Le chef japonais, Taku Sekine vient de mourir à l’âge de 39 ans. Sa femme a annoncé mardi 29 septembre, dans un communiqué posté sur Instagram, qu’il avait mis fin à ses jours suite à des rumeurs d’agressions sexuelles.
« Moi, je préfère manger que cuisiner. C’est ma première passion. Le bonheur, ça se mange. » Ces mots, le chef japonais Taku Sekine les prononçait en 2017, interrogé sur les origines multiples et voyageuses de sa passion.
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Mardi 29 septembre, sa famille a annoncé son suicide à l’âge de 39 ans, après un été de rumeurs sur des accusations d’agressions sexuelles à son encontre. Formé dans un restaurant de la galaxie Ducasse au Japon, puis au Plaza Athénée à Paris, Sekine avait fréquenté les cuisines d’Hélène Darroze et de Frédéric Duca avant d’ouvrir en 2014 sous son nom l’une des adresses phares parisiennes des dix dernières années, Dersou, repère sophistiqué et inventif où il croisait techniques françaises, inspirations asiatique et italienne, expérimentations entre plats et cocktails. Sa carte « comfort food » du week-end était mémorable. Depuis 2018, Taku Sekine avait également ouvert (avec Florent Ciccoli) Cheval d’Or, toujours à Paris, où il se concentrait sur une version ultra contemporaine des cuisines chinoises, de Hong Kong et plus généralement de son continent d’origine. Lors du confinement, ses recettes publiées astucieuses sur Instagram lui avaient offert une renommée supplémentaire.
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Une enquête de Mediapart avortée
Sa mort tragique choque un milieu qui ne cesse depuis l’annonce funeste de déplorer l’irréparable et la catastrophe que nul·le n’a su éviter. Plusieurs rumeurs sur des faits graves circulaient depuis des mois. Le nom de Taku Sekine a été même publié par un site gastronomique dans le courant du mois d’août, sans qu’aucun témoignage vérifié par un journaliste ne soit publié. Une enquête de Mediapart menée par Nora Bouazzouni était en cours, comme l’a confirmé le site d’Edwy Plenel. Elle ne sera malheureusement pas publiée, car l’étape cruciale de la confrontation des faits reprochés avec leur auteur présumé n’a pas eu lieu. A moins qu’un media qui en a le désir et les moyens ne s’en saisisse, à moins que des suites judiciaires ne s’enclenchent – pour l’instant, aucune plainte n’a été déposée -, nous resterons donc avec des conversations en off, des histoires partielles et forcément imprécises, des victimes présumées non entendues et une famille qui souffre. Sekine laisse derrière-lui sa compagne et son fils de trois ans.
Gastronomie: à propos d'une enquête de Mediapart. https://t.co/WMXtTVEKlb
— Mediapart (@Mediapart) September 30, 2020
Ce grave dysfonctionnement collectif montre d’abord que le temps nécessaire de l’enquête doit être respecté et que les prises de paroles des victimes d’agressions et de viols n’ont pas encore reçu l’accueil qu’elles méritent – sinon, comment expliquer un tel flou désorganisé ? L’important appel d’air créé par #MeToo trouve rarement une forme d’expression efficace sur la durée en France, quels que soient les domaines. Les victimes ne sont pas ou peu écoutées et l’affaire Taku Sekine montre que même quand elles le sont a priori, rien ne les protège et rien ne protège non plus les agresseurs potentiels en attendant la publication de travaux journalistiques. Seule la parole portée par Adèle Haenel et l’enquête de Marine Turchi sur les agressions commisses par Christophe Ruggia sur la comédienne ont mis à mal ce schéma délétère.
Enfin, la mort de Taku Sekine mais aussi les faits d’agressions que l’enquête de Mediapart avait pour objet de confirmer, éclairent d’une lumière noire un milieu gastronomique qui a fait une entrée fracassante dans la pop culture. Starisé·es, adulé·es, sous pression permanente encore davantage que leurs ainé·es de la nouvelle cuisine, les cuisinier·es ont changé de statut et se retrouvent tour à tour considérés comme des artistes géniaux, des célébrités désirables et des sauveur·ses de la planète à travers leur juste obsession du bien-manger.
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Une figure patriarcale du chef
Cet été, le magazine New Republic publiait un texte cinglant intitulé « Comment les journalistes food ont créé des monstres dans les cuisines », en évoquant notamment le chef Danny Bowien, figure alternative newyorkaise portée aux nues par la presse et accusée par l’ancienne cheffe exécutive de son restaurant Mission Chinese Food, Angela Dimayuga, de comportement tyrannique répété dans sa cuisine. L’autrice du texte, Kate Telfeyan, y emploie l’expression « toxic celebrity chef » et déplore le manque d’enquêtes journalistiques sur le sujet, qui force les victimes à s’exprimer sans filet. Depuis, des témpoignages sont parus mettant en cause Angela Dimayuga et la tenant pour responsable de l’atmosphère délétère à Mission Chinese Food. L’affaire Taku Sekine s’est déployée sur un autre registre, celui des agressions sexuelles, mais elle interroge également sur les pratiques d’un milieu où le travail est harassant, les cadences infernales et l’adulation de la figure patriarcale du chef constante. Cette idée si communément admise du « grand homme » en cuisine.
Malgré l’émergence d’une nouvelle génération de chefs qui a laissé tomber les toques phalliques pour arborer un style tatoué-souriant, la problématique n’a pas beaucoup changé. Elle a peut-être même empiré. On loue constamment le concept emprunté au cinéma d' »auteurs » en cuisine avec ce que cela implique d’adoration aveugle, sans toujours interroger les contours de cette adoration, ni les comportements qu’elle peut faciliter.
La figure du grand artiste masculin a essaimé partout et produit ses effets de manière récurrente. Nous ne savons pas en détails ce qu’a fait Taku Sekine ni pourquoi il s’est donné la mort. Mais le drame qui s’est joué peut être l’occasion d’une profonde introspection dans un milieu dont les ressorts cools cachent une réalité complexe. Un système favorisant les abus est en place. Dans le futur, il serait peut-être pertinent de déboulonner les statues avant qu’elles ne s’écroulent.
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