Coiffée de la double casquette d’universitaire et de militante queer, Alexia Boucherie plonge avec son premier ouvrage « Troubles dans le consentement » dans les zones grises de nos sexualités quotidiennes.
Aujourd’hui encore, le sexe est considéré comme une composante majeure des relations de couple. Un postulat qui le transforme en obligation, sans que la notion de désir des deux partenaires ne soit nécessairement prise en compte. Naissent alors de nombreuses zones grises dans nos relations sexuelles, alimentées par les enjeux de pouvoir et les inégalités de genre qui traversent notre société et placent bien souvent les femmes dans la position de celles qui subissent les envies de leurs partenaires. En questionnant ce cadre hétéronormé, Alexia Boucherie donne un certain nombre de clés pour permettre à tout un chacun de déconstruire sa vision du consentement et apprendre à mieux se situer, pour remettre le désir au centre de nos relations sexuelles routinières.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Pourquoi avoir choisi de vous intéresser aux violences sexuelles dans le cadre des relations routinières ?
Alexia Boucherie – Pour commencer, ce ne sont pas forcément des violences. En tout cas, les personnes que j’ai interrogées ne considèrent pas forcément ça comme des violences. Et c’est ça qui est intéressant dans la manière d’approcher ce sujet. Ça décale le regard de ce qu’on va d’ordinaire considérer comme violent. On se rend compte qu’il n’y a pas forcément de contrainte explicite, contrairement aux cas de viols.
Parce qu’on a tendance à considérer que les rapports sexuels dans un couple sont tous consentis ?
Oui, un peu comme ce qu’on appelait avant le devoir conjugal, cette nécessité de faire du sexe dans une relation amoureuse. Et on va encore plus considérer que les corps sont consentants par défaut, à partir du moment où ils sont dans une relation affective ou amoureuse.
le "devoir conjugal"…https://t.co/q5mzCNHCvi
— Perrine (@PerrineST) June 2, 2017
Quels sont les éléments qui vont venir vicier le consentement de deux personnes engagées dans une relation routinière ?
Il y a différentes choses. J’ai essayé de théoriser plusieurs modèles. Le premier par rapport aux injonctions à la sexualité dans le modèle conjugal, cette idée que le sexe serait le ciment du couple. C’est un présupposé qui revient beaucoup. Il y a aussi les injonctions liées au genre. Par exemple, Le fait de se dire, quand on est une femme dans un couple hétéro, que le partenaire va forcément avoir plus envie de sexe que soi et qu’il faut anticiper et/ou se plier à ces envies de sexe là, sinon il va aller voir ailleurs. Il y a un entremêlement entre le couple, qu’on va associer au sexe, et les normes de genre qui vont définir notre rapport à la sexualité.
Vous n’êtes pas allée interroger uniquement des personnes hétérosexuelles, mais on voit que les codes hétéronormés de la sexualité sont quand même présents à différents niveaux dans les autres sexualités. Il y a donc un vrai travail de déconstruction à effectuer autour de la question du consentement ?
C’est pour cela que j’ai essayé de développer le concept d’hétéronormativité, qui peut intégrer les relations qui sont non-hétérosexuelles parce qu’à la base, il y a un apprentissage hétéronormé. Que l’on soit dans des sexualités hétérosexuelles ou non, nous avons le même bagage et le même apprentissage du consentement. Et c’est ensuite que l’on peut selon moi, avec des outils féministes, déconstruire tout cela et apprendre de nouveaux scripts du consentement.
Vous dites d’ailleurs à la fin de votre ouvrage qu’entre les deux bornes radicales que sont l’hétéronormativité d’un côté et le féminisme radical de l’autre, il se trouve des individus qui piochent un peu à droite à gauche pour se construire un système de valeurs. C’est en ça qu’une certaine radicalité contribue à un meilleur équilibre face à l’hétéronormativité ?
Absolument. Par exemple aux Etats-Unis, dans certaines universités, le consentement doit être vraiment contractualisé par écrit et très formalisé. C’est un extrême auquel nous ne sommes pas obligés d’arriver, mais il faut que ce schéma-là existe pour que les personnes puissent piocher dans ce qui va leur convenir le mieux, entre un modèle de consentement moins réfléchi, et une réflexion poussée à son paroxysme dans la pratique. Il faut diversifier les représentations, comme pour tout : les sexualités, les genres… Nous sommes dans une société où il y a des rapports de pouvoir qui s’exercent, et même si notre Etat prône l’égalité pour toutes et tous, ces rapports de pouvoir ne disparaissent pas pour autant. Dans un système comme ça, nous sommes obligés de montrer le consentement de façon exagérée, pour éviter de basculer dans ce qui est de l’ordre des zones grises. C’est une nécessité de l’expliciter.
https://twitter.com/AntoninLaMontre/status/1098645275202252801
On a l’impression que les hommes n’accèdent pas encore suffisamment aux outils qui pourraient leur permettre de se construire un nouveau modèle de consentement.
