Les médecins libéraux, en grève depuis le 12 novembre, ont manifesté mercredi pour protester contre un avenant remettant en cause leurs dépassements d’honoraires. Allo docteur ?
Ce n’est pas tous les jours qu’on voit des blouses blanches descendre dans la rue. De surcroît des médecins libéraux, qui travaillent, donc, dans le privé. Mais l’avenant 8 signé le 25 octobre dernier leur est apparu comme un affront trop grand pour être passé sous silence. Ils ont donc décidé de se mettre en grève et de s’armer de pancartes aux slogans provocateurs pour réclamer la modification de cet avenant devant le ministère de la Santé. Et quand les médecins descendent dans la rue, ça ne rigole pas : Gangnam Style à fond, présidents des divers syndicats perchés sur une camionnette pour hurler dans un micro, et surtout, déguisements de chirurgiens de rigueur. C’est en pantalon vert, blouse, avec masques et calots que les travailleurs de la santé ont crié leur colère.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Sans dépassements d’honoraires, « difficile d’assurer une médecine de qualité »
Sous le nom (très) obscur d' »avenant 8″ se cachent un enchevêtrement complexe de mesures concernant la médecine libérale. La principale (et la plus critiquée) concerne le dépassement d’honoraire, soit les charges que certains médecins du secteur 2 demandent en plus du tarif fixé par la Sécurité sociale et qui sont à la charge du patient ou de sa complémentaire santé. Désormais, les praticiens pratiquant des dépassements d’honoraires de plus de deux fois et demi le tarif de la Sécurité sociale (soit 150% de ce tarif) se verront sanctionnés.
Les médecins rappellent que les dépassements d’honoraires leur permettent de s’acheter du matériel et d’embaucher du personnel, comme une secrétaire par exemple. « Pour les libéraux, il y a de gros investissements, explique Michael Ohana, chef de clinique de radiologie à Strasbourg, une échographie ça coûte environ 30 euros, un appareil pour échographie ça coûte 100 000 euros, une machine pour IRM c’est deux millions d’euros. » Il ajoute :
« Ça devient impossible d’assurer une médecine de qualité. On licencie, on a moins de confort, moins de machines. »
« Si on gagne trois mois d’espérance de vie chaque année, c’est grâce à nous »
Pour le Docteur Loirat, qui travaille dans une clinique à Nantes, les dépassements d’honoraires « compensent l’augmentation de la vie » :
« On nous demande de revenir à un niveau de vie d’il y a trente ans, de travailler à perte. »
D’autres, comme Lamine Gharbi, président du syndicat patronal FHP, ne mâchent pas leurs mots. « Continuez comme ça et on se fera soigner par des Polonais dont on ne connaîtra pas la formation », lance-t-il devant des caméras de télévision. Il tient aussi à rappeler que la santé est un secteur essentiel. « Si on gagne trois mois d’espérance de vie chaque année, c’est grâce à nous, donc on peut bien faire un effort ! » dit-il.
Deuxième objet de leur colère : la proposition de loi visant à permettre aux mutuelles de mettre en place des réseaux de soin. Comme l’explique La Mutualité française sur son site, le patient « pourra être mieux remboursé s’il accepte de se rendre chez un professionnel conventionné par sa mutuelle« . Philippe Cuq, président du syndicat Le Bloc résume :
« Bientôt, les Français n’auront plus le droit de choisir leur médecin. »
Le Docteur Loirat s’insurge également contre cette proposition de loi, qui les transformerait, selon lui, en « salariés des mutuelles ». Il souhaite que les Français comprennent que les médecins libéraux sont aussi dans la rue pour les défendre, leur garantir une médecine de qualité qui passe par le libre choix du praticien. C’est pourquoi il fustige « la campagne de désinformation » menée par les médias, dont certains, comme France Info, ont posé la question qui était sur toutes les lèvres : « les médecins ont-ils des problèmes de riches ? »
« Allez vous faire construire des piscines, bande de branleurs ! »
Au bout de deux heures de rassemblement, les manifestants apprennent que le ministère de la Santé a refusé de modifier l’avenant 8 et que la ministre Marisol Touraine n’est pas présente pour les recevoir. Les responsables du mouvement les invitent alors à se diriger vers Matignon afin de porter une lettre de réclamations au premier ministre Jean-Marc Ayrault.
En chemin, le cortège vert et blanc croise une autre manifestation (plus rouge celle-ci) organisée par l’inter-syndicale pour dénoncer la politique d’austérité du gouvernement. Les insultes pleuvent. On relève notamment : « allez vous faire construire des piscines bande de branleurs ! » Bientôt, le cortège scande « médecine libérale, médecine du capital ». Plusieurs médecins vont à la rencontre des manifestants pour leur expliquer l’objet de leur colère, mais le dialogue passe mal.
Les internes aussi sont dans la rue
Pourtant, il n’y a pas que les médecins libéraux qui sont descendus dans la rue en ce froid mercredi après-midi. Les jeunes praticiens hospitaliers – souvent appelés « internes » – sont venus fustiger leurs conditions de travail, qui, il faut bien l’avouer, sont sacrément rudes. Alice, 23 ans, et Cécile, 25 ans, sont internes à Toulouse.
Elles ont fait le déplacement pour soutenir leurs aînés, assurer leur propre avenir (« dans trois ans, on est à leur place !« ) et mettre en lumière leurs conditions de travail (un interne travaille en moyenne 80h par semaine). Le Docteur Loze, chirurgienne dans une clinique à Angers, est scandalisée par le manque de reconnaissance du travail qu’effectuent les médecins et les internes. Elle tient à rappeler que dès qu’un de ses patients est malade, elle répond présente, que ce soit le jour ou la nuit, en semaine ou le week-end. Elle se remémore, aussi, ses années d’internats où elle enchaînait des gardes le week-end, tout en continuant à travailler d’arrache-pied toute la semaine. « On va crever pour notre boulot ! On n’est pas des financiers ! », s’agace-t-elle.
Le Docteur Loze s’imagine bientôt à « l’ANPE » (sauf que maintenant ça s’appelle Pôle emploi), demandant une reconversion. « Si à la fin de la journée ça te coûte plus cher de bosser, tu arrêtes« , s’exclame-t-elle. On se quitte sur une phrase peut-être prémonitoire : « pour que des médecins descendent dans la rue, c’est que c’est grave !«
{"type":"Banniere-Basse"}