Quel est le point commun entre les femmes, les minorités racialisées, les personnes homosexuelles et les classes populaires ? Toutes ces catégories de population sont sous-représentées en politique, un monde dominé par les hommes blancs hétérosexuels. Entretien avec Aude Lorriaux et Mathilde Larrère, qui décryptent ces mécaniques dans leur livre “Des intrus en politique”.
Mathilde Larrère, maîtresse de conférence en histoire politique du XXe siècle, chroniqueuse pour Arrêt sur images et Détricoteuse pour Mediapart, et Aude Lorriaux, journaliste spécialisée en politique et discrimination, et porte-parole de l’association Prenons la Une, cosignent en ce début d’année Des intrus en politique – Femmes et minorités : dominations et résistances. Un formidable travail de recherche et d’entretien sur les mécaniques d’exclusion mises en place par les hommes politiques blancs et hétérosexuels pour s’assurer l’exclusivité du pouvoir, et les différentes façons dont femmes et minorités tentent de se faire respecter dans un monde très normé.
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Quelles étaient vos ambitions de départ avec ce livre ?
Mathilde Larrère — Les Editions du Détour m’ont contactée pour un livre. Le point de départ de la réflexion était les réactions suscitées par la robe de Cécile Duflot. L’éditeur voulait travailler sur ce genre de situation, avec plein d’exemples en tête. J’ai répondu qu’en tant qu’historienne, j’avais des choses à dire, mais que je ne pouvais pas faire le travail seule, car je ne travaille pas sur le contemporain. C’est pour ça que j’ai proposé à Aude qu’on travaille ensemble. Si j’ai lu beaucoup sur l’histoire des femmes, c’est elle qui a apporté la littérature sociologique. Et c’est en discutant toutes les deux avec nos profils complémentaires que nous avons fait évoluer la réflexion pour arriver à ce livre. Dès le début, on s’est mises d’accord pour parler à la fois des femmes, et des racialisés. Tout en gardant une profondeur historique.
Aude Lorriaux — En effet, on est parties sur cette approche de la stratégie, avec des exemples d’actualité, en questionnant la part intentionnelle et non intentionnelle, et les stratégies de parti qui se cachent derrière. Même si en enquêtant, nous nous sommes rendu compte qu’on ne pouvait pas parler de stratégies de parti, mais plutôt de stratégies individuelles, plus ou moins intégrées au sein d’un parti.
“On remarque que les attaques adressées aux femmes et aux minorités peuvent être très similaires”
Dans le titre du livre, vous faites la distinction entre femmes et minorités, qui se retrouvent ensemble dans le camp des intrus en politique. Qu’est-ce qui les rapproche, et qu’est-ce qui vous a poussées à faire cette distinction ?
A. L. — Il existe au sein du féminisme ce débat d’appeler les femmes “minorités” ou “minorisées”. Il y a d’un côté le fait que les femmes représentent 52% de la population, et ne sont donc pas minoritaires. Et de l’autre ceux qui disent que les femmes sont traitées comme une minorité, ce qui les rend minoritaires. En ce qui concerne les attaques, on remarque que celles adressées aux femmes et aux minorités peuvent être très similaires. La sexualisation du corps par exemple, qui touche aussi bien les femmes blanches que les femmes non blanches, et les non-Blancs en général, ainsi que les personnes homosexuelles. C’est aussi le cas de l’animalisation.
M. L. — Et pour ce qui est de traiter à la fois des femmes et des minorités, nous sommes dans un contexte où les questions d’intersectionnalité se posent, où on essaie de faire des liens et de croiser des choses. Est-ce que la situation des femmes blanches est la même que celle des femmes non blanches ? Est-ce que la situation des hommes et des femmes racialisés est différente ? C’est ce qu’on a voulu chercher. Et on constate dans les deux cas que les minorités sont renvoyées à la nature alors que la politique est du côté de la culture. Ce sont les mêmes logiques de stigmatisation.
https://twitter.com/hansoleaux/status/954894395995648000
Vous évoquez dans le livre le fait qu’Eva Joly ait pu être attaquée sur ses origines étrangères, des attaques qu’on ne retrouve pas à l’encontre de quelqu’un comme Nicolas Sarkozy, qui a pourtant lui aussi des origines étrangères. Une personne qui présente un stigmate (au sens que lui donne Erving Goffman, cité dans le livre) peut-elle subir un effet d’engrenage lié à ses autres stigmates ?
