Allergique aux jeux amoureux et à la séduction, l’Allemagne se retrouve en plein déclin démographique. Explications d’un Français installé en Allemagne.
La langue allemande, disait le poète allemand Jean Paul (Johann Paul Friedrich Richter), est “l’orgue d’entre toutes les langues”. Comme il avait raison. Une langue puissante et forte, aux multiples nuances, créatrice de concepts et d’objets inouïs. Songeait-il au mot Geschlechtsverkehr lorsqu’il coucha sur le papier ses fécondes pensées ? Cela semble probable. Ce n’est pas une petite parole que Geschlechtsverkehr ! Il y a de la matière là-dessous. Vu sa longueur, il s’agit sans doute d’un concept philosophique ardu.
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Geschlechtsverkehr, quatorze consonnes et quatre voyelles, veut dire “sexe”. Pour être tout à fait exact, “rapport sexuel” dans la langue administrative et officielle, le “Behördendeutsch” (une sous-branche de l’allemand avec des mots vraiment très longs). Dix-huit lettres pour la gaudriole, ça commence mal. On imagine la scène. Lui, énamouré :
“Chérie, quand je te vois, j’ai envie de Geschlechtsverkehr.” Elle, concentrée : “Attends… Geschlechtsverkehr… mot compte triple… 2012 !… Allez, à toi.”
L’amour mérite mieux. Mais il y a plus subtil et pernicieux encore : j’ai nommé Verführen. Moins payant au Scrabble mais aussi funeste dans ses intentions, ce verbe, qui à l’origine signifie “détourner du droit chemin”, veut dire “séduire”. Les bras m’en tombent.
Séduire, n’est-ce pas un hymne à l’amour et à la liberté ? Verführen, l’infâme, nous entraîne, lui, vers les rives du remords et de la contrition. Des esprits avisés rappelleront que seducere, qui a donné séduire en français, désigne précisément la même chose. C’est tout à fait exact, avec cette différence essentielle cependant que l’étymologie de séduire en français ne s’entend pas tandis qu’en allemand, elle est immédiate. Verführen, c’est mal. Séduire, c’est séduire. On le voit, les relations qu’entretient la langue allemande avec la bagatelle sont conflictuelles. S’il n’y avait que la langue.
Taux de natalité dans les chaussettes
L’Allemagne va mal. Que dis-je ? L’Allemagne se meurt. Le déclin démographique du pays semble inexorable. En 2060, les Allemands ne seront plus que 70 millions contre 82 millions aujourd’hui. Le Statistisches Bundesamt, l’Insee allemand, s’émeut – on le serait à moins. Que faire ? Plusieurs raisons peuvent expliquer cette arithmétique cruelle. Une politique familiale insuffisante, un nombre de crèches limité, le dilemme de la femme allemande placée devant le choix entre carrière ou enfant, un matérialisme exacerbé, etc. Certes.
Mais le noeud du problème, croyons-nous, se situe ailleurs. Au nom de l’amitié franco-allemande, qu’il nous soit permis ici de soumettre des pistes de réflexions à nos amis germaniques, déboussolés par l’ampleur de la catastrophe, afin qu’ils retrouvent dans un avenir proche le chemin de la natalité. C’est avec plaisir que nous exportons l’excellence française dans ce domaine. Geschlechtsverkehr et Verführen, les Charybde et Scylla de l’amour allemand, reflètent un mal plus profond qui a pour nom la guerre des sexes. Oui, la guerre des sexes fait rage outre-Rhin. Le jeu de la séduction et l’Allemagne, ça fait deux. Là gît le mal, et nulle part ailleurs.
Pour l’heure, la question du jeu amoureux en Allemagne nous rappelle celle, insoluble, de l’oeuf et de la poule : l’Allemand n’aborde pas et l’Allemande ne répond pas (à mon avis, le problème vient surtout de l’oeuf, comme nous le verrons plus tard). Ce qui frappe, c’est l’absence de complicité entre hommes et femmes dans la vie de tous les jours. La drague se cantonne aux lieux et horaires prévus à cet effet. En dehors, on se sent hors la loi, voire idiot. La dame interprétera le sourire en coin ou le compliment comme une violation de sa sphère privée, non comme un hommage à sa personne. Dans le meilleur des cas, elle vous répondra par “äh ?” (faites “äh” devant le miroir, vous comprendrez).
