Le présentateur vedette de France 2 a été approché par la Une pour remplacer Laurence Ferrari à la tête de son JT. Mais le 20 heures n’est plus ce qu’il était : Delahousse
est finalement resté sur le service public.
Comme Melissa Theuriau il y a six ans, Laurent Delahousse a osé dire non à TF1. A l’époque, la première chaîne avait proposé le poste de « joker » de Claire Chazal à la jolie et compétente journaliste ayant fait ses classes sur LCI, chaîne info du groupe TF1, mais Melissa Theuriau avait préféré tenter l’aventure du magazine et du reportage sur M6. Si la plastique de Laurent Delahousse n’a rien à envier à celle de sa consoeur, c’est également pour des raisons professionnelles qu’il a décliné l’offre de présentation du 20 heures de TF1.
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Pater familias
Lui aussi a connu LCI dans les années 90. C’est même sur cette chaîne qu’il goûta aux joies de la présentation. Mais dans ce domaine, l’ère des dinosaures, type PPDA, est révolue. Le 20 heures de TF1 n’est plus le graal de tout journaliste télé. Fini le temps des audiences dépassant les 40 %. Aujourd’hui, entre internet et la TNT, la case du 20 heures n’est plus un réflexe chez les téléspectateurs. Le journaliste roi, façon pater familias, a vécu.
Autre époque : quand Delahousse part de LCI pour M6, en 1999, Etienne Mougeotte, alors grand manitou des programmes de la première chaîne, lui fait miroiter le poste que tout le monde se dispute alors : « Tu ne devrais pas partir. Tu vas faire le 20 heures ! » Mais son envie de reportages est déjà la plus forte, et Delahousse part sur la « petite chaîne qui monte », où il présentera notamment le magazine Secrets d’actualité avant de rejoindre France 2 à la rentrée 2006 comme joker de Pujadas. Un « produit » M6 sur le service public ? Au départ, beaucoup n’y croient pas : « Dans les premières semaines, on ne lui disait pas bonjour dans l’ascenseur », se souvient un membre de son équipe. Alors que le président du groupe, Patrick de Carolis, l’impose, la directrice de l’information, Arlette Chabot, lui réserve un accueil glacial.
TF1, je t’aime moi non plus
Six ans plus tard, à bientôt 43 ans, “le présentateur du JT préféré des Français” parle désormais d’égal à égal avec Nonce Paolini, le pdg de TF1. Après de multiples hésitations, le journaliste lui explique pourquoi il préfère poursuivre l’aventure sur France 2. La scène se déroule jeudi 14 juin, à 14 heures. C’est la deuxième fois que les deux hommes se rencontrent. A la sortie, Delahousse est soulagé : “Le courant est bien passé”, s’étonne-t-il auprès de l’un de ses proches. Car dire non à TF1 est toujours une épreuve.
Le rendez-vous terminé, le présentateur vedette s’empresse d’ailleurs de rejoindre France 2, où il dévoile finalement son choix à quelques piliers de la rédaction. Pas avant, car sa décision, il l’a prise le matin même. “C’est la réponse de Laurent qui a clos cette séquence”, assure un ami. Un peu plus tard dans l’après-midi, TF1 officialise la titularisation de Gilles Bouleau à la présentation de son 20 heures. La “séquence” commence en réalité après le 29 mai, jour où Laurence Ferrari annonce son départ de TF1 pour Direct 8, prenant de court les dirigeants de la chaîne. C’est à ce moment-là que Laurent Delahousse rencontre pour la première fois Nonce Paolini et non Martin Bouygues, comme L’Express l’a raconté le 11 juin sur son site internet.
“Aucun contact n’a été pris avant le départ de Laurence, assure Catherine Nayl, la directrice de l’info de TF1. Ce n’est qu’après que s’est posée la question de son remplacement, et nous avions plusieurs pistes.”