A. L. — La différence entre les deux cas tient à la nuance entre le fait qu’on est “discrédité” ou “discréditable” par rapport à ses stigmates. L’homosexualité, par exemple, ne se voit pas. De même qu’on ne voit pas que Nicolas Sarkozy a des origines hongroises. Eva Joly a un accent, on peut donc entendre ses origines étrangères, et c’est pour cela qu’elle est discréditée sur ses origines.
M. L. — Mais tout dépend des situations : comme on essaie de le montrer dans le livre, la femme arabe a un statut généralement – et par ailleurs en politique – favorisé par rapport à l’homme. Parce que dans tous ces imaginaires racistes, la femme est utilisée pour dévaloriser l’homme. Le cas d’Eva Joly est particulier, alors que ce sera plus facile pour quelqu’un comme Rachida Dati que pour un homme racialisé.
A. L. — Un cas très intéressant est celui d’Hamou Bouakkaz. Comme il le dit dans le livre, le fait pour lui d’être handicapé a adouci aux yeux des autres son côté arabe. On voit qu’un stigmate peut aussi en adoucir un autre.
Pourquoi Guaino crie-t-il tout le temps à Eva Joly "on comprend rien!" ? Son accent le dérange ? #motscroisés #xénophobie
— Mat.C (@Mat_BZH35) March 10, 2014
La réussite politique des femmes racialisées n’est-elle pas aussi la conséquence heureuse d’une logique plus discutable, à savoir qu’au moment d’introduire une plus grande mixité et parité en politique, les hommes blancs ont cherché des femmes qui pouvaient tenir ces deux rôles en même temps ?
M. L. — Absolument. C’est d’ailleurs ce que dit Laurence Rossignol, on fait d’une pierre deux coups. Comme il faut privilégier la place de l’homme blanc, on cherche pour les places qui restent des gens qui peuvent cocher les deux cases. Les hommes avaient l’habitude d’avoir 80% des places sur les grilles d’investiture, et se rendent compte qu’on leur en enlève petit à petit. Alors pour mieux garder les restes, si on peut trouver une femme qui coche deux cases, c’est parfait pour eux.
Le concept de laïcité n’est-il pas parfois utilisé pour exclure certains élus racialisés du champ politique au nom d’un universalisme de circonstance ?
M. L. — Oui, aujourd’hui la laïcité est très clairement utilisée par certaines familles politiques pour servir une islamophobie bien présente. Et tout ça en trahissant ce qu’a historiquement été la laïcité.
A. L. — C’est d’ailleurs ce qu’un courant a qualifié de “laïcité identitaire”, une laïcité d’attaque qui n’est plus dans l’esprit de la balance entre religion et non-religion (comme elle a été pensée à l’origine).
“Emmanuel Macron et Jean-Luc Mélenchon ont fait monter la société civile, mais dans un cas les escaliers avaient moins de marches que dans l’autre”
La question de la place des femmes et des minorités en politique par rapport à celle des hommes blancs est souvent liée à la question du renouvellement en politique. Un renouvellement qu’Emmanuel Macron a tenté d’initier par la promotion de la société civile. Mais promouvoir l’élite de la société civile en politique n’est-il pas finalement une fausse bonne idée ?
M. L. — Ce n’est pas forcément ce qu’on dit dans le livre, mais j’aurais personnellement tendance à penser que c’est une mauvaise idée si cela ne donne le pouvoir qu’à ceux qui sont en haut de la hiérarchie sociale. Si au contraire il s’agit d’aérer un monde qui est sclérosé par la professionnalisation de la vie politique, c’est plutôt une bonne idée. Mais de fait, quand on regarde les personnes qui viennent de la société civile chez Emmanuel Macron, ce sont plutôt des classes supérieures dirigeantes. Alors que Jean-Luc Mélenchon, qui a lui aussi fait la promotion de la société civile, a avec lui des gens qui viennent de plus bas dans l’échelle. Les deux ont fait monter la société civile, mais dans un cas les escaliers avaient moins de marches que dans l’autre.
