Ce 4 avril, la liste Lutte Ouvrière manquait à l’appel du débat organisé par France 2 en vue des élections européennes. Douze têtes de liste étaient pourtant invitées. Retour sur un problème de pluralisme.
Il n’y a pas eu de “travailleuses, travailleurs” clamé aux micros de France 2 et France Inter, ce 4 avril, lors du débat sur les élections européennes. Et pour cause : la porte-parole de Lutte Ouvrière, Nathalie Arthaud, qui reprend traditionnellement l’adresse inaugurale d’Arlette Laguiller dans ses meetings, n’a pas été invitée. Tard le 4 avril, le Tribunal administratif de Paris a examiné le référé déposé par la cheffe de file du mouvement trotskiste mardi dernier, pour confirmer la décision de France 2 de ne pas l’inviter. Le CSA (Conseil Supérieur de l’audiovisuel) n’est pas intervenu dans cette affaire. Joint par Les Inrocks, le CSA explique qu’il n’a “pas de pouvoir sur la liberté éditoriale des chaînes”, qui veillent donc au “respect du principe de pluralisme comme elles l’entendent”. A elles de trouver “un équilibre souhaitable entre liberté éditoriale et respect du pluralisme”, donc.
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#France2, avec l’aide de la justice et du #CSA, écarte du #débat la seule liste représentant les intérêts du camp des travailleurs : Lutte ouvrière. C’est un choix de classe. Quand les travailleurs se révolteront, ils ne demanderont la permission ni aux médias, ni à la justice
— Nathalie Arthaud (@n_arthaud) April 4, 2019
“Notre voix se place du côté des invisibles”
Il y avait douze têtes de listes aux élections européennes présentes sur le plateau, dont seulement deux femmes : Nathalie Loiseau (LREM), François-Xavier Bellamy (LR), Jordan Bardella (RN), Manon Aubry (LFI), Nicolas Dupont-Aignan (Debout la France), Jean-Christophe Lagarde (UDI), Benoît Hamon (Génération.s), Yannick Jadot (EE-LV), François Asselineau (UPR), Raphaël Glucksmann (Place Publique – Parti socialiste), Ian Brossat (PCF), et Florian Philippot (Les Patriotes). Mais pas un.e seul.e candidat.e d’extrême gauche, alors que LO et le NPA (ex-Ligue Communiste révolutionnaire) incarnent des courants de pensée singuliers et pérennes dans le paysage politique français. D’ailleurs, les deux partis s’étaient déjà alliés pour les européennes de 1999, et Alain Krivine avait été élu eurodéputé (jusqu’en 2004). Comment expliquer un tel choix éditorial ?
Lutte Ouvrière a son idée. Dans un communiqué, l’organisation d’obédience communiste révolutionnaire, qui a reçu le soutien du NPA pour les élections européennes, dénonce “des choix de classe”. Contactée par Les Inrocks, Nathalie Arthaud (tête de liste de LO, créditée d’environ 1% des intentions de vote) développe : “C’est grossier. Ils disent être le service public, mais ils ne respectent même pas leur prétendu attachement au pluralisme, à la démocratie et à l’égalité. Mais nous ne sommes pas étonnés. Cela correspond à une façon générale de traiter la voix des travailleurs. Nous n’entrons pas dans le jeu électoraliste, notre voix se place du côté des invisibles.”
“L’intérêt démocratique prime sur l’intérêt médiatique”
Le cas de LO, s’il s’est soldé par une occultation totale de L’Émission politique, n’est cependant pas isolé. L’organisation du débat du 4 avril a en effet connu plusieurs rebondissements. Au départ, France 2 avait prévu d’inviter seulement sept têtes de listes en vue du scrutin du 26 mai – Manon Aubry, Jordan Bardella, François-Xavier Bellamy, Nicolas Dupont-Aignan, Raphaël Glucksmann, Yannick Jadot et Nathalie Loiseau. Plusieurs candidats avaient alors protesté : Ian Brossat et Jean-Christophe Lagarde ont obtenu gain de cause. D’autres ont attaqué France 2 en justice (Hamon, Philippot et Asselineau). Le 2 avril, le Tribunal administratif de Paris s’était prononcé en leur faveur, jugeant que leur absence attentait au “principe du caractère pluraliste de l’expression des courants de pensée et d’opinion”. Mais, jeudi 4 avril, le Conseil d’Etat a infirmé ce jugement. Suite à cela, alors qu’aucune audience n’avait été fixée pour le référé de Nathalie Arthaud, le tribunal s’est conformé à l’avis du Conseil d’Etat concernant son cas.