Au préalable, le go-between entre Paolini et le présentateur vedette de France 2 a été assuré “par des amis communs”, assure une source. En tout cas, en cette fin mai, Laurent Delahousse fait le point comme toutes les semaines avec Thierry Thuillier, le patron de l’info de France Télévisions, et lui dit simplement : « Ça va bouger à TF1. » Voilà le groupe public prévenu. Une période d’intenses discussions s’enclenche alors entre le présentateur et les équipes de TF1.
Début juin, Laurent Delahousse rencontre à deux reprises Catherine Nayl, qu’il n’avait auparavant croisée qu’une seule fois, lors de l’interview de Nicolas Sarkozy à l’Elysée le 29 janvier. « Avec lui, j’ai seulement parlé de journalisme, point barre, explique Catherine Nayl. En parallèle, le projet de Gilles Bouleau prenait corps… » Durant la même période, Laurent Delahousse rencontre également Jean-François Lancelier, directeur général des antennes, des programmes et de la production du groupe TF1, et même Philippe Balland, directeur des programmes de flux/téléréalité de la Une. Car son idée est de créer un pôle magazine sur la première chaîne. Bref, Delahousse pourrait se laisser tenter par le 20 heures s’il a la certitude de pouvoir exprimer tous ses talents.
De leur côté, les dirigeants de TF1 se demandent : est-il bien la solution pour le 20 heures ? La chaîne est-elle prête à recevoir Delahousse comme il l’entend ? Autre élément en négociation : l’arrivée dans ses bagages de l’un de ses plus proches complices, Jean-Michel Carpentier, son actuel rédacteur en chef à France 2. Il est loin d’être un inconnu pour la rédaction de TF1 : il en faisait partie au début des années 90. Mais cette demande ne semble pas avoir reçu de réponse positive. Nicolas Charbonneau (ancien d’Europe 1 et d’I-Télé puis rédacteur en chef du Parisien) est effectivement nommé adjoint à la directrice de l’information de TF1 le soir précédant la seconde rencontre avec Paolini : « Comme quoi, Gilles Bouleau n’est pas un choix par défaut », se rassure un cadre de la première chaîne. De son côté, Laurent Delahousse reste lapidaire : « Ce n’était pas le bon moment », nous confie-t-il après coup.
Le 20 heures, une addiction
Du côté de France Télévisions, la nouvelle est accueillie avec soulagement. En pleine campagne électorale, Thierry Thuillier avait déjà dû gérer l’annonce surprise du départ pour Europe 1 à la rentrée prochaine de Fabien Namias, chef du service politique. Alors, pour le patron de l’information, il était bien difficile d’imaginer que Delahousse puisse se laisser tenter par TF1.
“Pour nous, la cohérence de notre projet éditorial primait sur tout. Bien sûr, nous sommes très contents de garder Laurent, mais nous n’allions pas faire n’importe quoi pour ça. Indépendamment de TF1, je voulais savoir comment il se positionnait sur son envie de continuer à présenter les JT du week-end”, explique aujourd’hui Thierry Thuillier.
Courant mai, le présentateur vedette lui avait en effet proposé d’arrêter la présentation des JT du vendredi soir et du samedi afin de mettre en place une grande tranche info le dimanche soir, de 19 h à 20 h 30, couplant sujets magazines, invités et JT plus traditionnel, à la mode américaine. “C’est l’avenir”, nous explique Delahousse. Mais Thuillier ne voit pas d’un bon oeil la perte de “cohérence” des JT du week-end. Et puis, les discussions avec Jean Réveillon, directeur de France 2, et Philippe Vilamitjana, directeur adjoint, n’aboutissent pas, Michel Drucker ayant un contrat sur la case de l’access prime time du dimanche soir jusqu’en juin 2013.
