Après “Crash Bandicoot” en 2017, une autre star des années PlayStation fait son grand retour au premier plan avec « Spyro Reignited Trilogy », la réédition en version remasterisée de ses trois premières aventures,dont la plus ancienne date d’il y a déjà vingt ans. Aussi accessible qu’entraînant et moins daté qu’on ne pouvait le redouter, le petit dragon violet dispose de vrais arguments pour convaincre au-delà du cercle des (vieux) joueurs un brin nostalgiques.
Jouer, c’est souffrir. Au moins un peu, comme l’ont encore montrés quelques uns des titres les plus marquants de cette année 2018, des pépites indées Celeste et Hollow Knight à la superbe réédition (y compris sur la Switch, qui a reçu il y a peu sa version) du plus emblématique des jeux qui font mal : Dark Souls. De temps en temps, en plus, c’est souffrir quand on s’y attend le moins, comme avec le charmant Save Me Mr Tako du Frenchie Christophe Galati qui, sous ses allures d’épisode GameBoy inédit de la saga câlineuse Kirby, nous aura fait sérieusement pester ces dernières semaines – on l’aime bien quand même. Mais un village peuplé d’irréductibles héros de jeux vidéo résiste encore et toujours à ces tendances cruelles. Ils ont pour nom Kirby, Yoshi, Sackboy ou encore Spyro, le petit dragon violet qui défie courageusement les méchants suivi de son énergique libellule de compagnie. En cette fin d’année, ce dernier est le membre le plus en vue de cette officieuse et néanmoins indispensable Team Bisous. Il revient pourtant de l’enfer – les suites médiocres, la banalisation et finalement la dissolution dans la franchise désormais en sommeil Skylanders.
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Une alternative à Sonic et Mario
Depuis sa naissance en 1998, le destin de Spyro semble inséparable de celui de son collègue et néanmoins rival Crash Bandicoot. A l’époque, ils partageaient la même mission d’incarner sur la PlayStation une alternative à Mario et Sonic qui, chez la concurrence, tenaient à la fois le rôle de mascotte officielle et celui de locomotive commerciale. Par ailleurs, leurs auteurs respectifs sont proches, aussi, et l’étaient encore plus au moment du développement du premier Spyro où ses géniteurs d’Insomniac Games et le studio Naughty Dog, responsable des premiers Crash, partageaient le même immeuble. Et voilà qu’aujourd’hui, Spyro continue de suivre Crash car, un peu plus d’un an après, le dragon se voit offrir un retour au premier plan exactement de la même manière que son compère marsupial : par la sortie d’une compilation de ses trois premières aventures remasterisées. Celles, dans les deux cas, conçues par leurs créateurs, avant que nos héros ne passent entre les mains d’autres développeurs, moins doués, appliqués et/ou inspirés – rayez les éventuelles mentions inutiles. On efface tout ce qui n’avait pas super bien tourné, donc, et on s’offre un retour vers le passé armé des technologies actuelles pour aller voir si, au-delà de la nostalgie, les stars d’hier ne pourraient pas devenir aussi celles d’aujourd’hui.
L’affaire est a priori plus compliquée pour Spyro que pour Crash qui, des deux, a toujours été le cool kid en jeans-basket à la mode là où Spyro, au fond, apparaissait d’abord comme un ami des enfants. En 2018, rien de tout cela n’a vraiment changé, mais cette forme de gentillesse tranquille serait finalement plutôt à mettre au crédit du petit dragon qui, plus encore que des défis à relever (même si l’on cale un peu sur quelques uns), offre un monde dans lequel s’installer et, alors qu’on le craignait ringard, à l’ère de Super Mario Odyssey, frappe finalement par sa (relative) modernité.
