Indice : au 31 décembre 2016, 59 sénateurs étaient concernés par cette mesure.
C’était la mesure phare de la loi de moralisation de la vie politique : l’interdiction pour les parlementaires d’employer un membre de leur famille – une conséquence de l’affaire Fillon. Elle a été torpillée par le Sénat dans la nuit de mardi 11 à mercredi 12 juillet, alors que le gouvernement et la commission des lois y étaient favorables. Il a suffit pour cela qu’ils votent un amendement de retrait déposé par Jacques-Yves Collombat (président du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, dont la majorité est composée de membres du Parti radical de gauche), selon lequel « cette disposition n’offre pas une solution satisfaisante à l’objectif du texte, qui vise à rétablir la confiance des citoyens dans l’action publique ». En votant cet amendement, le Sénat s’est opposé à l’interdiction des emplois familiaux des parlementaires, tout en la maintenant pour les ministres et les responsables d’exécutifs locaux. On vous explique les soubassements de cette décision, en plusieurs points.
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Le Sénat vient de faire sauter l'interdiction des emplois familiaux pour les parlementaires.
— Nicolas Cori (@nicolascori) July 11, 2017
Une mesure qui concerne particulièrement les sénateurs
Le Sénat a des raisons objectives de se prononcer contre cette mesure : elle le viserait particulièrement si elle était mise en oeuvre. En effet, selon Public Sénat, environ 17% des sénateurs (59 emplois familiaux pour 348 sénateurs) emploient des membres de leur famille en tant qu’assistants parlementaires. Et cela ne tient pas compte des emplois croisés, qui consistent à employer par exemple la femme d’un autre parlementaire, qui lui-même, en échange, embauche la femme du premier.
L’un des sénateurs qui ont présenté l’amendement est directement concerné
De manière assez ironique, il suffit de jeter un coup d’œil à l’identité des sénateurs qui ont présenté l’amendement de retrait pour se rendre compte que l’un d’eux est directement concerné, puisqu’il emploi un membre de sa famille : il s’agit d’Yvon Collin. Depuis l’affaire Cahuzac, la loi sur la transparence a rendu obligatoire la publication par chaque parlementaire du nom de ses collaborateurs. La liste des assistants des sénateurs est donc visible sur le site du Sénat (ici), et il suffit de la parcourir pour constater que de nombreux noms se répètent.
Les sénateurs estiment que c’est « se tromper de cible »
Dans leur argumentaire pour soutenir cet amendement, les sénateurs estiment qu’il est « discriminatoire » et inefficace d’interdire les emplois familiaux si l’objectif est de « rétablir la confiance des citoyens dans l’action publique ».
Catherine Tasca pas contente de cette interdiction. Pourquoi infliger aux politiques une interdiction générale discriminatoire ?
— Nicolas Cori (@nicolascori) July 11, 2017
« La priorité est plutôt de s’assurer que les moyens alloués aux parlementaires pour rémunérer leurs collaborateurs soient utilisés à rémunérer des personnes qui assistent effectivement les parlementaires dans leurs fonctions, plutôt que d’introduire des dispositions discriminantes dont les effets sur l’amélioration du travail législatif sont hypothétiques, argumente l’amendement.
Se tromper de priorité et cibler la pratique minoritaire des emplois familiaux contribue au contraire à affaiblir la confiance des citoyens dans leurs représentants. »
Ils ont d’ailleurs proposé de rebaptiser le projet de loi « dispositions relatives aux emplois de collaborateur parlementaire à l’Assemblée et au Sénat, de collaborateur de ministre et de collaborateur d’élu local », et non « dispositions relatives à l’interdiction de l’emploi de membres de la famille des élus et des membres du gouvernement ».
Le Sénat souvent dans le viseur pour ses pratiques frôlant l’emploi fictif
Les sénateurs sont sans doute d’autant plus sensibles à la question qu’ils ont déjà fait l’objet de remontrances en matière d’exemplarité. Dans un livre paru en 2016, Le Sénat, un paradis fiscal pour des parlementaires fantômes, le journaliste d’investigation Yvan Stefanovitch révélait qu’“une moyenne de 20 % des sénateurs, soit environ 70 parlementaires, n’assistent pas régulièrement aux séances dans l’Hémicycle”. Face à cet absentéisme, « presque une habitude d’emploi fictif pour certains sénateurs » selon la sénatrice Catherine Tasca, citée par Yvan Stefanovitch, un système de retenues financières a été mis en place en 2015.
>> Lire aussi Le Sénat, une “niche fiscale” pour “employés fictifs” ? Le livre qui accuse <<
Une seconde délibération a été demandée
Notons toutefois que le sénateur Philippe Bas, président de la commission des lois, a demandé à ce qu’une seconde délibération ai lieu :
J'invite le #Sénat à interdire les #emploisfamiliaux au cours d'une seconde délibération que j'ai demandée, qui se fera au plus tard demain.
— Philippe Bas (@BasPhilippe) July 12, 2017
Pour lui il faut interdire, par cohérence, tous les emplois familiaux. Dans un communiqué, il a fait savoir que « la commission des lois avait voté à l’unanimité pour l’interdiction des emplois familiaux. Nous avons donc un grave problème de cohérence avec le texte adopté en séance publique et devons agir en conséquence. J’ai demandé au Sénat de revoter sur cette disposition essentielle ». D’autres sénateurs comme François Bonhomme soutiennent cette initiative :
La com des lois a ete très claire sur sa volonté de supprimer par ppe les emplois familiaux:nous devrons y parvenir en 2ème délibérat @Senat https://t.co/XydYndQLaM
— François Bonhomme (@F_Bonhomme) July 12, 2017
#Moralisation Emplois familiaux : @BasPhilippe a demandé une seconde délibération, le Sénat s’apprête à revoter ➡️ https://t.co/QSIQLsX3T4 pic.twitter.com/2knr3VnYO6
— Sénat (@Senat) July 12, 2017
Dans tous les cas, le gouvernement aura la possibilité de réintroduire cette disposition lors de la lecture du texte à l’Assemblée.
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