soit un an seulement après la mort de la religieuse. Christopher Hitchens, écrit en 2003 (depuis re-publié) dans Slate que « d’habitude, une procédure d’enquête se mettait en route, comportant notamment l’examen d’un advocatus diaboli, “l’avocat du diable”, histoire de vérifier la crédibilité des affirmations extraordinaires. Jean-Paul II aura supprimé ce cabinet et, à lui tout seul, créé davantage de saints instantanés que la somme de tous ses prédécesseurs depuis le XVIe siècle ». La béatification douteuse de Mère Teresa est l’étape nécessaire avant la canonisation ; sans béatification, aucune canonisation n’est possible.
Le mythe se craquèle
Outre ces zones de flou associées à la béatification de la religieuse, l’annonce de sa canonisation fait également remonter à la surfaces des éléments assombrissant, quelque peu, l’élogieux portrait qui est habituellement fait d’elle. Christopher Hitchens titre son article de 2003 « Mère Teresa était une fanatique, une fondamentaliste et une imposture ». Il y répertorie plusieurs points nourrissant les parts d’ombre de la future sainte.
Il critique ainsi vivement son côté réactionnaire, qui l’amène à s’opposer à toute forme de réformes : « Ce qu’il fallait, insista-t-elle, c’était davantage de travail et davantage de foi, pas de révision doctrinale. Une position ultra-réactionnaire et fondamentaliste, même en termes catholiques orthodoxes ». Par exemple, sa position très dure sur l’avortement, qu’elle considère comme « le plus grand destructeur de la paix », une phrase qu’elle tient lors de la remise de son prix Nobel de la paix en 1979. Une position qu’elle affirme de nouveau en 1994, pendant une conférence de presse qui se tient en marge de la Conférence internationale sur la population au Caire. Mère Teresa s’oppose alors de nouveau l’avortement, même dans un cas extrême comme le viol, rappèle un article de 1997 de Libération. Christopher Hitchens ajoute que la religieuse condamne de la même manière le divorce, mais que de manière contradictoire, “elle déclarera au Ladies Home Journal qu’elle était heureuse du divorce de son amie la princesse Diana, parce que son mariage avait été manifestement malheureux…”
Un éloge de la souffrance
Hitchens n’est pas le seul à remettre en question le portrait sacré qui est fait de Mère Teresa. Une étude de “sciences religieuses”, datant de 2013, de Serge Larivée, professeur à l’Ecole de psychoéducation de l’université de Montréal, et de ses collègues Carole Sénéchal et Geneviève Chénard, intitulée Les Côtés ténébreux de Mère Teresa, y participe. S’appuyant sur près de 300 ouvrages, ils dénoncent, entre autre, la conception très stricte de la souffrance que promeut la religieuse. Elle peut se résumer en une seule phrase : « Il y a quelque chose de très beau à voir les pauvres accepter leur sort, à le subir comme la passion du Christ. Le monde gagne beaucoup à leur souffrance ».
Les trois chercheurs doutent aussi de sa volonté de ne pas s’impliquer en politique, notamment lorsqu’elle reçoit en 1981 la légion d’honneur et une bourse de la part du régime dictatorial des Duvalier en Haïti. Ils se demandent enfin d’où provenait l’argent de sa fondation, dont elle ne se servait pas forcément pour aider les pauvres, et qu’elle en était son utilisation véritable.
Mère Teresa correspond-elle vraiment au portrait négatif de Christopher Hitchens ? Difficile à dire. Entre les affirmations fondées et les critiques faciles, et parfois douteuses, des parts d’ombre subsistent dans la vie de la future sainte. Une chose est sûre : le mythe de Mère Teresa n’est pas prêt d’être percé à jour, et sa figure se projette bien au-delà du cadre strict de la religion.
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