Je ne dis pas que les Françaises se réjouissent chaque fois qu’un inconnu leur adresse la parole, mais si l’approche est avenante, il y a de fortes chances qu’elles jouent le jeu. Pour l’Allemande, oubliez. Le jeu lui est pratiquement étranger. L’homme français, qui se croyait coquin, se découvre lubrique ; veut-il faire honneur à la féminité, le voilà un satyre. Il perd son latin face au réalisme désarmant de son interlocutrice.
Une personne, pas une femme
Nous sommes en 2003, je viens d’arriver à Hambourg et des amis m’ont invité à une soirée. Une demoiselle jeune-et-jolie se tient au buffet. J’aborde cette blonde sylphide aux mensurations parfaites, nous commençons à bavarder, on reprend du vin et des nachos, il s’avère qu’elle écrit une thèse sur les relations franco-allemandes. Ça a lors !
“Oui mais bon, Daniela (elle s’appelle Daniela), l’amitié francoallemande est morte, pour sauver le couple, je ne vois qu’une solution, c’est de passer à l’amour franco-allemand”, lui fais-je.
Imperturbable, elle continue sur le traité de l’Elysée, passe en revue l’époque Chirac-Schröder et je sens lentement que mes tentatives de sexualiser subtilement la discussion conduisent droit dans le mur. Nous sommes samedi soir, la musique est bonne, mais si Daniela continue à parler politique, on va finir à coup sûr dans le IIIe Reich. En Allemagne, quelle que soit la discussion, elle finit toujours dans le IIIe Reich.
Afin d’éviter cet écueil, je l’invite à danser. Elle danse vraiment bien. Je lui lance en riant un “mademoiselle, félicitations à vos parents” d’un air entendu. Une amie italienne m’avait appris cette phrase et ajouté : “En lui disant ça, tu souris et tu la regardes droit dans les yeux.” Je n’ai pas dû regarder Daniela bien droit dans les yeux, parce qu’à ce moment-là, elle s’est arrêtée net. Surprise, interloquée même, elle a répondu : “Mais… tu ne connais pas mes parents !”
Assis sur le canapé, avec un verre d’eau plate à l’aspirine, j’eus ainsi tout le loisir de méditer ces lignes de Madame de Staël :
“Jamais un Allemand ne peut arriver à cette brillante liberté de plaisanterie. La vérité l’attache trop, il veut savoir et expliquer ce que les choses sont (…). La philosophie épicurienne ne convient pas à l’esprit des Allemands ; ils donnent à cette philosophie un caractère dogmatique, tandis qu’elle n’est séduisante que lorsqu’elle se présente sous des formes légères.”
Il fallait se rendre à l’évidence. Ce n’était pas ce soir que j’allais pécho.
La deuxième épreuve vint de cette discussion avec une collègue berlinoise au look recherché et personnel. Très féminine, justement, fait assez rare pour qu’on le remarque. Mais pour des raisons que j’ignore, elle choisissait toujours des chaussures informes qui défiguraient d’un coup l’harmonie de ses ensembles. Je lui fais remarquer un jour qu’avec des chaussures à talons hauts, elle serait la reine de Saba. “Des talons hauts ?, s’étrangle la future reine. Mais je ne suis pas une pute !”
Cette confusion navrante entre féminité et sexualité n’était pas le seul fait de ladite collègue, hélas, comme je devais le constater par la suite lors de nombreuses conversations avec la gent féminine allemande. Sans parler de l’aspect moraliste que cachait cette réflexion, un peu trop véhémente pour être honnête, en suggérant implicitement que les pieds plats seraient un signe de vertu.
Troisième touche pointilliste de ce tableau déconcertant. Je rencontre lors d’un vernissage à Bruxelles une jeune fille allemande aux cheveux noirs superbes, coupés très courts. Après un long débat sur l’entretien fastidieux des cheveux longs, une saillie définitive :
“De toute façon, je ne veux pas qu’on me considère comme une femme mais comme une personne.”
Des phrases de ce genre, j’en ai entendu un paquet mais celle-ci me paraît de loin la plus gratinée.
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