Pour ne rien arranger, au même moment, l’autre présentateur vedette de France 2, David Pujadas, s’épanche dans TéléObs en taclant son collègue du week-end : “En politique, les plus populaires ne sont pas forcément élus, regardez Bayrou. A la télé, c’est pareil : être le plus populaire ne signifie pas forcément être le plus regardé. Je préfère être regardé…” Et alors que le Tout-Paris bruit de rumeurs sur la succession de Ferrari au 20 heures, Pujadas s’amuse à déclarer à Paris Match : “Si la proposition m’était faite, je l’examinerais.” Ambiance à France Télés…
Deux jours plus tôt, le 7 juin, Rémy Pflimlin, le patron du groupe public, invitait Laurent Delahousse à déjeuner à Roland-Garros en compagnie d’autres personnalités, notamment la journaliste Patricia Martin, de France Inter, et le politologue Brice Teinturier, d’Ipsos. Pflimlin multipliera alors les attentions à l’égard de son présentateur vedette. Mais la même semaine, Thierry Thuillier est plus cash : “maintenant, il faut que tu te détermines”, lui dit-il en substance lors du traditionnel point hebdomadaire entre les deux hommes. Le soir de l’annonce de sa décision, Laurent Delahousse nous explique :
“J’étais dans une logique où j’avais besoin d’air. J’avais envie d’une parenthèse, d’alléger la voilure. Le journalisme ne s’arrête pas au 20 heures. J’ai également des envies de documentaires et de fictions. Il me fallait trouver un nouvel équilibre. En fait, la présentation d’un JT est une addiction que j’avais sous-estimée…”
Sauf que l’idée d’incarner seulement le JT de TF1 comme une tête de gondole ne lui plaisait guère, d’où son choix de rester sur France 2 : “Depuis cinq ans, nous avons bougé les lignes d’une manière collective. C’est une histoire difficile à interrompre et qui n’est pas terminée.” D’ailleurs, France 2 lui propose la saison prochaine une dizaine de prime time… une rédaction déboussolée Car Delahousse est un hyperactif. Même le lundi, sa journée off, il reçoit de multiples coups de fil de ses collaborateurs. Un travail qui paie car ses magazines, 13 h 15 et Un jour, un destin, ont largement rencontré leur public depuis cinq ans :
“Laurent n’a jamais été qu’un simple présentateur. Il a un vrai rôle de producer à l’anglo-saxonne. Il est le rédacteur en chef de ses émissions”, témoigne le réalisateur Marc Berdugo.
Son plaisir est de raconter des histoires aux téléspectateurs, d’expérimenter de nouvelles formes d’écriture. “Laurent est très sensible à la musique, à l’image, à l’étalonnage, au rythme, et même à la colométrie ! Il a une vraie attention artistique, raconte Erwan L’Eléouet, rédacteur en chef d’Un jour, un destin. Laurent a pu réellement s’exprimer sur France 2. Il aime les gens qui ont une plume, une écriture, un ton décalé. Laurent est moins lisse que l’image qu’il donne.” Sans faire de bruit, 13 h 15 s’est d’ailleurs installé durablement. Ses complices réalisateurs que sont Manon Loizeau, Jean-Sébastien Desbordes, Vincent Nguyen ont inventé une nouvelle forme de reportages Forcément, le décalage avec la machine TF1 est frappant.
“L’identité Delahousse était peut-être trop forte par rapport à TF1”, souffle un journaliste de la première chaîne. Quand Laurent Delahousse a rencontré Laurence Ferrari ou Nonce Paolini, il fourmillait ainsi d’idées. Des ambitions journalistiques trop importantes pour l’info de TF1 ?
“Nous passons plus de temps à régler des problèmes qu’à faire notre boulot. En ce moment, on ne parle que de la tambouille interne !”, se désespère un journaliste.
