Les gastronomes new-yorkais ont transformé le kebab en produit hype. Qu’est ce qu’on attend pour redorer ce qui fait désormais partie de la culture nationale ? Daniel Boulud, chef français vénéré par les médias new-yorkais comme une quasi-divinité a ouvert, en 2011, un resto d’influence méditerranéenne en face du Metropolitan Opera : le Boulud Sud. Clientèle mélomane […]
Les gastronomes new-yorkais ont transformé le kebab en produit hype. Qu’est ce qu’on attend pour redorer ce qui fait désormais partie de la culture nationale ?
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Daniel Boulud, chef français vénéré par les médias new-yorkais comme une quasi-divinité a ouvert, en 2011, un resto d’influence méditerranéenne en face du Metropolitan Opera : le Boulud Sud. Clientèle mélomane et friquée. Le midi, on y mange un « burger d’agneau » épicé au tzatziki avec ses chips de patate douce pour 21 dollars (supplément féta, 2 dollars). Le soir, le Boulud Sud propose l’« Arabic lamb flatbread », avec de l’aubergine algérienne, des pignons de pain et de la coriandre, à partager pour 18 dollars. Bref, des kebabs, mais qui ont laissé les baskets à l’entrée et enfilé le smoking.
King of New York, le kebab ? Tel Frank White, il ne s’est pas seulement fondu dans le décor. Il a sa place dans les grands palaces. Il a commencé par en bas, dans la rue, là où SDF et millionnaires se rejoignent pour manger les midis. A New York, déjeuner en terrasse en regardant passer les gens, c’est bon pour le brunch du dimanche. Le reste du temps, on boit le café en marchant, et on déjeune pareil. Pour pas cher. La concurrence est féroce. Pizzas, bagels, tacos, sandwichs vietnamiens, bratwurst… On trouve de tout, à toute heure. Or le döner kebab (inventé à Berlin en 1971, selon Périco Lagasse de Marianne), a su jouer des coudes. De la street food (les camions mobiles de Manhattan qui servent un döner à l’hygiène douteuse, mais bourratif et à portée de main, c’est tout ce qu’on lui demande) aux échoppes de Brooklyn… Jusqu’à la haute gastronomie de l’Upper west side.
Autant de pays d’origine, autant de nuances dans les sandwiches. L’immigration en provenance du Moyen-Orient est massive, notamment les Egyptiens, les Irakiens et les Libanais, trois nations ayant apporté le plus d’immigrants à New York cette dernière décennie selon le Census bureau dans sa catégorie Moyen-Orient (qui intègre aussi le Maghreb). Sans oublier les falafels Juifs de Brooklyn et les gyros grecs du Queens, arrivés là avant eux, qui nourrissent des quartiers entiers. La communauté stambouliote est aussi très active à Manhattan. Tous poussent leurs pions dans le kebab game.
A la sortie de métro Bedford sur la ligne L à Brooklyn, la devanture de l’Oasis ressemble à celle d’un gyros de banlieue parisienne. Mais pour manger un shawarma d’agneau (5 dollars) ou un falafel (3 malheureux dollars), les hipsters barbus font la queue depuis la rue. A midi comme à minuit, sept jours sur sept. En plus du triptyque salade-tomate-oignon, il y a du chou rouge, des pickles, du tzatziki et des piments. Rien de bien sorcier. Mais pour Dan Kaufman, client fidèle, « C‘est pas cher, c’est bon, ça se mange sur place ou en marchant. C’est mon spot préféré depuis que j’ai débarqué à New York en 2004… Faut dire que c’est en faisant la queue que j’ai rencontré ma future femme. »
A New York le kebab est une alternative parmi d’autres. La viande doit être bonne et les légumes variés, sinon autant fermer boutique tout de suite. Inutile non plus d’ouvrir un kebab sans alternative pour les veggies, vegans et autres sans gluten, très nombreux ici. Comme à Berlin, le végétarien est traité avec respect. Il a droit à son falafel et n’est pas puni avec une barquette de frites molles. « Le chiffre d’affaires, c’est moitié falafel, moitié shawarma », confirme Ahmed, égyptien, doyen des employés de l’Oasis.
En parcourant les rues de Brooklyn l’été dernier, Jérôme Bloch, consultant en mode masculine, a été frappé que les kebabs connaissent autant de succès, avec des standards bien meilleurs qu’en France. Selon lui, la tendance devrait déferler en France via « les chefs étoilés, qui vont jouer avec le kebab, se le réapproprier comme ils l’ont fait avec le hamburger ». Ce dernier devrait tirer sa révérence et « laisser la place au kebab comme un produit branché et de qualité. »
Il y a du pain sur la planche. D’abord parce qu’en France le composant principal d’un kebab – l’agneau – a disparu au profit du veau et de la dinde. « Sur une vingtaine de snacks pris au hasard, nous n’en avons trouvé aucun qui vendait encore des kebabs à base d’agneau, rapporte le site français kebab.com, qui fait du lobbying pour le sandwich. Avec l’internationalisation du plat et l’industrialisation de la profession, la viande s’est transformée. Le goût et l’odeur de l’agneau auraient été jugés trop forts par le client occidental qui préfère des viandes au caractère gustatif moins fort. » Pourtant, à New York, la viande d’agneau est très appréciée.
Une enseigne parisienne, « OUR : le kebab chic » exploite le filon du kebab haut-de-gamme. Les menus ont été imaginés par un grand chef, Daniel Geneletti, et supervisés par une diététicienne. Une échoppe a ouvert à Paris dans le quartier Saint-Lazare en 2011, avec un code couleur noir et rose. Le concept pourrait se développer en franchise. Sinon, Thierry Marx, la grande gueule de Top Chef, promeut sur Internet un « manifeste de la street food », et s’est associé avec six autres toques pour promouvoir la vente nomade en France (kiosque, à pied, à bicyclette, triporteur…) et réhabiliter le kebab.
Pas la peine de partir à New York pour constater que les kebabs sont meilleurs ailleurs. Quiconque a déjà bringué un week-end à Berlin ou Bruxelles constate que la France s’est assoupie sur le salade tomate oignon. Alors au travail, notre honneur gastronomique en dépend. La route est longue. La pente est raide. Et pas trop de sauce piquante, chef.
Maxime Robin
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