Les quatre heures de débat, parfois cacophonique, sur France 2 et France Inter, se sont donc déroulées sans laisser d’espace à une parole communiste révolutionnaire. Pour l’historien du journalisme Alexis Lévrier, c’est un choix “injustifié” : “La logique aurait voulu que toute liste qui avait une assise électorale soit invitée. C’est le cas pour l’extrême gauche, qui a un discours sur l’Europe très singulier, a une identité et une cohérence.” Le fait que ce débat se déroule sur une chaîne du service public l’obligeait au pluralisme selon lui : “Il y a deux objectifs contradictoires à ce type de débats : un objectif médiatique d’avoir une certaine tenue, une lisibilité, pour que les téléspectateurs en retiennent quelque chose ; et un objectif démocratique. Or l’intérêt démocratique prime sur l’intérêt médiatique quand c’est une chaîne publique qui l’organise.”
“La singularité de l’extrême gauche n’est pas à prouver”
Le silence de LO lors de cette Émission politique était d’autant plus assourdissant que, parmi les douze candidats invités, plusieurs partageaient à peu près le même discours, à droite comme à gauche. C’est le cas de Florian Philippot et de François Asselineau, invités in extremis : “Les différences entre eux sont difficiles à trouver, alors que la singularité de l’extrême gauche n’est pas à prouver”, note Alexis Lévrier.
Lors des précédentes élections européennes, l’extrême gauche n’a pas toujours été laissée sur le banc de touche médiatique. En 2009, Olivier Besancenot avait été invité dans A vous de juger sur France 2, avec sept ténors politiques. Mais la diversité des idées politiques n’a pas toujours été une priorité pour les organisateurs de ces débats traditionnels. En 1979, lors de la première élection européenne, il n’y avait ainsi que quatre candidats (alors qu’il y avait déjà de nombreuses listes) : François Mitterrand, Georges Marchais, Jacques Chirac et Simone Veil. Une telle priorité donnée aux “gros candidats” ne serait plus envisageable aujourd’hui : “Les attentes de la société française ont changé, ce qui était acceptable à l’époque ne l’est plus aujourd’hui. Les médias n’ont plus d’autre choix que l’exemplarité : en excluant, ils nourrissent le discrédit dont ils font l’objet”, note Alexis Lévrier.
“Je n’ai jamais fait l’Émission Politique”
La justice a en tout cas parlé. Pour France 2, l’imposition des candidats par le tribunal administratif “porte une atteinte grave à la liberté de la presse”. Et le Conseil d’Etat s’est rangé de son côté. Les avocats de France Télévisions défendent notamment que ce débat avait lieu en dehors de la période électorale, qui commence officiellement le 15 avril. Le hic, selon Nathalie Arthaud, c’est qu’il n’y aura pas d’autre débat de cette dimension organisé par France Télévisions pour cette élection. Elle se souvient que lors de la présidentielle de 2017, le “seul débat à 11 [le nombre de candidat.e.s à la présidentielle, dont elle, ndlr.]” avait été “initié par CNews et BFM”. Suite à cela, France 2 avait fait passer les onze candidats un par un, quinze minutes chacun, lors d’un ultime rendez-vous télévisuel. Ainsi, à bien y réfléchir, Nathalie Arthaud remarque : “Je n’ai jamais fait l’Émission Politique. Même pas cinq minutes”.
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