Dans une tribune publiée ce lundi 4 mai, plusieurs rédactions dénoncent “un mélange de genres délétère” de la part du gouvernement, qui vient de créer une page nommée « Désinfox Coronavirus ». Pour l’historien des médias Patrick Eveno, cette démarche de l’exécutif nourrit même le complotisme.
“L’Etat n’est pas l’arbitre de l’information.” Dans une tribune publiée dans le Monde ce lundi 4 mai, 32 sociétés de journalistes et de rédacteurs “dénoncent un mélange de genres délétère” de la part du gouvernement. Et pour cause : jeudi 30 avril, la porte-parole du gouvernement Sibeth Ndiaye a révélé la création d’un espace dédié à la lutte contre les fake news concernant le Covid-19 et ce, directement sur le site du gouvernement. Problème : cette page intitulée « Désinfox Coronavirus » renvoie vers des articles issus des rubriques de fact-checking du Monde, de Franceinfo, de l’AFP, de Libération, ou encore de 20 Minutes. Sans que leur accord n’ait été demandé au préalable, et en reprenant le même langage que ces médias-là.
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La crise du #COVID19 favorise la propagation de #fakenews. Plus que jamais, il est nécessaire de se fier à des sources d’informations sûres et vérifiées. C’est pourquoi le site du @gouvernementFR propose désormais un espace dédié. https://t.co/ZY8ddU8234
— Sibeth Ndiaye (@SibethNdiaye) April 30, 2020
“En distinguant tel ou tel article sur son site, le gouvernement donne l’impression, dans un mélange de genres délétère, de labelliser la production de certains médias”, fustigent les rédactions dans leur texte commun, en dénonçant une “défiance” de la part du pouvoir “à l’endroit d’une presse libre et plurielle”. “La presse française est indépendante de l’Etat et du pouvoir politique”, martèlent encore les signataires. Pour rappel, selon le classement 2020 de Reporters Sans Frontières, la France ne se hisse qu’à la 34e place sur 180 pays en matière de liberté de la presse.
“Des effets pervers”
Sur Twitter, le journaliste Claude Askolovitch a souligné “un énorme contresens”. “Nos génies démocratiques ne perçoivent-ils pas la perversion qu’ils mettent en place ?”, interpelle-t-il.
https://twitter.com/askolovitchC/status/1255853314727649281?s=20
Un constat partagé par l’historien des médias Patrick Eveno, professeur émérite à Paris-I Panthéon Sorbonne et président de l’Observatoire de la déontologie et de l’information, contacté par Les Inrocks. “Ce procédé du gouvernement a des effets pervers puisque toute apparence de labellisation, de bonnes paroles, nourri le complotisme, nous explique-t-il. Cela insinue que les journaux sont ‘vendus’ au gouvernement. C’est faux bien sûr, mais c’est clairement contre-productif.”
C’est ici que résident alors les limites du fact-checking selon lui : “A chaque fois qu’on dénonce des choses qui circulent et qui sont manifestement fausses, le risque est de leur donner de la popularité en leur donnant de la visibilité.” “Le fact-checking c’est un puits sans fond car c’est le rocher de Sisyphe, il faut le remonter tous les jours”, conclut-il.
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