« La société civile de M. Macron est plutôt une élite alternative » https://t.co/hfOXLlj9No
— Mathilde Damgé (@dathilde) July 3, 2017
A. L. — Tout dépend en fait si le concept de société civile est une stratégie théâtrale pour faire entrer des personnes qui ont finalement toujours été en politique, avec des revenus aisés, etc… On fait alors passer par le concept de société civile une nouveauté qui est en fait une fausse nouveauté, et on continue à faire en sorte que les dominants continuent de dominer.
Ne se trouve-t-on pas dans le même genre d’impasse lorsqu’on choisit de désigner une personnalité politique racialisée pour s’occuper, par exemple, de la politique de la ville, alors que la personnalité politique en question appartient à une élite culturelle et économique qui l’éloigne des habitants des quartiers auxquels on l’associe ?
M. L. — Il y aurait un travail de précision à faire là-dessus, tout dépend si l’on regarde des listes municipales ou des listes de députés, le niveau des fonctions qui doivent être occupées par la suite. De fait, il y a eu un moment où les élus racialisés représentaient finalement très peu les quartiers populaires qu’ils étaient censés représenter politiquement. L’impression que j’ai, c’est que ça tend à diminuer plutôt pour les élections locales. Moins pour les élections nationales, même si cela se fait petit à petit.
A. L. — Et comme la proportion des personnes racialisées en politique tend à augmenter ces dernières années, on se retrouve avec plus de catégories sociales différentes.
“Les lesbiennes sont assez invisibles en politique. Corinne Bouchoux, qui prépare un livre sur le sujet, a elle-même beaucoup de mal à en trouver. Parce qu’elles se cachent”
En parcourant votre livre, on peut avoir l’impression qu’il est plus facile pour un homme que pour une femme d’assumer son homosexualité dans la sphère politique. Avez-vous aussi ressenti cela à travers vos entretiens ?
M. L. — L’homosexualité masculine et l’homosexualité féminine n’ont pas été traitées de la même façon dans l’histoire, avec des situations complexes qui font qu’il existe des discours plus négatifs autour de l’homosexualité masculine. C’est là le paradoxe, l’homosexualité féminine est historiquement plus acceptée. Mais apparemment pas quand il s’agit d’arriver au pouvoir. On a posé cette question à Corinne Bouchoux, qui elle-même n’avait pas de réponse.
A. L. — Tout à fait, les lesbiennes sont assez invisibles en politique. Corinne Bouchoux, qui prépare un livre sur le sujet et nous a bien aidées dans notre travail, a elle-même beaucoup de mal à trouver des personnes “out” en politique. Parce qu’elles se cachent. Alors pourquoi les femmes se cachent-elles plus que les hommes ? C’est une bonne question. Peut-être parce qu’elles sont doublement discriminées, et que c’est plus difficile pour elles de s’assumer. Ce n’est qu’une hypothèse. Mais on devrait effectivement voir plus de femmes out en politique que d’hommes, car dans l’imaginaire homophobe c’est l’homme gay qui est menaçant pour la société car c’est lui le guerrier. Et si le guerrier est pénétré, c’est toute la cité qui est menacée.
Devenir lesbienne par conviction: "Quand je suis en couple avec un mec, je me dissous" https://t.co/sfgGkTv8YM via @Rue89
— Cheek (@MagazineCheek) October 26, 2017
Ce qui est extrêmement intéressant chez Corinne Bouchoux, c’est qu’elle dit ne pas avoir souffert de son homosexualité en politique. Le prisme médiatique peut donner l’impression que les attaques sont extrêmement nombreuses et dures, alors que chez certaines personnes que nous avons interrogées, si une ou deux choses ont émergé dans leur vie politique, elles n’en souffrent pas. Et Corinne Bouchoux affirme même que cela lui a servi, et que certains ont été plus prévenants avec elle, car la sachant plus susceptible d’être attaquée à cause de cela. Il semblerait que pour certains, le coming out puisse protéger.
Dans votre livre, vous analysez la façon dont l’homme blanc discrimine les femmes et les minorités aussi bien dans le cadre d’un rapport d’opposition (d’un camp politique à l’autre) qu’au sein d’un même parti. Les stéréotypes sont-ils plus utilisés dans le cas d’une opposition politique ?