Je pense que ces outils militants, il faut aller les trouver dans le panel féministe. Et cela peut être compliqué pour tout le monde. Tout commence en fait à l’apprentissage, où on va dire aux garçons de ne pas violer, et aux filles de faire attention à « ne pas être violée« . On explique aux filles que leur corps leur appartient, mais ce n’est pas quelque chose qu’on dit aux garçons, alors que c’est important d’avoir le même discours pour les garçons et les filles. On devrait dire « tu ne dois de sexe à personne« , et « personne ne te doit de sexe« , pour tout le monde. On pose assez peu aux garçons la question de leur propre consentement : quand je leur ai demandé s’il leur était déjà arrivé d’avoir une relation sexuelle sans en avoir eu envie, la plupart m’ont répondu non. Et pour moi ce n’est pas quelque chose qui vient valider le fait que les hommes ont toujours envie de sexe. C’est juste qu’ils ne se posent pas la question, parce que dans la dimension hétéronormée, c’est leur boulot de faire ça.
Vous interrogez dans le livre un garçon qui s’est montré capable d’identifier des relations sexuelles problématiques dans des scénarios que vous lui avez proposés, mais qui n’a pas été capable ensuite de reconnaître le caractère problématique de l’une de ses propres relations sexuelles. Comment cela se fait-il ?
Je pense que c’est par rapport au processus qui s’enclenche quand on commence à catégoriser les relations sexuelles dans notre biographie personnelle. On va définir les « bonnes » des « mauvaises » en prenant l’imaginaire du viol en référence. Ce garçon que vous citez se dit en fait qu’il connaît mieux que sa partenaire ce qui va lui faire plaisir, et se dit qu’il lui rend service en faisant ça. Au début elle va dire non, mais ça va passer, puisqu’elle va prendre du plaisir. Et on retrouve beaucoup cette association entre consentement et plaisir, qui est pour moi fausse, parce que le plaisir ne traduit pas le consentement. Le plaisir peut être une réaction physique qui n’est pas forcément du consentement. On a ce schéma du consentement, qu’on n’interroge pas. On commence à interroger les pratiques sexuelles, comme celle de la pénétration qui n’est pas systématique, mais les schémas du consentement sont pris pour acquis.
Cela ne vient-il pas aussi d’un manque de communication et d’attention de la part des hommes dans leurs relations ?
Ce qui m’a frappée pour commencer, c’est que les hommes ne parlent finalement que très peu de leur propre sexualité en général, avec leur partenaire ou entre eux. Mais j’ai l’impression que la question du consentement peut être compliquée à aborder dans une relation, que l’on soit un homme ou une femme. Il y a cette idée qu’aborder la question tue l’érotisme, la spontanéité des relations sexuelles. Alors autant on peut plus facilement discuter des pratiques, autant la réflexion autour du consentement va être plus compliquée.
https://twitter.com/valerieCG/status/1099243079607955458
N’est-ce pas parce que la question du consentement n’est posée qu’au moment de la relation sexuelle, alors qu’elle pourrait être abordée en amont ?
C’est ce qui se fait par exemple dans le BDSM, où le consentement est posé sur toutes les étapes du déroulé de la relation sexuelle, et c’est quelque chose que l’on pourrait tout à fait faire dans les relations qui ne sont pas de l’ordre du BDSM. C’est juste que l’on part du principe que les pratiques sexuelles dans ce type de sexualité doivent être négociées parce qu’elles sortent du cadre ordinaire, alors qu’il faudrait justement également poser la question des pratiques ordinaires.
Qu’est-ce qu’un consentement idéal aujourd’hui pour vous ?
La question du contexte importe beaucoup. La manière dont c’est fait appartient un peu à chacun et chacune, selon la façon dont ils et elles sont le plus à l’aise pour le manifester. Mais par exemple le taux d’alcool, la conscience des rapports de pouvoir qui sont à l’œuvre, l’attention aux contraintes qui parfois peuvent être très implicites. Par exemple, dans une relation hétérosexuelle, le fait d’être au domicile de l’homme peut mettre en difficulté la femme de refuser. Il faut faire attention au cadre, et à la manière dont le cadre laisse la possibilité de dire non ou pas.
Est-ce qu’un consentement éclairé pourra advenir sans de profondes transformations des rapports de pouvoir qui régissent aujourd’hui notre société entre les hommes et les femmes ?
Non, c’est essentiel. Rien que sur la question de l’argent. Ou même du rapport entre les personnes blanches et les personnes racisées. Tout ce qui est de l’ordre de l’imaginaire, comme la façon qu’on a parfois d’exotiser les femmes et les hommes noirs. C’est évidemment nécessaire de prendre en compte l’intersection de ces rapports de pouvoir. Il faut penser à tout le contexte, tout ce qui s’exerce malgré nous. Parce qu’on peut même être un homme blanc cisgenre hétérosexuel et être tout à fait respectueux, mais le fait est que cette position induit quelque chose dans le rapport à l’autre. Il faut prendre conscience de ses privilèges et de sa position dans la hiérarchie sociale, et déconstruire tout ça.
Troubles dans le consentement, d’Alexia Boucherie, aux Editions François Bourin le 07 mars.
{"type":"Banniere-Basse"}