Entre parc d’attractions et balade en forêt
Les niveaux de Spyro ne sont en effet pas, comme ceux de Crash Bandicoot (et même si ces derniers proposent régulièrement différents embranchements) des parcours à suivre, mais des mondes dans lesquels se promener, se poser et expérimenter. A cette époque – la deuxième moitié des années 1990 – où le jeu de plateforme fait sa révolution dans le sillage de Super Mario 64, deux années peuvent faire toute la différence. Entre 1996 (l’année du premier Crash Bandicoot) et 1998 (celle de Spyro le dragon), l’affichage en 3D s’est banalisé. La richesse, la cohérence et l’intérêt des niveaux-mondes proposés tendent désormais à devenir les principaux enjeux, au point que les titres de la trilogie Spyro Reignited se révèlent finalement plus proches, dans l’esprit, des jeux produits à l’époque par le studio britannique Rare (Banjo-Kazooie, Donkey Kong 64), voire des Rayman 2 et 3 et de Super Mario Sunshine, que de Crash Bandicoot. En moins inventif et varié que ces illustres confrères, de toute évidence, mais avec une même philosophie de l’espace envisagé ici, entre parc d’attraction et balade en forêt magique, comme une collection d’environnements réactifs, plus ou moins emboîtés les uns dans les autres et intéressants en eux-mêmes. D’où, entre autres choses, le fait que les jeux Spyro conviennent à la fois très bien aux jeunes enfants et aux joueurs qui aiment vagabonder attentifs aux ambiances et aux architectures virtuelles.
Curieusement ou non, il y aurait d’ailleurs là de quoi nourrir, sinon une politique des auteurs de jeux vidéo, du moins une politique des studios. Car comment ne pas faire le lien entre le côté ouvert (pour l’époque) des niveaux de Spyro et la structure libre du récent Spider-Man d’Insomniac Games ? Surtout quand on le rapproche des dernières productions de Naughty Dog, Uncharted et The Last of US, à la progression beaucoup plus directe et linéaire. Un peu comme celle de Crash Bandicoot, donc, à qui, le temps d’une séquence clin-d’œil ayant tout de la reconnaissance de dette, Uncharted 4 rendait justement hommage. Mais on attend encore de découvrir un dragon violet caché au tour d’une rue de New York en compagnie de l’homme-araignée.
Un conte-cartoon capitaliste
Déjà un peu hier mais encore plus aujourd’hui, la limite de Spyro – comme, d’ailleurs, des productions Rare susmentionnées –, c’est que, pour inciter les joueurs à explorer ses vastes lieux, la principale solution trouvée a été de disséminer un peu partout des trésors à ramasser. “Trésor” est cependant un bien grand mot quand il y en a tant, qui n’ont souvent pas d’autre utilité que d’ajouter une unité à l’un des compteurs évaluant notre avancée dans le jeu, le but supposé étant de le finir à 100%. Ce qui, bizarrement, transforme un peu le petit explorateur ébloui de ce monde féérique et néanmoins burlesque (pensez Shrek en moins petit malin et en plus poli) en banquier hyperactif qui ne trouvera le repos que quand tous ses comptes seront bien pleins.
Telle est, disons, la face sombre de Spyro, le conte-cartoon capitaliste qui a heureusement l’élégance de ne pas faire de la partie de “collectathon” (pour reprendre la désignation quasi-officielle de ce sous-genre du jeu de plateforme) une nécessité absolue. Il reste en effet possible de papillonner d’un niveau à l’autre. Planant, courant ou plongeant, puis s’arrêtant le nez au vent. Crachant du feu et chargeant presque paisiblement pour libérer des fées en cage ou des dragons plus expérimentés que le nôtre. Rassemblant les orbes ou les talismans sans trop prendre leur fonction au sérieux. Et constatant que les couleurs de ces univers fantasmagoriques sont parfois très criardes et laides mais que, si on le décide, c’est justement ça qui, pour un temps, les rend attachants. Rien ne presse, même quand, autour de nous, tout s’agite frénétiquement. Spyro nous laisse venir, nous attend, nous pénalise peu. Rien ne sera jamais vraiment grave ni inquiétant : ces mondes nous accueillent gentiment. Et tant pis si, parfois, une certaine monotonie s’installe. On ne peut quand même pas souffrir tout le temps.
Spyro Reignited Trilogy (Insomniac Games / Toys for Bob / Activision), sur PS4 et Xbox One, environ 30€
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