A. L. — Nous avons cherché à regarder en priorité ce qui se passe dans le cadre d’un rapport de force en politique. Donc oui, c’est ce que nous montrons le plus dans le livre. Il existe bien sûr du sexisme et du racisme ordinaire, comme on le montre également en citant François Hollande qui parle d’un “accident domestique” à propos du malaise de Myriam El Khomri en mars 2016. Si la maladresse est clairement sexiste, François Hollande n’a pas d’intérêt à discréditer sa ministre. Il n’y a pas de stratégie derrière ça.
M. L. — Je pense quand même que ce sexisme ordinaire tend à diminuer grâce au contexte actuel. Les politiques sont davantage formés à faire attention. Plusieurs personnes que nous avons interrogées pour le livre nous le disent d’ailleurs, on sent une différence entre les générations à ce niveau-là. Mais les plus jeunes savent aussi activer ces mécaniques d’exclusion en cas de besoin.
Quand, dans votre ouvrage, est abordée la question des partis politiques, on comprend que l’exclusion des femmes et des minorités est bien plus forte dans la base militante que dans les fonctions plus hautes. Même dans le contexte actuel, il y a toute une partie de ces mécanismes d’exclusion qu’on ne voit pas ?
M. L. — C’est pour cela que nous avons choisi de dédier un chapitre entier à la question des partis. Et c’est difficile, parce que dans le cadre d’un parti, on ne fait pas sortir les affaires. C’est ce que dit Isabelle Attard, on ne veut pas être celle par qui le scandale arrive. Et en même temps, quand on interroge les gens, et qu’on connaît des gens dans les partis, il y a plein d’attaques de ce genre. Et ce dans tous les partis.
Ce qui est reproché à Thierry Marchal-Beck : harcèlement et agressions sexuelles, voire viol. Pourtant, l’ancien président du MJS tenait un tout autre discours ⬇#Quotidien pic.twitter.com/zAdENHjNRB
— Quotidien (@Qofficiel) November 15, 2017
A. L. — De plus, on trouve pas mal de signaux contradictoires sur ces questions-là. Clémentine Autain nous disait par exemple qu’elle avait beaucoup plus souffert de discrimination au début de sa carrière politique, lorsqu’elle était assistante parlementaire, qu’aujourd’hui. Alors que Najat Vallaud-Belkacem ne nous a pas exactement dit la même chose, elle qui était très exposée lorsqu’elle était ministre, où elle a souffert de nombreuses attaques racistes et sexistes. Nous n’avons pas de statistiques qui nous permettent de tirer des conclusions générales.
M. L. — Mais Najat Vallaud-Belkacem a surtout été attaquée par les médias et sur les réseaux sociaux, que nous avons délibérément mis de côté dans ce livre. Parce que ça nécessiterait de faire un autre livre.
“Je pense que les lignes rouges ne sont pas forcément situées en fonction d’un clivage gauche/droite. Cela dépend surtout des élus”
Si aucun parti n’est fondamentalement innocent dans ces phénomènes d’exclusion, sont-ils plus présents dans un camp politique que dans un autre ?
M. L. — Je pense que les lignes rouges ne sont pas forcément situées en fonction d’un clivage gauche/droite. Cela dépend surtout des élus. On peut trouver à droite des élus qui ont des lignes rouges antiracistes et antisexistes bien situées, qu’ils ne dépassent pas, et qui sont tout autant choqués qu’une personnalité de gauche quand elles sont dépassées. Même si généralement et historiquement, la droite est beaucoup moins en pointe sur tous les combats antiracistes, antihomophobes et antisexistes. Ça fait partie de sa culture politique, ils ne sont pas formés à déconstruire ça et donc à lutter contre.
A. L. — Et c’est quelque chose qui peut s’expliquer d’un point de vue purement arithmétique, puisque les électeurs de droite sont moins sensibles à ces sujets. Il y a des sondages qui montrent ça. Les électeurs de droite sont plus gênés à l’idée d’avoir un président noir ou une présidente femme. Pour un élu de droite, une sortie raciste ou sexiste est moins risquée que pour un élu de gauche. Ça expliquerait pourquoi on trouverait éventuellement davantage ce genre d’attaque à droite qu’à gauche.
