Depuis le début de la campagne, les politiques partent à la chasse aux followers. Entre Paris, Dijon et Bordeaux, dans la roue des clans Hollande et Sarkozy, nous avons suivi leurs pérégrinations sur 140 signes.
Samedi 3 mars, jour de meeting. François Hollande est au Zénith de Dijon, Nicolas Sarkozy au Parc des expositions de Bordeaux. Dans les trains en direction de la Bourgogne et de l’Aquitaine, politiques et militants tweetent et twitpiquent dans tous les sens. Certains sont venus en bus, comme Anne Hidalgo (PS) : on apprend ça via sa timeline, tweetée et retweetée par les militants qui, hashtags et compagnie, s’en donnent à coeur joie.
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10h34, à droite cette fois : « En route pour Bordeaux meeting de @Nicolas Sarkozy. » C’est Valérie Rosso-Debord (UMP) qui tweete, assise à côté du député Sébastien Huyghe dans le train vers Bordeaux. Les deux snipers du candidat Sarkozy ont sorti le matos : Black Berry, tablette iPad et iPhone. Devant eux, pas un journal. « Parfois, j’arrive à destination sans même avoir ouvert mon Figaro », confie Huyghe (on le comprend).
Dans le TGV pour Dijon, Bertrand Delanoë et Harlem Désir discutent dans le wagon-bar. La veille au soir, Harlem Désir a réagi aux propos de Claude Guéant sur le halal via son Twitter. Il est loin d’être accro mais il fait des efforts.
« Je ne tweete pas assez et je suis encore un peu long. Sur le halal, j’ai utilisé deux tweets. Mais je progresse chaque jour, en concision et en vitesse. Twitter nous permet de réagir tout de suite, de gagner du temps, c’est important. Plus besoin de se demander si tel ou tel journal a bouclé, de rédiger un long communiqué », note le seul homme politique français dont le prénom est aussi celui d’un quartier de New York.
Deux cents politiques et vingt ministres
Bertrand Delanoë regarde avec intérêt le smartphone de son collègue du PS qui lui explique la timeline, les followers, tout ça. Le maire de Paris n’a jamais tweeté. « Je n’ai même pas de téléphone portable. J’ai un site mais je ne m’occupe que du contenu. Je rédige encore mes textes au stylo. Twitter, ce n’est pas ma culture. Exposer brutalement des relations intimes me dérange, c’est certainement une question de génération. D’autre part, je n’ai pas le temps. Quand j’aurai quitté mes fonctions, je m’y intéresserai plus, c’est probablement très pratique, surtout en politique », plaisante-t-il.
Bertrand Delanoë reste une exception. Qu’ils soient de droite ou de gauche, les politiques ont largement adopté ce nouvel outil de communication simple, efficace et gratuit qu’est Twitter, squatté depuis 2008 par les journalistes. Avec deux millions d’utilisateurs en France dont deux cents politiques et vingt ministres, Twitter doit beaucoup à la campagne présidentielle et aux politiques qui contribuent à lui faire de la pub. Pourtant, ceux-ci ont longtemps regardé de haut ce monde hostile peuplé d’êtres étranges aux pseudos rigolos. « Internet zone de non droit », « Infos pas fiables », « On ne peut rien dire en 140 signes », « Un DM quoi ? », entendait-on.
En décembre 2009, Anne Hidalgo, l’une des pionnières en politique sur Twitter, avait pris une photo de Valérie Pécresse endormie lors d’un vote du budget au Conseil régional d’Ile-de-France puis l’avait postée sur son fil : « Elle n’a pas aimé du tout, m’a accusée d’avoir truqué sa photo. A l’époque, la question de l’humour, de la légèreté de Twitter n’était pas aussi avancée », se souvient Anne Hidalgo. C’était il y a un peu plus de deux ans, une éternité en temps internet. « Lorsqu’une journaliste m’a dit en septembre dernier ‘Quoi ? Toi, une jeune, tu n’es pas sur Twitter ?’, je m’y suis mise », raconte Valérie Rosso-Debord.
Effet de mode ou pas, Twitter entre parfaitement dans la logique de la communication politique et du règne de la petite phrase. « Vous n’avez pas le monopole du coeur », lancé un soir de mai 1974 par Valéry Giscard d’Estaing à François Mitterrand, aurait assurément été un toptweet aujourd’hui.
« Ça désacralise un peu notre rôle »
Dijon, au Zénith. Harlem Désir et Bertrand Delanoë déboulent dans la salle. Certains membres du PS sont arrivés avant eux et l’ont fait savoir sur Twitter. François Rebsamen, maire de Dijon et grand maître de cérémonie : « Le Zénith se remplit à grande vitesse. Bonjour à tous #FH2012. » Jean-Marc Ayrault, lui, twitpique carrément la salle. Aubry et Montebourg s’abstiennent. Moscovici fera le bilan plus tard. Manuel Valls, après avoir rendu hommage à Gérard Rinaldi (« qui s’est éteint hier… Les Charlots, les Bidasses, Marc et Sophie, et… Merci Patron ! »), annonce plus sobrement l’horaire du discours (15h30). Najat Vallaud-Belkacem, le nez sur son smartphone, déroule son fil Twitter.
