Avec une longévité exceptionnelle de 35 ans, le festival international de Hyères maintient sa position de gardien d’une jeune génération de créatifs qui affronte aujourd’hui un contexte de crise écologique et sociale inédit. Il vient d’annoncer sa liste de dix finalistes.
Le 22 janvier dernier, avant d’aller dire adieu à Jean-Paul Gaultier, qui présentait ce soir-là son dernier show couture, un large panel de professionnels de la mode se réunissait de manière cérémonielle sous la verrière de l’Ecole des Beaux-arts de Paris, attendant l’annonce du programme du prochain festival de Hyères, qui mêle mode, accessoires de mode et photo. C’est là-bas, à la villa Noailles, que le futur de la création se dessine depuis 35 ans – Viktor and Rolf, Anthony Vacarello, le duo Rushemy Botter et Lisi Herrebrugh, aujourd’hui à la tête de la maison Nina Ricci, autant de success stories qui nourrissent le mythe de cet événement.
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Au micro, le fondateur Jean-Pierre Blanc, quelque peu ému, lance la nouvelle édition qui se déroulera cette année du 23 au 27 avril. Les jeunes pousses retenues par le jury, elles, devront apporter “un point de vue définit et distinctif”, souligne au WWD Jonathan Anderson, qui présidera le jury mode. Le créateur britannique, décrit par le Times comme “avant-gardiste”, s’est fait connaître en déconstruisant les notions de genre et en proposant une mode tout aussi conceptuelle que commerciale.
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Jury hétéroclite et mode plurivoque
Le parcours pluridisciplinaire de Jonathan Anderson articule préservation des métiers d’art (le Loewe Craft Prize créé en 2016) et implication dans la réflexion sur la scénographie de mode – ce, de par sa position dans le conseil d’administration du Victoria & Albert Museum de Londres, une institution muséale à aura mondiale. A son image, il a composé un jury à la croisée des mondes, illustrant différentes périodes de la mode : la mannequin millenial Kaia Gerber, fille de la légendaire top Cindy Crawford, le journaliste Tim Blanks, qui documente la mode depuis les années 1990, ou encore l’incontournable illustrateur sonore Michel Gaubert, qui accompagne les défilés Chanel depuis 30 ans.
“La mode dépasse le simple vêtement et il faut considérer toutes ses modalités d’existence. Dans les jurys, chacun vient avec son expertise. C’est la seule manière d’arriver à une sélection qui soit juste. Hyères est un espace neutre de rencontre où la mode se questionne. Pour choisir les finalistes, des débats à teneur scientifique sur les définitions même de la mode ou la photographie se sont posées”, explique le philosophe Emanuele Coccia, membre du jury photographie, présidé par le photographe Paolo Roversi. Au total 400 dossiers venus du monde entier ont été décortiqués par les jurys – le tout permettant de sélectionner dix finalistes par catégorie, qui pourront remporter des prix -, révélant des questions transversales sur l’articulation entre artisanat et modernité ou encore la place des invisibles de la mode.
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Vers une création plus humaine
“Nous vivons une crise culturelle en Europe et il me semble important de repenser les mots. Costumes, déguisements, couture : il faut trouver des manières d’articuler ces concepts qui sont contemporains et personnels. Le retour au travail à la main permet de renouer avec le langage de nos parents et de le questionner”, explique Marvin M’Toumo, finaliste mode. Cette mode pré-industrielle passant par le geste est également au cœur du processus créatif d’Eva Verwicht, finaliste du prix accessoires pour qui la curiosité et l’observation sont des qualités primordiales pour imaginer une mode durable. “Sans des moments partagés avec des compagnons maroquiniers, mes sacs n’auraient pu voir le jour. Ces artisans m’ont transmis leurs techniques : c’est ce qui me permet de dépasser la pure création esthétique”, nous confie-t-elle
De même, c’est avec une méthode quasi anthropologique qu’Emma Bruschi est allée à la rencontre d’agriculteurs savoyards, composant une collection respectueuse de leurs cultures.
“Pour moi, le futur, c’est réintégrer de la lenteur, en exploitant la fibre nostalgique des traditions dans une retranscription moderne. Mes collections sont les témoignages d’un monde que nous perdons peu à peu et qui pourraient être des solutions pour l’industrie. Les gens attendent plus qu’un vêtement : il faut créer une nouvelle sorte d’artisanat qui associe techniques modernes (comme la biotechnologie) et sauvegarde les savoir-faire”, raconte la finaliste du prix mode.
Dans un cadre méditerranéen familial, les rencontres de Hyères entre experts pluriels et jeunes pousses fraîchement sorties de l’école décloisonnent la perception de la mode, avec pour leitmotiv la remise en question – que ce soit les cycles de production ou les normes culturelles qui dressent des représentations genrées ou classistes. “Les jeunes qui postulent doivent avoir un but, une volonté et être en mesure de répondre à la question ‘Que vas-tu nous apporter ?’”, conclut le philosophe Emanuele Coccia
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