M. L. — Ce qu’on peut affirmer en revanche c’est que lorsque nous avons étudié les dispositifs de lutte interne contre les problèmes de harcèlement ou de racisme, ils étaient beaucoup plus développés à gauche qu’à droite. Bien qu’historiquement, la droite a très vite compris l’intérêt de faire entrer de la diversité dans les partis. Charles Pasqua reste après tout l’un des pionniers de la diversité, lui qui avait senti le potentiel électoral dans les quartiers.
Différencialisme versus universalisme : une grille de lecture des débats contemporains sur l'égalité et la diversité. pic.twitter.com/OQNXfmlDLH
— GUILLAUME QUIQUEREZ (@GQuiquerez) June 22, 2014
Mais quand on aborde dans le livre la question des solutions à ces problèmes, on remarque que les commissions de femmes sont par exemple plus développées à gauche. La parité a d’abord été adoptée dans les partis de gauche avant de l’être dans les partis de droite. C’est ce que nous disait Marie-Pierre Badré, qui a été obligée de lancer l’association Parité 50/50 pour dire en quelque sorte “femmes de droite, bougez-vous”. Et pendant très longtemps quand on regardait les pénalités financières pour non-respect de la parité, c’étaient les partis de droite qui avaient les pénalités les plus élevées.
A. L. — On retrouve finalement plutôt dans cette opposition gauche/droite celle entre l’universalisme et le différentialisme. C’est ce que nous dit Cécile Duflot, les femmes de droite n’ont pas la même manière d’utiliser leur genre en politique. Elles sont plus différentialistes.
M. L. — C’est un constat assez cohérent par rapport à l’histoire du féminisme. Mais l’universalisme peut également être un piège pour les femmes. C’est de toute façon une question très compliquée à trancher. On montre d’ailleurs à un moment qu’une même personne peut activer un jour des stratégies différentialistes, puis universalistes. Ce qui était surtout important, c’était de montrer qu’il y a ces deux stratégies. Mais il ne s’agit pas de dire qu’il y en a une meilleure que l’autre.
“On a tendance à penser que la parité, c’est bon c’est fait. Alors que non”
Vous abordez dans le livre la notion de “parité qualitative”. Comment une telle parité peut-elle être concrètement appliquée dans la vie politique ?
M. L. — Ce que dit déjà le conseil à l’égalité femmes-hommes, c’est qu’en faire un suivi et une publication, c’est déjà bien. Dire ce qu’il se passe. On a beaucoup parlé de la parité quantitative, et on s’est rendu compte que les femmes n’étaient pas assez présentes. Il faut dire et rappeler régulièrement le nombre de femmes qui, à l’Assemblée nationale, sont présidentes de groupe, qui a telle fonction, pourquoi on donne toujours ce qui concerne la petite enfance aux femmes. On essaie de participer modestement à ça. On a tendance à penser que la parité, c’est bon c’est fait. Alors que non. En ce qui concerne les solutions, nous avons regardé lesquelles étaient proposées. Et c’est difficile, par exemple, d’imposer que dans un certain nombre de mairies, ce soit un homme qui soit responsable de la petite enfance. Mais on pourrait par exemple imposer la parité au niveau des présidents de groupe.
A. L. — Ce qui est important, c’est le travail de pédagogie. De plus, ce qui sera valable en politique sera valable dans plein d’autres domaines. Moi qui suis journaliste, et porte-parole du collectif Prenons la Une, c’est la même chose dans le journalisme. Alors que nous sommes à peu près paritaires en termes de rédacteurs et de rédactrices, on constate que les femmes récoltent plus souvent les rubriques éducation ou santé, alors que les hommes s’occupent de la politique et de l’économie. On l’a vu récemment avec Le Parisien, où ça a un peu râlé, puisqu’on s’est rendu compte que sur treize rédacteurs en chef, il n’y avait qu’une seule rédactrice en chef : la rédactrice en chef de La Parisienne. Et ce qui change beaucoup ces choses-là, c’est la pédagogie. C’est la répétition. Et montrer les choses.
– @FdeRugy réaffirme l'utilisation à l'Assemblée de la féminisation des titres et des fonctions : "Ici on dit Madame la députée, Madame la présidente, Madame la rapporteure ou Madame la ministre !" #DirectAN pic.twitter.com/og3qh7lKI8
— LCP (@LCP) December 5, 2017
Est-ce que c’est quelque chose qui passe aussi par le langage, avec la féminisation des titres, l’écriture inclusive ?