« Pendant un meeting, certains ont systématiquement la tête baissée sur les téléphones. On peut avoir l’impression que les politiques ne sont pas concentrés mais ils le sont doublement : ils écoutent, retranscrivent, tweetent. Il faut vivre avec son époque. Ça désacralise aussi un peu notre rôle. Pour ma part, je fais tous mes tweets moi-même », explique la porte-parole de François Hollande, 15 000 followers environ au compteur.
Pour le centriste Alain Lambert, joint par téléphone, « l’agora Twitter (sic) expose les politiques à la critique et remplace les rencontres sur le marché. » Twitter permettrait donc d’être en contact avec le peuple sans se donner la peine de serrer des paluches par milliers avec un sourire forcé ? Il en donne en tout cas l’illusion sans toutefois recouvrir la réalité sociale du pays. Car Twitter reste un outil de privilégiés, de ceux qui sont épargnés par la fameuse fracture numérique.
« Je relis quinze fois mes tweets avant de les envoyer »
TGV entre Paris et Bordeaux, Huyghe-Rosso-Debord encore sur Twitter. Ils se disent à l’aise dans un monde « très CSP++ » où règnerait un semblant de netiquette. Valérie Rosso-Debord a banni un follower une fois, pour menaces de mort. « Il était allé au-delà du raisonnable. Sinon, les opposants sont virulents mais jamais outranciers, à part les trolls. » Chantal Jouanno est plus nuancée : « Les gens se lâchent, genre ‘Pauv conne’. Twitter peut être une sacrée poubelle politique alors il faut avoir du recul sinon on devient dépressif. »
Valérie Rosso-Debord fait défiler la timeline. « Han, j’ai été retweetée par Sarkozy ! » (comprendre @Nicolas Sarkozy, le compte officiel du candidat UMP, géré par la cellule web). Le candidat ne signe quasiment jamais lui-même. « Au départ un peu, corrige Jouanno. Le connaissant, ça doit vite l’énerver, mais avec la pression il n’a plus le temps. » Pour les politiques qui ne gèrent pas leur compte, la règle veut qu’ils signent de leurs initiales les tweets qu’ils dictent ou écrivent eux-mêmes.
Valérie Rosso-Debord le jure : « On ne nous donne pas d’éléments de langage. Tweeter doit rester personnel sinon on n’a pas de followers. » Ni le style communiqué de presse, ni le style premier degré ou belliqueux à la Morano ne font recette, à moins de vouloir devenir la risée du net (et de se griller comme porte-parole, hein Nadine ?). Jouanno confirme : « Faut pas se louper, je relis quinze fois mes tweets avant de les envoyer. »
L’illusion d’un dialogue
Le must ? Etre repris par les médias qui ont ajouté au fil AFP leur timeline Twitter. Interrogée à propos de son lien de parenté avec Guy Debord, Valérie Rosso-Debord explique que l’auteur de La Société du spectacle était le petit-cousin de son père. « Aujourd’hui, il m’aurait détestée », concède amusée la députée UMP. Sans doute. Il aurait aussi haï Twitter qui donne l’illusion d’un dialogue avec une opinion publique fantasmée et apparaît, aux politiques et aux autres, comme le dernier stade du spectacle compris comme « un rapport social entre des personnes, médiatisé par des images ».
