Cannabis, cocaïne, MDMA… La vente de stupéfiants à domicile semble en progression depuis plusieurs années. Quelles en sont les causes et à qui s’adresse ce nouveau marché ?
« Un véritable ‘Deliveroo’ de la drogue » prospérerait à Bordeaux selon Hugo (les prénoms ont été modifiés), qui nous renseigne sur les livreurs distribuant leur marchandise à vélo. Une pratique qui se veut discrète et efficace. « Le mec dispose de plusieurs portables à cartes, je peux lui envoyer un message du type ‘j’ai besoin de 10 grammes à telle adresse’ et il vient directement. »
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« 50€ pour ce soir, c’est possible ? », comprendre 50 euros de drogue. Commander du cannabis ou de la cocaïne semble devenir aussi simple que de se faire livrer une pizza. Sur l’envoi d’un SMS, un dealer se déplace au domicile des usagers. Après les secteurs de la restauration, du transport de personnes ou de l’hôtellerie, la vente illicite de stupéfiants serait, elle aussi, bouleversée par les nouvelles technologies, selon un reportage réalisé par BFM en novembre dernier.
Un nouveau marché ?
Cette méthode de vente est-elle pour autant véritablement nouvelle et comparable à l’essor de firmes telles que Uber pour le transport ou Airbnb dans le domaine de l’hébergement? L’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT) reste prudent. La vente à domicile est, en réalité, un phénomène observé depuis plusieurs années. Le dispositif « Tendance » précise dans une publication de décembre 2015 que ce type de trafic est en augmentation depuis 2012.
Le système n’est donc pas soudainement apparu mais répond à des facteurs spécifiques. En cause, notamment, le « démantèlement de points de vente [qui] a poussé les dealers à aller à la rencontre des clients », selon une publication de décembre 2016. Cette présence renforcée des forces de l’ordre a pour conséquence, une « réticence croissante des acheteurs à se rendre sur les zones de trafic ».
La sécurité et la discrétion sont des critères qui reviennent régulièrement dans le discours des consommateurs tels que Mathieu, étudiant parisien et acheteur ponctuel, qui préfère que la vente ne se passe pas « sous les yeux des passants ». Il remarque, à l’inverse, que les livreurs « sont parfois très stressés » et que « certains paraissent très jeunes, des mineurs de 15 ou 16 ans. » A cet égard « Tendance » souligne, en effet, un « cloisonnement » : « le client contacte un commanditaire qui charge de la livraison l’un des coursiers disponibles et régulièrement différents, dont le client n’a pas les coordonnées. »
« Marijeane, maridenise et caro »
A la question de savoir comment entrer en contact avec les revendeurs, les réponses varient. Camille évoque le « bouche-à-oreille », avouant qu’il a obtenu le numéro de téléphone « par un ami ». Hugo raconte s’être déjà fait aborder dans la rue par l’un d’eux : « Un mec m’a accosté dans un bar, il faisait exprès de montrer qu’il avait de l’herbe. Nous avons discuté un moment puis il m’a filé une tête [de cannabis] en me disant : ‘je vends, je livre chez toi donc tu me dis si tu as besoin’. » D’après Vincent, il s’agit d’une pratique relativement fréquente dans la capitale : « J’en ai déjà croisé qui distribuaient des papiers sur lesquels était écrit ‘livre shit, coke, MD’ avec leur numéro de téléphone près du Canal. [Canal St Martin, Paris]. »
D’après « Tendance » le démarchage des clients par les dealers s’explique par une transformation du « marché devenu très concurrentiel ». Ces derniers se prêtent à une véritable campagne de « marketing » n’hésitant pas à relancer leurs acheteurs par SMS. Marie nous montre un des messages qu’elle reçoit régulièrement, véritable offre promotionnelle :
« Cme promis Wk-end = Promo. Weed SATIVA : 1 = 50€, 2 = 90€. CARO : 1 = 70€, 2 = 120€. 5 personnes viennent de ta part 1 au choix – 50 %, 10 pers = 1 au choix V ou C. »
Si le décryptage peut demander un peu d’entraînement pour un non initié, la terminologie est employée par la plupart des dealers qui utilisent les mêmes codes, facilement reconnaissables et donnant parfois lieu à des formulations cocasses :
« Je suis dispo pour marijeane, maridenise et caro. livraison de 14h à minuit. »
Allusion à du cannabis, de la MDMA et de la cocaïne. Alexis Sequara n’a pas hésité à les recenser au sein d’un ouvrage intitulé Dis-leur, dans lequel on peut trouver quelques variantes : « Slt c Antoine géant vert je suis dispo. Avec marie daniel aussi. Biz bonne journé. »
« C’est Daft Punk qui te livre ta weed »
La proximité établie par la livraison à domicile n’induit pas pour autant une familiarité entre clients et vendeurs. Le dealer amène la commande, tu lui files l’argent et c’est terminé. Il tient à rester dans son rôle : il vend et c’est tout. C’est un service qui a un prix », commente Hugo. Une mise à distance parfois poussée jusqu’à l’anonymat. Camille se souvient :
« Je n’ai même pas vu son visage. Il est venu en scooter et a gardé son caque, la visière opaque baissée. C’est Daft Punk qui te livre ta weed. »
Freddy, peu familier avec la livraison de stupéfiants, se souvient avoir été surpris de la rigueur avec laquelle s’est déroulée la vente. « Une connaissance m’a donné le numéro. L’échange se passait via ‘whatsapp’. Il m’a simplement demandé l’adresse et en moins de 40 minutes, il est arrivé. Il portait un costume, était très soigné et poli. Le pochon de beuh était dissimulé dans un thermos. »
Une fracture sociale
Sur ce terrain concurrentiel, fleurissent différentes méthodes, plus ou moins bien rodées.« La qualité est très aléatoire et certains mecs arrivent très en retard. A Paris la vente se fait souvent à la dose plutôt qu’au gramme, ça reste approximatif. Généralement, la première fois le mec sert très bien pour t’appâter, moins bien la deuxième », commente Vincent.
D’ordinaire les dealers ne se déplacent pas pour moins de 50 euros d’achat ce qui crée une nouvelle distinction, celle des classes socio-économiques des usagers qui se tournent également vers l’achat sur internet : « Les plus aisés économiquement s’autonomisent des trafics de rue ou de cités à travers des pratiques d’autoproduction ou des commandes en ligne suivies de livraisons postales. De plus en plus, ils se retrouvent au centre des attentions d’un trafic concurrentiel qui les préserve d’une violence par ailleurs en hausse« , affirme « Tendance ».
Si la vente en ligne correspond, en partie, à des produits autorisés sous d’autres législations, à l’instar des champignons hallucinogènes commandés sur des sites néerlandais, un moyen relativement confidentiel et sécurisant pour les adeptes, la livraison à domicile n’épargne pas les clients de poursuites judiciaires. Les téléphones portables, outils indispensables de ces transactions peuvent devenir, pour les enquêteurs, des pièces à conviction. Un risque qui n’empêche pas, selon « Tendance », « un véritable commerce autour de la revente de cartes SIM dont la valeur marchande est proportionnelle au nombre de numéros de clients enregistrés. »
En somme, le public se diversifie, du côté des acheteurs comme des vendeurs et par conséquent, devient « difficile à contrôler », conclut l’OFDT.
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