Le gouvernement assure que la future réforme des retraites sera très avantageuse pour les femmes. Un « mensonge » pour de nombreuses personnalités militantes et politiques réunies lundi 16 décembre à la maison des Métallos, à Paris. Leur but : donner des arguments pour contrer le discours officiel.
Des intox. Des abus de langage. Des contre-vérités. De l’hypocrisie. Lundi 16 décembre, sur la scène de la Maison des Métallos à Paris, des dizaines de femmes politiques et militantes ne mâchent pas leurs mots pour dénoncer le discours gouvernemental sur la réforme des retraites. Edouard Philippe, le premier ministre, espère en effet faire croire que les femmes seront les « grandes gagnantes » de ce projet.
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Un « mensonge » pour les organisatrices de l’événement. « Macron veut parfaire son œuvre après s’être attaqué au droit du travail. Il est temps de dire stop et de montrer qu’on peut financer un système juste et décent si on ne s’agenouille pas devant les multinationales », s’exclame Aurélie Trouvé, porte-parole d’ATTAC. « Cette réforme a été pensée par les hommes riches et puissants pour un monde qui nous échappe, celui de la finance, du capital et des assureurs. Nous voulons vous donner des armes pour vous défendre lors vos soirées de Noël face au tonton Francis facho », plaisante Pierre Jacquemain, rédacteur en chef de la revue Regards, co-animateur de la soirée et seul homme sur scène.
A ses côtés, la comédienne de Sophie de La Rochefoucauld annonce sous une salve d’applaudissements la toute fraîche démission de Jean-Paul Delevoye, le haut-commissaire aux retraites, soupçonné de conflit d’intérêts et de cumul illégal d’activité.
La retraite, un miroir grossissant des inégalités salariales
La soirée débute avec l’excellent duo d’historiennes Laurence de Cock et Mathilde Larrère qui dressent un rapide panorama sur la question des retraites des femmes, parent pauvre de la législation sociale. « Il y a souvent un regard social négatif sur femmes âgées qui ne sont plus bonnes à rien. Il suffit qu’elles aient un chat pour être des sorcières », grince Mathilde Larrère. La première loi sur les retraites est votée en 1910 mais ne prévoit pas de pension de réversion pour les veuves, qui arrivera après la fin de la seconde guerre mondiale. Il faut ensuite attendre les années 70 pour la prise en compte du congé maternité et du temps d’éducation des enfants dans la carrière avec des majorations.
"Le travail des femmes a toujours été invisibilisé par rapport au travail des hommes. Certains croient encore que le travail des femmes a commencé pendant la Première Guerre Mondiale…" exposé à deux voix par @laurencedecock1 et @LarrereMathilde #grandesgagnantes #retraites pic.twitter.com/Jh4if7oaM2
— Clémentine Autain (@Clem_Autain) December 16, 2019
Ces ajustements sont indispensables afin de réduire les écarts de retraite entre les sexes de 42 % à 25 %. Cette période est en effet un miroir grossissant des inégalités salariales qui plombent la carrière des femmes. Et leur liste est longue. Le temps partiel, qui touche 30 % d’entre elles. Les salaires, en moyenne 19 % inférieurs à leurs homologues masculins. La dévalorisation des métiers du soin (santé, éducation, nettoyage…) Le plafond de verre qui verrouille leur progression professionnelle. Les primes, un quart inférieur à celles des hommes. Sans oublier bien sûr les périodes d’arrêt pour s’occuper de proches malades ou de leur progéniture.
Les mères de famille et les veuves : les grandes perdantes du système
Les mères de famille ne sont d’ailleurs pas épargnées par ce texte. Actuellement, elles gagnent huit trimestres de cotisation pour chaque enfant mais cela est voué à disparaître, et on ne sait pas encore comment cela va être compensé. Ensuite, jusqu’ici, le père et la mère voyaient chacun leur pension majorée de 10 % à partir de trois enfants. Avec la réforme, ce système sera remplacé par une majoration des pensions de 5 % par enfant et de 2 % en plus à partir du troisième. Majorations qui pourront être attribuées soit au père soit la mère. Comment les parents vont-ils alors se répartir ces 5 % ? « Avant les 4 ans de l’enfant il va falloir choisir. Il sera souvent intéressant que ces 5 % soient reversés au père, qui généralement gagne plus. Ce qui veut dire qu’en cas de séparation, les femmes perdront tout. C’est un scandale, s’insurge Céline Piques porte-parole d’Osez le féminisme. Ces droits devraient être redirigés vers les mères. Surtout en cas de violence, il peut y avoir une pression du père pour s’attribuer ces droits familiaux ».