Sur le « village planétaire » de McLuhan, repris pour parler d’internet et des réseaux sociaux ces dernières années, le cousin Debord écrivait en 1988 dans Commentaires sur la société du spectacle : « Les villages, contrairement aux villes, ont toujours été dominés par le conformisme, l’isolement, la surveillance mesquine, l’ennui, les ragots toujours répétés sur quelques mêmes familles. Et c’est bien ainsi que se présente désormais la vulgarité de la planète spectaculaire… »
Ce samedi 3 mars, sur Twitter, une polémique efface l’autre. La viande halal chasse le jambon de Bayonne et alors que beaucoup ironisent, on frise l’indigestion. Parallèlement au #halalgate, une autre embrouille culinaire essentielle agite le réseau : le #couscousgate. Qui, du tunisien ou du marocain, est le meilleur ? Où se déroule ce débat palpitant ? Sur la timeline du ministre de l’Industrie Eric Besson, bien sûr. Tout simplement parce qu’au tweet « Bjr Quoi de prévu au menu petit dej ? », Eric Besson – l’une des stars de Twitter – a répondu, à la cool : « Couscous-merguez. Comme d’hab. »
Eric Besson, 1 279 tweets par mois
Comme d’autres ministres, Eric Besson est venu soutenir un président candidat un peu à la ramasse. On peut le suivre à la trace sur Twitter. 8h : « Brève grasse matinée. Conseil municipal à 8h30. » 9h27 : « Ai fait voter les délibérations les plus importantes et je quitte le conseil municipal pour aller écouter #Sarkozy à Bordeaux. » 10h46, dernier tweet avant décollage : « L’hôtesse me dit que je dois impérativement couper mon portable et me donne un oreiller. Double message. Compris. See u ». 12h28, atterrissage : « Arrivé à Bordeaux je découvre que vous débattez encore couscousgate. »
Ce samedi, Eric Besson a posté 67 tweets. Ce qui dépasse un peu son rythme journalier : en moyenne, il est passé de 231 tweets par mois fin 2011 à 1 279 en 2012. Sa suractivité et son narcissisme n’amusent pas tout le monde. « C’est too much, un ministre de la République doit se tenir », estime Valérie Rosso-Debord. « De la tenue ? Ce sont les jaloux qui disent ça quand ils voient que ça se passe bien », réplique Eric Besson. Où placer la limite ? Une dizaine de fois, il admet être allé trop loin pour un ministre, comme tweeter « Ça me gonfle. » « Je sais que François Fillon me suit, j’y pense un peu du coup, explique-t-il en rigolant. La séquence sur les merguez peut me valoir une petite réflexion. »
Avec Twitter, Besson a tenté de recoolifier une image ternie par son passage au ministère de l’Identité nationale. Il essaie d’être drôle et répond très souvent à ses followers préférés – surtout des filles. « Des génies de l’humour. Je suis sûr que Les Guignols de l’info les pillent. Le réseau est un bon réceptacle de ce trait peu connu de ma personnalité. » L’humour donc, mais plutôt Monty Python que Bigard : « Il faut avoir un humour british : sérieux, décalé, autodérision, distance. »
A part à lui-même, à qui attribue-t-il cette qualité ? A Cécile Duflot qui l’avait tweet-clashé en lui demandant d’arrêter « de faire le kéké sur Twitter » et de s’occuper de ses dossiers ? « Je n’aime son style ni sur Twitter ni dans la vie. »
François Fillon ? « Oui, il a de l’autodérision ». François Hollande ? « Il serait extraordinaire. » Nicolas Sarkozy ? « Il a beaucoup d’humour, un vrai talent d’imitateur, mais n’est pas British pour un sou ». Les recettes du succès de Besson ? Comme en téléréalité : rester soi-même. Toutefois, « faut pas croire que je tweete toujours ce que je pense », nuance le ministre. Ensuite, comme au foot, respecter des phases de jeux, alterner léger et sérieux. « Pour capter l’attention et susciter moins de réactions, il faut intercaler les tweets sur Sarkozy au milieu d’une série de tweets persos. »
« Il peut y avoir un aspect presque documentaire »
15h, Dijon. Jean-Pierre Bel, le président du Sénat depuis la victoire de la gauche en septembre dernier, chauffe la place pour François Hollande. Il parle d’un « Sénat qui était à droite depuis cinquante ans ». Le discours est live-tweeté par des jeunes du PS. Valérie Pécresse, ministre du Budget, retweete illico une punchline du rédacteur en chef adjoint des Echos, Guillaume Tabard, via ses quasi 50 000 followers. « Jean-Pierre Bel : « Le Sénat qui était à droite depuis cinquante ans ». Ah bon ? Gaston Monnerville était de droite ? De Gaulle a un autre souvenir », reprend-elle sur son compte.
François Hollande monte sur scène, son discours commence et tombe direct sur sa timeline. Mais qui tweete ? Direction la salle de presse où l’on nous désigne Ariane Vincent, 28 ans. C’est elle qui est responsable du Twitter de Hollande, plus gros compte politique français (près de 190 000 followers).
« Tout ce qui est public dans sa campagne est sur Twitter. On y trouve les moindres détails. En 2007, on n’utilisait malheureusement pas cet outil formidable. Au-delà de l’aspect politique, il peut y avoir un aspect presque documentaire. » Elle précise : « François Hollande m’envoie des textos pour me demander d’insister sur des choses en particulier. Ça ne nous intéresse pas de faire croire qu’il tweete lui-même. La joute verbale ne nous intéresse pas non plus. »
Il est 18 heures à Dijon, François Hollande a achevé son discours et file vers la gare. Nicolas Sarkozy vient de finir le sien. Le hall des expos se vide doucement de ses drapeaux bleu blanc rouge. Peu après, Eric Besson envoie un smiley à « Chatminoute » (@frenchdidou) un de ses followers également suivi par Arnaud Montebourg et Patrick Sébastien. La campagne continue, en 140 signes.
Anne Laffeter, Diane Lisarelli et Pierre Siankowski
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