Car la rédaction de TF1 est déboussolée par ses dernières contre-performances durant la campagne présidentielle. “Nous avons été blessés dans notre orgueil”, reconnaît Catherine Nayl. Après le second tour, la société des journalistes a multiplié les communiqués et les réunions. Longtemps que cela n’était pas arrivé au sein de la chaîne Bouygues. Certains journalistes n’hésitent même plus à parler d’une éventuelle motion de défiance ! La patronne de l’info le sait et n’hésite pas a reconnaître ses erreurs en interne pour calmer les troupes. Après les mauvaises audiences lors du premier tour des législatives, Catherine Nayl a tenu à s’exprimer devant la rédaction : “J’ai une part de responsabilité dans notre échec”, a-t-elle expliqué aux journalistes.
Bouleau, pur produit de TF1
Heureusement, le 20 heures tient encore au niveau de l’audience : “Le journal de TF1, ça va ! Nous gardons notre position de leader, nous affirme Catherine Nayl. Notre public est plus jeune. Les trois quarts des téléspectateurs du JT de France 2 ont plus de 50 ans. A TF1, seulement un quart ! Les téléspectateurs de la Deux sont donc moins volatils, moins sensibles à la contre-programmation. Mais il est vrai que nous devons reconquérir un public plus âgé.” La directrice de l’information de TF1 a l’ambition de “thématiser” le journal télévisé, de “travailler en séquences” et de multiplier “les passerelles avec les téléspectateurs”. N’empêche, certains signaux d’alerte ont suscité une grande inquiétude dans la rédaction.
Le 7 mai, les 20 heures de TF1 et France 2 ont ainsi fait jeu égal. Celui de Laurence Ferrari a attiré 5,5 millions de téléspectateurs, celui de David Pujadas, 5,4 millions. Soit seulement 143 000 téléspectateurs d’écart ! Et pendant vingt minutes, entre 20 h 20 et 20 h 40, France 2 est même passée devant TF1.
“Quand on est leader, on doit se challenger soi-même. C’est plus difficile. Nous avons vécu des années sans trop nous poser de questions, analyse Catherine Nayl. Ça passera peut-être par une réorganisation. Ce sera très long mais il n’y a pas de fatalité.”
En tout cas, à défaut d’un Delahousse, la direction de l’info a finalement fait le choix d’“un pur produit TF1” pour présenter le 20 heures en la personne de Gilles Bouleau, 50 ans, joker de Laurence Ferrari depuis 2011. Et, contrairement à cette dernière, ce “très bon journaliste”, comme le qualifient nombre de ses collègues, est impliqué dans la rédaction : correspondant de TF1 à Londres pendant quatre ans, puis à Washington pendant cinq ans… Catherine Nayl compte sur son “regard extérieur” : “Gilles fait partie du message mais on ne choisit pas un présentateur pour conforter une rédaction, même si l’envie d’une rédaction de travailler avec une personne compte”, explique-t-elle.
Commentaire d’un vieux routier de la rédaction : “Nous avons besoin de nous rassurer et d’avoir une ligne éditoriale claire. Gilles Bouleau est un très bon pro. Mais est-ce qu’il pourra mobiliser la rédaction sur un nouveau journal ? C’est moins sûr.” En attendant, Catherine Nayl se félicite des audiences des premiers JT de Bouleau : “Avant son arrivée, l’écart moyen entre TF1 et France 2 était de 1,3 million de téléspectateurs. Sur la semaine du 11 juin, il était de 1,9 million !” Le 15 juin, interrrogé sur RTL, le nouveau patron du 20 heures de TF1 en profitait pour esquisser à grands traits les orientations qu’il entend donner à son journal.
“Mon code génétique, c’est celui de TF1, moi j’adore les médias populaires, qui respectent les gens auxquels ils parlent. Et qui sont pédagogiques, qui peuvent parler à tout le monde. Tout le monde doit pouvoir se dire : les journaux de TF1, ils sont pour moi, quels que soient mon opinion politique, mon âge, l’endroit où j’habite. C’est ce que j’adore.” C’est sûr, ce n’est pas du Delahousse.
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