Malgré le succès de Podemos en Espagne ou de Syriza en Grèce, la gauche radicale française ne décolle pas. Décryptage.
26 mai 2014, le Front de Gauche n’a enregistré qu’un score de 6,3% aux européennes. Bien loin des 25% stratosphériques du Front National.
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Jean Luc Mélenchon se présente les yeux humides à sa conférence de presse, au lendemain du coup de massue :
« C’est une vague brune qui se lève. L’histoire qui vient à notre rencontre est celle assez déprimante d’un vieux continent incapable de sortir de ses crises autrement qu’en inventant des désastres immenses de civilisation »
Vague brune, contre nuances de rouges
Jean Luc Mélenchon n’a pas complètement raison ce soir là. Syriza a gagné en Grèce devant le gouvernement conservateur d’Antonis Samaras. La vague brune est beaucoup moins foncée en Espagne et en Grèce. Les chiffres de la gauche radicale ne sont pas mauvais en Italie, au Portugal ou à Chypre. A eux seuls, tous ces pays fournissent près de la moitié des 52 sièges du parti de gauche radicale Gauche unitaire au parlement européen.
Cette dynamique se poursuit sans fléchir ces derniers mois. Le parti de gauche radicale Syriza est donné favori des prochaines législatives grecques qui se tiendront le 25 janvier. En Espagne, Podemos, autre parti de la gauche de la gauche issu du mouvement des indignés, fait aussi partie des favoris pour les élections générales de novembre 2015. Mais pourquoi la gauche radicale française reste-elle autant à la traîne ?
« Il y a un potentiel pour la gauche radicale française »
Vincent Tiberj, chercheur au Centre d’études européennes de Sciences Po, tient à relativiser cette idée que la gauche radicale française est à la dérive :
« Les résultats des élections intermédiaires ne sont pas toujours prédictifs. Moins d’électeurs de gauche se déplacent pour voter que pour les élections présidentielles ».
Selon lui il ne faut pas non plus oublier les 11% enregistrés par Jean Luc Mélenchon en 2012. Les scores accumulés de tous les partis de la gauche de la gauche aux européennes, et aux municipales flirtent d’ailleurs toujours avec les 15%. Juste en dessous des scores du PS, comme le rappelle le politologue : « On peut très bien imaginer que le PS ne sera pas le parti principal de la gauche en 2017. Il y a un potentiel pour la gauche radicale française. »
La France ne va pas encore assez mal pour que sa gauche radicale aille bien
Malgré ces nuances, le gouffre persiste tout de même entre les scores enregistrés par la gauche radicale tricolore et ses voisines du sud du continent. Peut-être parce que la crise ne nous a pas encore assez atteints. Pas assez fort. Pas assez longtemps.
C’est en tout cas un argument évoqué par Eric Coquerel, secrétaire national et coordinateur politique du Parti de Gauche. En Espagne le taux de chômage était encore à 24% en septembre 2014. En Grèce il atteignait les 26%. Bien loin de nos 10,5% à la même période.
En France, pas de troïka non plus, programme d’austérité drastique imposé conjointement par la Commission européenne, la BCE, et le FMI. Et c’est cette austérité étouffante imposée par l’Europe que rejettent massivement les Grecs et les Espagnols. De quoi nourrir la popularité de Podemos et Syriza qui la rejettent en bloc.
Vincent Tiberj évoque aussi l’impasse politique qui pousse ces électeurs à chercher des solutions ailleurs :
« En Grèce et en Espagne, on a pu observer l’alternance des deux partis traditionnels qui se sont épuisés au pouvoir. Les partis politiques nouveaux en profitent pour s’imposer ».
Une impasse pas encore aussi extrême dans notre pays.
« La place du FN est un handicap pour nous »
Le politologue met en avant un autre aspect : « Le système électoral français est moins bénéfique pour les partis de la gauche radicale. Une des forces de Syriza et Podemos c’est que le système politique de ces pays sont beaucoup plus représentatifs ».
Sur cet échiquier politique particulier, doit-on invoquer le vote FN pour justifier l’échec de la gauche radicale ? Vincent Tiberj réfute catégoriquement cette idée :
«En France on sait du point de vue des valeurs que les électeurs de Jean Luc Mélenchon sont à l’exact opposé des électeurs de Marine Le Pen. Ils ont juste en commun le rejet de la classe politique traditionnelle.»
Pour le politologue, le transfert de votes entre les deux extrêmes tient presque du mythe. Selon lui, il est d’ailleurs parfaitement possible d’avoir deux partis alternatifs forts, sans que l’un doive aspirer les voix de l’autre pour autant. En Grèce, le parti néonazi Aube Dorée est par exemple toujours crédité de 6% malgré la popularité grandissante de Syriza.
Pour Eric Coquerel, il ne faut pas négliger le Front National dans le calcul électoral :
« La place du FN est handicap pour nous, parce que le système s’en sert comme vote utile. Certains électeurs ont voté Hollande à la place de Mélenchon en pensant devoir faire barrage au FN en 2012. »
S’inspirer des recettes des succès de Podemos et Syriza
Système électoral moins favorable, crise moins violente, poids du FN, la gauche radicale française peut-elle pour autant entièrement nier toute responsabilité dans ses échecs ?
Eric Coquerel assume les mauvais choix du Front de Gauche : « Nous n’avons pas su bien expliquer notre positionnement par rapport au Parti Socialiste durant les municipales ». Pour lui, le Front de Gauche aurait du plus insister sur sa rupture avec la gauche gouvernementale.
Et il compte bien s’inspirer de Syriza et Podemos pour imposer cette scission claire. Le secrétaire national du Parti de Gauche dit ne pas exclure de s’allier avec Europe Ecologie Les Verts et Nouvelle Donne pour les prochaines échéances électorales. Un écho tricolore au rapprochement des verts grecs avec Syriza.
Eric Coquerel évoque un autre espoir de renouveau insufflé depuis le sud:
« On a été intéressés par la démarche très citoyenne de Podemos, notamment sur les réseaux sociaux. Ils mettent en branle des pans de la société qui ne font plus de politique »
Des innovations que le politologue Vincent Tiberj considère aussi prometteuses :
« Il y a quelque chose de romantique dans la démarche de Podemos. C’est le retour de la démocratie participative. Face à des élus de plus en plus techniciens, les électeurs veulent reprendre le pouvoir ».
Syriza pourrait décevoir et entraîner d’autres partis européens dans sa chute
Cet exemple incite les leaders de la gauche radicale française à concentrer leurs efforts sur le mouvement pour la 6ème République , initiative participative lancée en septembre dernier par Jean Luc Mélenchon.
Mais peut-on être optimistes pour le futur de notre gauche radicale en cas de victoire de Syriza aux législatives grecques ? Pas forcément, selon Aurélien Bernier, essayiste politique proche de l’extrême gauche :
« Syriza va se retrouver face à un problème de choix : soit ils acceptent de poser le débat de la sortie de l’euro et de la construction européenne, soit ils risquent de décevoir ».
Et un échec de Syriza en Grèce pourrait entraîner les rêves de changement des autres partis européens dans sa chute. Peut-être en Espagne. Sans doute aussi en France.
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