Alors que la plateforme de livraison de repas à domicile supprime la rémunération minimale des livreurs pour une course, la contestation s’organise et les revendications se multiplient.
Voilà quelques jours que les livreurs de la plateforme Deliveroo ont entamé une grève perlée. A Toulouse, Nice, Besançon, Tours, Nantes, Bordeaux et Paris, ils se rassemblent devant des restaurants, refusent la livraison des plats et klaxonnent jusqu’à ce que les gérants désactivent leur accès aux clients. L’objet de la gronde ? La multinationale britannique a décidé le 29 juillet de modifier le système de rémunération des livreurs impliquant pour eux une baisse de revenu de l’ordre de 30 à 40 % indique Edouard Bernasse, secrétaire général du collectif des livreurs autonomes de Paris (CLAP), interrogé par les Inrocks.
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“Travailler plus pour gagner moins”
Désormais, terminé le tarif minimum pour une course courte, mais parallèlement la rémunération des courses longues augmente. Voici les nouvelles règles de tarification de Deliveroo pour ses livreurs. Le hic ? Il est beaucoup plus rentable pour un livreur d’enchaîner plusieurs courses courtes que d’en accepter une seule plus longue. Edouard Bernasse explique : « pour une course longue avec le nouveau système le livreur va toucher en 45 minutes entre 7 et 8 euros. Auparavant, quand les courses courtes étaient payées 4€80 au minimum (à Paris, ce minimum était variable selon les villes), les livreurs pouvaient en faire jusqu’à 3 ou 4 en une heure et donc gagner entre 14€40 et 19€20 dans ce laps de temps, ce qui est beaucoup plus avantageux que les 8€ proposés actuellement pour une course longue. » Et résume : « C’est travailler plus pour gagner moins ! »
Ainsi, cette mesure, qui a été prise dans le but d’accroître l’aire de livraison de la multinationale jusque dans la banlieue éloignée de la capitale, se fait au détriment des livreurs. Désormais, les courses courtes sont rémunérées 2€50, 2€80, 3€ dans le meilleur des cas alors que les courses longues n’ont pas réellement augmenté, ce serait même plutôt le contraire assure le CLAP. « On a comparé des screenshots de courses longues d’il y a 6 mois avec celles qui ont été proposées depuis la nouvelle tarification et on voit bien que ça a baissé alors que le livreur part du même endroit et va au même endroit » déplore Edouard Bernasse. Le collectif les a d’ailleurs publiées sur Twitter :
Vous la voyez venir la com’ de Deliveroo? « Nous avons la tarification la plus attractive du marché»
« 7000 personnes veulent travailler avec nous tous les mois»
BULLSHIT!
C’est simple: PLUS C’EST GROS PLUS ÇA PASSE!
Après avoir INVENTÉ LA DISTANCE ils INVENTENT LE TEMPS! https://t.co/KVHnLrjW6k— CLAP (@_CLAP75) August 5, 2019
Partie de ce constat, la contestation s’organise aujourd’hui autour de plusieurs revendications. « La principale, c’est tout simplement respectez nous. Ça veut dire : ‘Payez, nous, dignement avec un tarif minimum par course qui est de 5€50 par course dans une zone de livraison de 3 kilomètres et au-delà c’est 1€ supplémentaire par kilomètre supplémentaire' », tonne le secrétaire général du CLAP. Les livreurs souhaitent d’autre part le retour aux indemnités forfaitaires pour les week-ends et les jours d’intempéries, en bref, ils demandent à être dédommagés en cas de pénibilité accrue de leurs conditions de travail. Par ailleurs, cette précarisation pourrait influer sur les assurances que souscrivent les livreurs. En effet, le CLAP qualifie de « low cost » celle qui leur est automatiquement attribuée par Deliveroo qui les protège très peu en cas d’accident. L’association précise qu’il était déjà difficile pour les livreurs de compléter cette assurance par une autre, privée et qui les protège mieux, leurs revenus étant diminués ils seront d’autant moins en capacité de le faire.
“Une bonne nouvelle pour les livreurs”
Edouard Bernasse souligne également que les livreurs ne sont pas mis au courant de tous les tenants et aboutissants lorsqu’ils signent leur contrat. Il souhaite que l’entreprise soit obligée de négocier avec les livreurs quand ils veulent modifier leur contrat comme dans toute autre entité qui emploie des travailleurs indépendants, les livreurs de Deliveroo étant autoentrepreneurs et non salariés. « Pourquoi est ce que Deliveroo ne ferait pas comme les autres sociétés ? Il suffirait de s’appeler plateforme pour être intouchable ? Non. » s’insurge le militant qui poursuit : « le livreur signe un contrat à certaines conditions pour un certain tarif mais rien ne dit que la plateforme peut modifier les tarifs à sa guise. »
De son côté Deliveroo assure dans un communiqué de presse que « c’est une bonne nouvelle pour les livreurs, qui seront mieux payés dans la grande majorité des cas » et que 70 % des livreurs sondés ont estimé que cette mesure leur était favorable.
« On voit avec quel enthousiasme les livreurs de France accueillent cette excellente nouvelle », rétorque le CLAP qui assure que personne chez eux n’a eu vent de ce sondage. « On fait le même avec les inscrits de notre page Facebook, on arrive à près de 90 % des livreurs qui estiment que cette nouvelle tarification n’est pas à leur avantage », précise Edouard Bernasse.
Dans d’autres pays, des contestations similaires ont eu lieu. Alors que des livreurs italiens, espagnols et anglais ont intenté des actions en justice afin d’obtenir la requalification de leur contrat de travailleur indépendant en salarié, d’après Edouard Bernasse, ce n’est pas forcément le souhait des contestataires français. « On ne fait pas d’action collective – même si l’on pourrait – car l’on se rend compte que ça ne correspond pas à la volonté des livreurs. On est plus dans l’accompagnement de ceux qui veulent le faire », explique-t-il. Il existe d’ailleurs un précédent qui jouerait probablement en la faveur des livreurs de Deliveroo s’ils saisissaient la justice : « l’arrêt Take it easy ». Take it easy était la première plateforme de livraison de repas en France. Après sa faillite en 2016, la cour de Cassation a reconnu qu’il y avait un lien de subordination entre la plateforme et ses livreurs, les reconnaissant de fait comme salariés de l’entreprise. Et ont obtenu jusqu’à 60 050 euros d’indemnités…
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