La question des violences se joue également dans le monde professionnel où 32 % des femmes ont déjà subi une agression, comme le rappelle la militante féministe Caroline de Haas, membre du collectif Nous Toutes. « Dans ces cas-là, la seule solution pour vous protéger est souvent de démissionner et donc d’avoir une carrière découpée ». Cette nouvelle retraite par point – reflétant la somme des cotisations versées tout au long de sa vie active et non plus les 25 meilleures années – s’avère ainsi dramatique pour les femmes. Elles seront d’autant plus pénalisées qu’elles cumulent souvent les « mauvaises années » de chômage, de temps partiel ou de congé parental.
Autre victime de ce nouveau système : les veuves. Actuellement, les pensions de réversion, un pourcentage de la pension du conjoint décédé, bénéficient pour 90 % à des femmes. Le tout pour un budget global de 36 milliards d’euros. Sous prétexte d’harmoniser les treize régimes différents, le gouvernement souhaiterait reculer l’âge auquel les personnes peuvent y avoir droit à 62 ans, contre 55 ans en moyenne aujourd’hui, selon les calculs de Christiane Marty de la fondation Copernic. Pensions qui seront également supprimées en cas de divorce.
Les femmes toutes unies contre cette réforme
Pour dénoncer ces régressions sociales, de nombreuses femmes se succèdent à la tribune. Malika Zediri militante de l’association de chômeurs chômeuses et précaires, raconte comment sa voisine de 83 ans continue à faire des ménages pour payer son loyer. Agathe, membre du collectif Nos retraites, évoque la promesse de futures pensions de 1000 euros minimum en cas carrière complète, déjà prévue dans une loi de 2003. Héloïse Jocqueviel, danseuse à l’opéra de Paris se demande si elle pourra continuer son métier physiquement difficile jusqu’à 64 ans, alors que le système actuel lui permet de partir à 42 ans. « Je ne sais pas si je vous conseillerais de venir voir un spectacle en 2040 », glisse-t-elle.
Ana Azaria, de l’association Femmes égalités, alerte justement sur le manque de reconnaissance de la pénibilité de certains métiers, comme par exemple, les infirmières, dont l’espérance de vie est de sept ans inférieure à la moyenne. Assa Traoré, du comité vérité et justice pour Adama, s’interroge sur les conditions de vie des retraités précaires « qui vont vivre plus longtemps mais dans quelles conditions de santé » ? Mélanie Luce, présidente du syndicat étudiant l’UNEF, s’inquiète, elle, des conséquences pour la jeune génération.
Assa Traoré pour le @laveritepradama
Mélanie Luce pour l @UNEF
Héloïse Jocqueviel danseuse à l’ @operadeparis
Les prises de parole se succèdent au meeting #toutesgagnantes dénonçant une réforme profondément injuste pour les femmes en dépit de la com gouvernementale pic.twitter.com/DVHtLJJo9v— Mathilde Larrere (@LarrereMathilde) December 16, 2019
Pour résumer, l’ensemble des arguments et démonter les « intoxs » un site internet La Retraite.lol/grandegagnante vient d’être lancé, avec un lien vers une pétition « On est dans un moment où l’histoire peut basculer dans un sens ou l’autre. On peut gagner contre cette réforme », assure Sophie Binet de la CGT, dirigeante confédérale de la CGT, et en charge de l’égalité femmes-hommes.
>> A lire aussi : Sophie Binet, symbole du renouveau à la CGT
Une même demande : le retrait du texte
Afin de dépasser la simple critique, plusieurs femmes politiques, représentant tout le spectre de la gauche, évoquent ensuite des alternatives. Clémentine Autain, députée de Seine Saint Denis, propose de mieux partager le temps de temps de travail et les richesses « pour éviter que certains ne se tuent à la tâche tandis que d’autres sont dans la galère ». Laurence Cohen, sénatrice communiste du Val de Marne, aimerait imposer le respect de la loi sur l’égalité professionnelle afin de réduire les inégalités de salaires préjudiciables aux femmes pour leurs carrières et donc leur retraite. Sandra Regol, secrétaire adjointe EELV voudrait un congé parental obligatoire pour les hommes et les femmes afin « que le fait d’avoir un enfant ne soit plus un outil de dégradation de nos carrières. Sophie Taillé-Polian, sénatrice du Val de Marne de Génération. s, évoque la question de la prise en compte des enjeux de pénibilité au travail. Enfin, Manon Aubry, députée européenne de la France Insoumise, propose d’aller chercher l’argent là où il se trouve : dans les poches des actionnaires qui accaparent « les 2/3 bénéfices des entreprises du CAC 40 ». Au final, toutes réclament simplement un retrait de ce texte.
La soirée se clôture sur l’Hymne des femmes entonné avec émotion par l’ensemble des participantes et le public dans une salle comble. Le dernier refrain sonnant comme un appel à rejoindre la manifestation du lendemain mardi 17 décembre : « Levons-nous femmes esclaves, et jouissons sans entraves, debout, debout, debout ! »
Hymne des femmes. Debout les femmes ! #grandesgagnantes #reformeretraites pic.twitter.com/De26MdtfFz
— Pierre Jacquemain (@pjacquemain) December 16, 2019
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