Depuis sa réélection laborieuse en septembre, Angela Merkel a été constamment épinglée par ses opposants pour sa politique migratoire, jugée trop souple. Mais c’est cette fois-ci dans sa propre famille politique que les voix s’élèvent contre elle : la chancelière allemande a vu son autorité sévèrement mise en cause par le ministre de l’intérieur Horst Seehofer.
Celle que les Allemands ont jusqu’à présent surnommée “Mutti” (« maman« en allemand) est indéniablement dans la tourmente. Angela Merkel, dont la longévité aux rênes de l’Allemagne avait détrôné celle de l’emblématique ancien chancelier Helmut Kohl, est en difficulté depuis sa réélection à la tête du pays en septembre dernier. Si cette dernière ne faisait pas de doute, ce début de quatrième mandat a été marqué par l’entrée fracassante de l’extrême droite au Parlement allemand. L’Alternative für Deutschland (AFD) a raflé près d’une centaines de sièges, alors que depuis 1949, jamais aucun représentant extrémiste n’avait pu être élu au sein de l’assemblée parlementaire.
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Une chancelière prisonnière de son ministre de l’Intérieur
C’est donc à une opposition extrême et sans précédent dans l’histoire de la République fédérale d’Allemagne qu’Angela Merkel, élue par le magazine Forbes comme « la femme la plus puissante de l’histoire« , a été confrontée dès le début de son mandat. L’entrée de l’AFD dans l’hémicycle a été un tel bouleversement que six mois ont été nécessaires pour parvenir à la formation d’une coalition entre l’Union chrétienne démocrate (CDU, sous la présidence d’Angela Merkel), son parti frère l’Union démocrate de Bavière (CSU, sous la direction de Horst Seehofer), et le parti social-démocrate.
Pendant ces six mois de négociations tendues, Angela Merkel, nommée provisoirement « chancelière chargée des affaires courantes« , a vu son pouvoir considérablement restreint et s’est retrouvée privée d’un véritable pouvoir décisionnel sur le gouvernement du pays.
Selon Thomas Wieder, correspondant du Monde basé à Berlin, « les représentants de l’AFD n’ont cessé de dénoncer la politique migratoire de Merkel ; ils ont d’ailleurs gagné leurs sièges au Parlement de cette façon« . Or ces critiques se sont répandues comme un feu de poudre : « la crise migratoire est devenue explosive », assure Thomas Wieder, qui souligne que ce qui est en cause est « la décision prise par Angela Merkel de ne pas fermer les frontières lorsqu’il y a trois ans de ça, un million de réfugiés sont arrivés aux portes de l’Allemagne« .
Le correspondant du Monde est formel : « elle paye cette décision aujourd’hui ; beaucoup de ses concitoyens estiment qu’elle n’aurait pas dû adopter une politique si laxiste« . Les difficultés politiques que l’Allemagne traversent ont gagné une ampleur telle que même Donald Trump s’est fendu d’un tweet incendiaire, mâtiné comme il se doit de provocation et de fausses informations, et relayé dans la foulée par l’AFD.
The people of Germany are turning against their leadership as migration is rocking the already tenuous Berlin coalition. Crime in Germany is way up. Big mistake made all over Europe in allowing millions of people in who have so strongly and violently changed their culture!
— Donald J. Trump (@realDonaldTrump) June 18, 2018
Outrages à répétition
La politique migratoire d’Angéla Merkel a été remise en question au sein même de la majorité gouvernementale. Horst Seehofer, président de la CSU et ministre de l’Intérieur « exerce une véritable pression sur Angela Merkel« , selon Thomas Wieder, pour qu’elle mène une politique migratoire beaucoup plus dure « en faisant valoir que c’est ce que le peuple allemand veut » puisque « cette politique a provoqué une grande colère , beaucoup d’électeurs sont passés de la CDU à l’AFD« .
C’est dans cette logique de « récupération de son électorat » que le ministre de l’Intérieur allemand ébranle sciemment l’autorité de la chancelière. Des affronts à répétition de Seehofer envers la chancelière qui « sont sans précédent » pour Thomas Wieder : mardi 12 juin, le président de la CSU devait présenter une mesure pour l’exclusion des demandeurs d’asile déjà inscrits dans un autre pays européen, un texte qui « va fondamentalement à l’encontre de la Convention de Genève, relative au statut des réfugiés » pour le correspondant du Monde à Berlin. Dans la foulée, Seehofer s’est affiché en compagnie du chancelier autrichien Sebastian Kurz – qui met en place une politique de l’immigration extrêmement dure – au lieu de se rendre à une réunion en présence de la chancelière.
Selon l’analyse de Thomas Wieder, Horst Seehofer « brave ouvertement l’autorité de Merkel » pour que « tous les électeurs qui se sont tournés vers l’extrême se rendent compte qu’il peut adopter des positions très dures, notamment sur sur l’immigration« . Mais comment expliquer qu’Angela Merkel, qui a l’autorité sur les ministres allemands, ne le limoge pas ? « C’est tout simplement parce qu’elle est prisonnière de Seehofer : si elle dégage, la majorité qui compose son gouvernement n’existe plus« . Le président de la CSU serait par ailleurs « conforté dans cette position par le climat européen actuel, en particulier par l’axe commun des ministres autrichien et italien de l’Intérieur contre l’immigration illégale« .
Le futur de Merkel est compromis
La chancelière, dans l’impasse, cherche donc une solution à l’échelle européenne en rencontrant le nouveau président du Conseil italien, Giuseppe Conte, et Emmanuel Macron. « Elle n’a le choix que de plaider pour un durcissement général de la politique migratoire européenne » pour « éviter une ‘guerre civile‘ européenne« , selon le correspondant du Monde, qui explique que si « l’Allemagne décidait d’appliquer unilatéralement les mesures de Seehofer, les demandeurs asile déjà enregistré dans un pays membres seraient refoulés dans un autre pays de l’Union, dont lui non plus ne voudrait pas« .
Le futur politique d’Angela Merkel est une zone d’ombre pour Thomas Wieder : « elle est extrêmement fragilisée« . La question n’est pas de savoir si elle sera réélue dans trois ans, mais « si elle sera là encore dans trois mois« . Si « aujourd’hui elle est au pouvoir, on se demande avec quelle autorité, puisqu’elle se fait dicter une politique dont elle ne veut pas mais qu’elle est obligée d’accepter« …
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