A. L. — Complètement ! Des études ont montré que dans le cadre d’une école d’ingénieurs par exemple, préciser “pour les ingénieurs et les ingénieures” fait augmenter le nombre de femmes qui se présentent à cette école. Une étude sur les mots-clés où l’on demande aux participants de citer dans un cas “deux écrivains célèbres”, en employant donc le masculin générique, ou “deux écrivains ou écrivaines célèbres”, ou “deux personnalités célèbres de la littérature”, qui est un épicène, montre que les gens citent plus de femmes quand le mot “écrivaine” apparaît. Ce qui prouve que le masculin générique occulte les femmes. Il est d’ailleurs plus approprié de parler non pas de féminisation des titres, mais d’usage du féminin. Car ces mots existaient auparavant.
M. L. — Oui, on sait très bien qu’au XVIIe siècle, l’Académie française déféminise beaucoup de noms. “Autrice” ou “professeuse” existaient à l’époque. Et ce ne sont que des noms de métiers qui sont considérés comme importants dans la société. Le fait que l’on dise “boulangère” ne les dérange pas.
“L’idée d’avoir une crèche à l’Assemblée nationale était auparavant défendue exclusivement par des femmes, alors qu’aujourd’hui certains hommes la réclament également”
On voit resurgir en ce moment dans l’actualité la question du congé paternité. Les problématiques liées à la vie de famille sont évoquées dans votre livre. Une mesure comme celle-ci peut-elle rendre service aux femmes en politique ?
A. L. — Des femmes comme Clémentine Autain et Valérie Pécresse insistent beaucoup sur la chance qu’elles ont d’avoir un compagnon qui prend en compte la répartition des tâches parentales. Mais on ne peut jamais obliger à prendre un congé maternité ou paternité. Donc je ne suis pas sûre que la politique serait le domaine le plus influencé par une telle réforme. En haut de l’échelle, ce sont des gens qui travaillent tellement, qu’ils ne le prendront sans doute pas, hommes comme femmes.
M. L. — De toute façon, tout ce qui améliorera la condition des femmes dans la société en général aura une répercussion sur la sphère politique. Cela étant dit, il me semble que le congé paternité est très peu utilisé par les hommes. Mais dans le même temps, quand nous abordons la question des solutions, on remarque que l’idée d’avoir une crèche à l’Assemblée nationale était auparavant défendue exclusivement par des femmes, alors qu’aujourd’hui certains hommes la réclament également.
Quand Véronique Massonneau a été interrompue par Philippe Le Ray à l’Assemblée nationale (il avait imité le bruit d’une poule), un mouvement de grève de quinze minutes dans l’hémicycle avait été lancé, sans que les femmes de droite ne suivent. La lutte des femmes en politique peut-elle devenir transpartisane ?
A. L. — Il y a du transpartisan en politique, mais ça a ses limites. Marie-Noëlle Lienemann nous explique qu’il faut qu’il y ait plus de femmes en politique, mais que le fait d’avoir le choix de voter pour une femme à une élection présidentielle, par exemple, ne suffira pas à motiver le vote. Mais il y a des exemples dans le livre, Laurence Rossignol qui envoie par exemple un message de soutien à Valérie Pécresse après qu’elle ait été victime d’une attaque sexiste.
.@yanngalut : "Le féminisme, c'est un combat qui est encore d'actualité. Il doit être transpartisan, cela doit être le combat de tous."
— Politiqu'elles (@Politiquelles) September 3, 2014
M. L. — Il faut noter qu’il peut y avoir une solidarité transpartisane lorsqu’une femme est attaquée en tant que femme, mais il n’y aura pas de soutien politique parce qu’elle est une femme. Par ailleurs, il peut y avoir des liens qui se créent sur des combats féministes. Là, des femmes de droite et de gauche vont se rejoindre pour soutenir la lutte pour l’IVG par exemple. Mais ce sont des attraits particuliers. Il y a aussi la logique du politique, une femme de gauche ne va pas voter pour Marine Le Pen parce qu’elle est une femme, et une femme de droite ne va pas voter pour une candidate de gauche parce qu’elle est une femme. Il ne faut pas non plus annuler la réalité politique.
Des intrus en politique – Femmes et minorités : dominations et résistances, Editions du Détour, 224 p., 19,50 €
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