Mercredi 18 septembre, plusieurs clichés embarrassant pour le Premier ministre canadien, Justin Trudeau, ont été dévoilés dans la presse. On y voit Justin Trudeau arborant un maquillage raciste. A cette occasion nous vous proposons de (re)lire cet article publié suite à la divulgation d’une photo d’Antoine Griezmann déguisé en basketteur noir, le corps recouvert de maquillage foncé. Justin Trudeau se rajoute à la longue liste de personnes blanches, médiatisées ou non, qui ont pratiqué le « blackface », acte historiquement raciste. Explications.
« Faire d’une culture un costume, c’est l’essentialiser, et participer au renforcement des clichés qui l’entourent déjà. Et que, de la même façon que ‘l’accent africain’ que prennent vos potes, vos Youtubeurs et Michel Leeb n’est pas ‘juste une blague’, se grimer de noir n’est pas ‘juste du maquillage’. C’est en fait intimement lié à l’histoire de la blackface, et à celle du racisme. »
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Dans sa tribune pour Buzzfeed France « Je ne serai pas votre déguisement d’Halloween », le journaliste Pierre d’Almeida pointe la facilité avec laquelle des personnes blanches décident, le temps d’une soirée (et souvent d’une photo postée avec fierté), de se déguiser en personne noire. Il cite la journaliste du magazine Elle Jeanne Deroo, qui se déguise en la chanteuse Solange pour une soirée en octobre 2013. Postée sur son compte Instagram, une photo de son costume – elle porte une perruque afro et s’est recouvert le visage de maquillage noir – attire l’attention outre-atlantique : les médias américains mettent immédiatement le déguisement en lien avec le blackface, pratique historiquement raciste née à l’époque de l’esclavage aux Etats-Unis.
Le 17 novembre 2016, ce sont des étudiants de l’EDHEC qui se déguisent en personnages noirs à l’occasion d’une soirée, de Samuel L. Jackson dans Pulp Fiction aux quatre membres de Rasta Rocket, l’équipe de bobsleigh dans le film du même nom. Et dimanche, c’est au tour du footballeur Antoine Griezmann, attaquant pour l’Atletico Madrid, d’oser le blackface, postant une photo sur Twitter déguisé en basketteur noir, le corps recouvert de maquillage foncé. Tous ont retiré leurs photos des réseaux sociaux, assaillis de commentaires outrés, et ont publié des messages d’excuses : dans son dernier tweet, Griezmann reconnaît que « c’était maladroit de sa part. » Comme le remarque Pierre d’Almeida, « Maladroit, c’est quand tu casses une assiette. » Pourquoi, en dépit des scandales, le blackface reste t-il une récurrente ?
« Donner la race en spectacle »
Le blackface n’est pas un acte déconnecté : en se recouvrant le corps de peinture foncée afin de ressembler à un joueur noir de la NBA, Griezmann place au rang de simple déguisement une pratique historiquement associée au racisme. Le blackface apparaît au XIXe siècle aux Etats-Unis sous la forme de minstrel shows, spectacles lors desquels des acteurs blancs se peignaient le visage en noir et tournaient en ridicule les personnages noirs, en plein climat ségrégationniste. En plus des caractéristiques physiques caricaturales – la peau charbonneuse, les lèvres surdimensionnées et les yeux écarquillés – les personnages représentés dans les minstrels shows étaient un important vecteur de clichés racistes : l’homme noir était représenté comme paresseux et stupide. « Ces spectacles visaient à donner la race en spectacle et s’adressaient d’ailleurs aux Blancs. Il s’agissait de faire rire aux dépens des Noirs », raconte Eric Fassin, professeur de sociologie, à Slate. De plus, ils dépeignent l’esclavage de façon positive : les personnages noirs chantent, dansent de façon insouciante devant un public blanc hilare. Le personnage de Jim Crow, un des clowns les plus connus des minstrel shows, a donné son nom aux lois anti-ségrégationnistes votées à partir de 1876. La pratique du blackface se répand à Hollywood : dans le film Le Joueur de jazz de 1927, l’acteur Al Jolson apparaît le visage entièrement grimé de maquillage noir à l’exception de ses lèvres, laissées blanches et énormes, pour incarner un personnage noir. Le personnage de « roi nègre » – généralement tourné en dérision – est repris avec succès.
« Vos intentions ne comptent pas »
En plus de l’héritage historique raciste associé au blackface, c’est l’imaginaire convié pour incarner des personnages noirs qui pose problème. En France, on se souvient du film Agathe Cléry, où le personnage de Valérie Lemercier, atteinte d’hyper-pigmentation, devient progressivement noir : la transformation n’est pas qu’esthétique, puisqu’au fur et à mesure du noircissement de sa peau, elle devient meilleure danseuse et plus ouvertement sexuelle, deux clichés fréquemment associés à la femme noire. Des associations psychologiques problématiques qui existent en dehors du cinéma : au carnaval de Dunkerque, un groupe d’hommes défile depuis 1967 le visage noirci en portant « un pull à col roulé noir, des gants blancs aux mains, un collier d’os autour du cou, une jupe de raphia autour de la taille », rapporte l’un deux à Slate. A l’époque de son enfance, ces personnages allaient prendre des os encore ensanglantés à l’abattoir, afin d’être encore plus effrayants. Le personnage noir représenté incarné par des Blancs est donc soit objet de moquerie, soit de peur.
@AntoGriezmann raciste ? C’est une blague? Le mec kif la NBA, il est pote avec tous les blacks en bleu. Je ne trouve même pas son costume des harlem globe trotters déplacé. On vit vraiment une époque de merde ou la délation règne en maître
— Pierre Ménès (@PierreMenes) December 17, 2017
Que répondre aux centaines de commentaires défendant Antoine Griezmann, qui « kiffe la NBA » et « est pote avec tous les Blacks en bleu » ? Une vidéo de l’émission américaine Daily Show, présentée par l’humoriste Afro-Américain Roy Wood Jr. et diffusée à quelques jours d’Halloween 2017 à titre de prévention, rappelle l’historique raciste de l’acte de blackface, et adresse un message clair aux personnes blanches qui s’y sont adonnées : « Vos intentions ne comptent pas. » Que ce soit fait « sans conscience de la gravité de (l’)acte » (Jeanne Deroo) ou de façon « maladroite » (Antoine Griezmann), le blackface est un acte dont l’héritage historique lourd ne doit pas être ignoré. Tourner ça en simple divertissement est offensant : « Être noir, ce n’est pas un travestissement, ce n’est pas pour rire ; c’est une condition, prise dans une histoire raciale, reprend le sociologue Eric Fassin dans l’article de Slate. À l’inverse, on peut s’interroger: pourquoi est-ce drôle pour celui qui joue à se grimer en noir, ou pour le public ? De quoi rit-on? De qui se moque-t-on ? » Car, comme le rappelle Pierre d’Almeida dans sa tribune pour Buzzfeed France, le blackface est en essence temporaire : « Se ‘déguiser en Noir’, c’est aussi avoir le privilège de ne pas l’être au quotidien. Quand vous êtes noir-e le temps d’une soirée, vous ne l’êtes pas à un entretien d’embauche, quand vous cherchez à louer un appart, ou quand vous faites vos courses, suivi-e par un vigile. »
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