Durant la fashion week printemps-été 2020, la maison Dior a mis à l’honneur les codes culturels liés à la vie à la campagne, jouant sur l’imaginaire d’une civilisation vertueuse, mémoire vivante de la culture de la terre.
Deux nattes s’immiscent hors d’un chapeau de paille et ondulent le long de robes tabliers. Il ne s’agit pas de Greta Thunberg, mais bel et bien des mannequins du défilé Dior. Sous le toit de l’hippodrome de Longchamp, le show prend la forme d’une fable environnementale moderne où les femmes vêtues de jeans baggy délavés croisent, dans les allées d’un bois, des nymphes aux robes de tulles sur lesquelles s’impriment de géants pissenlits.
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En articulant les robes bucoliques brodées de raphia et les tenues ou les chemises bleues évoquant le workwear, la directrice artistique de la maison, Maria Grazia Chiuri, propose un hommage contemporain à l’ADN de la maison. Ici, les bottes de jardin sont celles de Catherine Dior – qui, outre son métier de jardinière, fut une Résistante. L’écologie n’est plus l’affaire d’une simple évocation romantique, comme nous l’explique la créatrice en coulisses : “Le jardin est un héritage important de Dior (…) Le show relève moins d’un acte décoratif que d’un appel à l’action.”
Arrosoirs et forêts
Les 162 arbres installés par le collectif de paysagistes et urbanistes Coloco sont effectivement destinés à être replantés en région parisienne. “Le jardin unique que représente notre planète souligne la responsabilité des humains : planter des arbres, multiplier les bosquets de résilience pour initier les forêts de demain”, expliquent-ils dans leur manifeste. Un appel à l’action, qui marque une volonté de contrer les prophéties de l’effondrement qui caractérisent encore certains défilés, comme par exemple la clinique Gucci ou le thème de la marée noire au cœur du show de Marine Serre.
On retrouve cet univers à la fois concret et pittoresque au fil des différentes collections présentées durant cette fashion week : chez Fendi, les arrosoirs sont de sortie, tandis que Hed Mayner et Loewe dévoilent des chemises amples en lin ou en coton. Les marques Dawei ou Nehera, elles, proposent de larges robes-chemises évoquant également la vie pastorale.
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“Quand tous les paysans et les artisans seront morts, quand l’industrie aura rendu inéluctable le cycle de la production et de la consommation, alors notre histoire sera terminée”, déclare un personnage du film La Rage de Pasolini, qui exprimait ainsi son inquiétude face à l’industrialisation de la société. Depuis, les films de Georges Rouquier ou Depardon ont saisi les visages et mains d’un monde dont le sociologue Henri Mendras annonçait la fin en 1967 dans son ouvrage La fin des paysans. Comme pour retenir les vertus d’un univers meilleur, la mode rêve également de cette figure et l’élève au statut d’icône. Mais ce paysan, de quoi rêve-t-il ?
Le paysan : un objet onirique face à l’effondrement du monde ?
En 1930, une nouvelle culture visuelle du vêtement prend vie à travers l’émergence des magazines de mode. La vie au grand air et les campagnes idylliques grouillent dans les éditos de Vogue ou Harper’s Bazaar. “Les représentations des paysans émergent pendant la Grande Dépression telles des échappatoires face à la vie moderne incarnée par les villes. Cela renvoie à un mode de vie sain. Dans les magazines, la campagne est peuplée de corps sportifs, bronzés, proche de la nature”, écrit l’historienne de la mode Rebecca Arnold.
La campagne est un imaginaire récurrent et ancien, doté d’un pouvoir d’attraction sur la ville. “Le modèle d’élevage à la campagne chez une nourrice est une pratique ‘moderne’ pour les citadins du XVIIIe siècle, qui commencent à avoir conscience des dangers de la pollution urbaine. En envoyant les nourrissons à la campagne, au bon air, téter le bon lait d’une robuste paysanne, les parents pensent au bien de leur enfant et lui donnent un bon départ dans la vie”, indique l’historienne Marie-France Morel.
Cette paysanne prenait corps en 2010 sous les traits de l’ex-playmate Kate Upton, sur la couverture du magazine CR Fashion Book de la styliste Carine Roitfeld. La poitrine ornée de poussins, la blonde plantureuse représenterait l’amour maternel. “C’était tellement naturel pour elle de tenir des bébés cochons, des bébés agneaux, des petits ânes”, expliquait à l’époque Carine Roitfeld.
La paysannerie fantasmée, relue à travers les œuvres d’art classiques, ne se contente plus d’inspirer la mode. Si la vie façon peinture de Fragonard est à l’avant-centre des podiums, le travail à la ferme devient également une véritable vocation pour une nouvelle génération. En 2016, dans un ouvrage du même nom, Gaspard d’Allens et Lucile Leclaire introduisaient le terme de “néo-paysans” soit “des personnes qui, après une première vie dans un tout autre domaine, décident de changer de voie pour devenir agriculteurs”. S’approprier et réinventer la figure du paysan serait-il un moyen de combattre la crise écologique ? Espérons que cela permette au moins de mettre en lumière ceux qui vivent dans “le croissant du vide”, traversant aujourd’hui une crise sociale des plus brutales.
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